Depuis les attentats du 13 novembre, l'état d'urgence a permis de nombreuses perquisitions et aussi de nombreuses arrestations. La prison, lieu propice à la radicalisation, lutte à sa façon contre le terrorisme.
Pour Alain Chevallier, secrétaire général adjoint d'un des principaux syndicats de l'administration pénitentiaire, l'Ufap Unsa-Justice: "L'état d'urgence, c'est partout mais pas en prison!". Depuis les attentats de Paris, les prisons n'auraient pas modifié leur mode de fonctionnement et gèrent les détenus de la même façon. Quelques notes ponctuelles sont arrivées dans les établissements, mais aucun changement particulier n'a eu lieu.
Les attaques n'ont pas été vécues de la même façon selon les prisons. En Isère, au moment où "des détenus se réjouissaient des attentats et protestaient pendant les minutes de silence, dans d'autres établissements pénitentiaires du département le silence s'instaurait, comme à Saint-Quentin-Fallavier", relève le syndicaliste qui explique aussi que "l'effet de groupe joue beaucoup. Par peur, des détenus non radicalisés pourraient rejoindre ceux qui le sont."
Nous avons quelques détenus identifiés comme radicaux à Saint-Quentin-Fallavier"
Parmi les principaux problèmes rencontrés par l'administration pénitentiaire durant cet état d'urgence: le manque d'effectif. "Nous avons quelques détenus identifiés comme radicaux à Saint-Quentin. Certains se baladent dans les couloirs en costume traditionnel afghan et d'autres distribuent leurs revues religieuses. On ne peut pas toujours les isoler et on ne va pas aller chercher la confrontation avec eux. Il y a des chances que cela se termine en altercation et nous ne sommes pas assez nombreux pour les gérer", rajoute le secrétaire général adjoint de l'Ufap Unsa-Justice.
Le manque de communication entre la police et la prison durant l'état d'urgence pose également problème selon lui. "Le chef d'établissement, a appris via la presse que de nouveaux détenus radicalisés étaient arrivés", poursuit Alain Chevallier. D'ailleurs, Saint-Quentin-Fallavier ne serait pas en mesure de donner des noms de détenus radicaux aux autorités. "Une personne est pourtant chargée de les renseigner, mais la charge de travail est telle, qu'elle ne pourrait pas l'assumer seule", selon le syndicaliste.
Sur ce point, Marie-Line Hanicot, la directrice interrégionale des Services Pénitentiaires de la région Rhône-Alpes-Auvergne, n'est pas d'accord avec Alain Chevallier. Selon elle, "il n'y a pas qu'un simple dialogue entre la police et les prisons de la région, mais un partenariat fort entre notre service de renseignement et celui de la police nationale, en termes d'échanges d'informations."
Le projet de loi de finances pour 2016 concernant la Sécurité évoque un budget intitulé PLAT (plan de lutte antiterroriste). Ce projet prévoit des créations de postes au sein de l'administration pénitentiaire dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation en prison. Si on en croit le syndicat l'Ufap Unsa-Justice, le PLAT existe déjà et n'a pas servi, jusque-là, à la création d'emplois: "Sur 84.000€, 70.000€ ont été dépensés pour distraire les détenus. Cette somme a servi à l'achat de tables de ping-pong, à la création d'atelier de sophrologie et à l'achat d'environ 350 CD, allant de Bach au rap le plus dur, en passant par Shakira. Et lorsqu'on demande pourquoi le budget destiné à la lutte antiterroriste est utilisé de cette façon, on reçoit pour réponse: parce que l'on ne sait pas quoi en faire!".Sur 84.000 euros, 70.000 euros ont été dépensés pour distraire les détenus"
Quatorze personnes recrutées
Là encore, la direction pénitentiaire de la région monte au créneau. Pour elle, le budget mis à disposition pour lutter contre le terrorisme a avant tout servi à recruter du personnel: "Le PLAT a servi, et servira, à la création de nombreux postes depuis les attentats de Charlie. En septembre, nous avons recruté quatorze personnes sur la région. Six s'occupent du suivi et du renseignement autour des détenus, notamment des investigateurs numériques, et huit travaillent en duo à l'encadrement des détenus."Suivi et renseignement peuvent sembler similaires mais ce n'est pas le cas. Le suivi des détenus passe notamment par le contrôle des ordinateurs qu'ils utilisent, qu'ils s'agissent de leur machines personnelles ou de celles mises à leur disposition lors des cours, afin de trouver d'éventuels documents radicaux. Alors que le renseignements est une observation globale de l'attitude du détenu.
Pour l'administration, il y a "des signaux faibles" et "des signaux forts de radicalisation", ces derniers étant parfois l'accumulation de signaux faibles. "Si une personne à la base sociable, n'ayant aucun problème pour discuter avec les personnels, homme ou femme, se renferme et n'adresse plus la parole aux surveillantes du jour au lendemain, on va s'interroger. Mais il faut rester prudent, et ce seul critère ne peut pas impliquer une radicalisation. En revanche, si cette personne se met à se doucher en caleçon, alors qu'elle ne le faisait pas, que l'attitude de sa femme au parloir ou sur les photos a changé, ainsi que son style vestimentaire et si cette personne se met à étudier et répéter le Coran, à longueur de journée, on va la surveiller avec attention", explique Marie-Line Hanicot.Si une personne se met à se doucher en caleçon (...) on va la surveiller"
En outre, les visites à domicile réalisées par les services pénitentiaires pour les personnes suivies "en milieu ouvert" peuvent être l'occasion de constater un certain nombre de choses au domicile du condamné.
Dans ce contexte, en prison la direction pénitentiaire confirme la mise en place d'activités de groupe dites "socialisantes", qui favorisent "le vivre ensemble". "L'oisiveté est mère de tous les vices", juge Marie-Line Hanicot, "si les détenus ne tournent qu'autour de leurs cellules et de leurs cours de promenade, il y aura forcément des tensions. Il est donc important de leur fournir des activités et de leur permettre de se changer les idées."