Coronavirus et Confinement : romanciers et éditeurs à l'arrêt en pleine saison littéraire

On parle de livres dans les conseils pratiques pour supporter le confinement, mais beaucoup d'auteurs et d'éditeurs sont en plein doute. La fermeture des librairies en Auvergne Rhône-Alpes, a stoppé net la promotion des livres sortis récemment et met en péril l'activité des maisons d'édition.

C’est comme un arrêt sur images ! Un élan stoppé en plein envol. Une mise au pilon symbolique !
On pourrait imaginer le confinement assez naturel pour un romancier. En fait la fermeture de tous les commerces hors alimentaire ou de santé et donc des librairies, décrétée le mardi 17 mars a plongé les écrivains et leurs éditeurs en plein désarroi.

Il y a d’abord les livres qui sont sortis en janvier (la deuxième grande sortie en nombre après la rentrée littéraire d’Août/Septembre). Quelques semaines de promotion, à peine le temps d’être invité en librairies ou en salons. Et puis le temps s’est arrêté. Et pour un livre, le temps qui s’arrête c’est comme une petite mort.

Une vie interrompue

« Je n’ai plus du tout envie d’écrire », nous confie Alexandre Bergamini. L’écrivain et poète, natif de l’Ain, vit le confinement dans un petit village de montagne des Alpes Maritimes. Mais la beauté et la sérénité des paysages résonnent douloureusement en lui. Après 4 ans de silence, il avait publié en novembre « Le Livre de Vivian » aux éditions Mediapop : un recueil de traces de son frère Vivian, suicidé à l’âge de 20 ans. Puis en janvier est sorti aux éditions Picquier, un éditeur arlésien « Vague inquiétude », récit d’un voyage au Japon dans lequel l’auteur semble avoir retrouvé la sérénité pour pouvoir être de nouveau au monde. Balayée, disparue cette attente fiévreuse de la sortie.

« Après la sortie, c’est là qu’un livre commence à vivre. Il y a les rencontres avec les lecteurs, il y a un regard. C’est ce qui, chez moi, va relancer la machine à écrire. Là j’ai fait deux rencontres, et point-barre ! Quatre autres ont été annulées. Mon livre est mort ».

Même sentiment de dépossession pour Philippe Videlier. Le dernier « roman d’histoire » de cet écrivain et historien lyonnais « Rome en Noir » est sorti chez Gallimard mi-janvier. Un livre qui raconte l’histoire vraie d’un boxeur italien, assassiné à Villeurbanne au café Carrel en 1932. La victime est un admirateur de Mussolini et le crime devient vite une affaire d’Etat pour le Duce.

Comme dans chacun de ses ouvrages, le moindre petit détail raconté par l’auteur est attesté. Un travail très long. «Les premiers chapitres de ce livre, je les ai écrits en 2002. Mais il représente 20 années de recherche de documentation », explique Philippe Videlier. « Bien évidemment ce qui se passe dans les hôpitaux ou ailleurs relativise le destin des productions artistiques. Mais je ne vois pas bien comment ce livre peut revivre. Il est déjà très difficile d’exister à côté des « auteurs-phares ». Là c’est comme si un peintre terminait une toile et ne l’exposait jamais ! J’ai toujours beaucoup de mal à sortir d’un livre une fois terminé. Mais sans processus, sans cette rencontre gratifiante avec les lecteurs, je ne peux pas avancer. »
 

En attendant, ils écrivent…

Déception légèrement atténuée pour Pierric Bailly. Les Enfants des Autres », son 5e roman, publié chez P.O.L. a « eu le temps d’exister un peu », reconnaît l’écrivain lyonnais. Quelques articles dans Le Monde, Libération ou Télérama…mais une dizaine de festivals ou de rencontres en librairie annulées. Et des projets d’adaptation cinématographique tombés à l’eau mais qui restent en suspens comme une promesse. « Je pense surtout à ceux dont les livres sortis en mars », ajoute Pierric Bailly. 

C’est justement le cas de Sébastien Berlendis. « Mon roman (« Des Saisons Adolescentes » aux éditions Actes Sud) est sorti le 4 mars. Il a eu à peine 10 jours de vie. J’en espérais beaucoup, c’est un petit chagrin. D’autant qu’il était bien parti. » Un texte qui tient particulièrement à cœur de ce professeur de philosophie au lycée de Charbonnières. « J’avais comme matière 35 fragments de mémoire adolescente dont beaucoup écrits par mes élèves. Je me suis inspiré de leurs souvenirs, avec leur accord, que j’ai mêlés aux miens ».

Malgré tout, Sébastien Berlendis tout comme Pierric Bailly sont dans l’écriture d’un nouveau roman.

Des éditeurs inquiets

Du côté des éditeurs, l’inquiétude est à la mesure du nombre de parutions annuelles.
Pierre-Jean Balzan, directeur et fondateur de La Fosse aux Ours, n’est pas un inquiet de nature. Mais cette fois, la publication d’un des 5 ouvrages que sort cette petite maison d’édition chaque année est compromise. Le polar d’un auteur Italo-estonien Arnaud Saar « La neige sous la neige », sorti début mars, est désormais inaccessible. Et qui dit confinement dit absence de chiffre d’affaires. Et plus encore, « avec les retours du distributeur, on va même être en négatif ». Une perte sèche qui ne sera pas compensée par les nouveautés. « J’espère au moins pouvoir bénéficier d’une aide ! ».

Chez ActuSF, éditeur spécialisé dans les littératures de l’imaginaire, basé à Chambéry, on fait contre (très) mauvaise fortune bon cœur. Les 4 salariés continuent de travailler en s’adaptant à la situation. Son directeur a du mal à oublier les cartons de stocks qui dorment dans les locaux : 7 livres devaient paraître en mai dont celui de Jean-Laurent Del Socorro, « La Guerre des 3 Rois ».

Un peu avant le confinement, plusieurs événements publics ont été annulés. Et ça ne s’est pas arrangé depuis : Quai du Polar à Lyon, les Imaginales à Epinal et même Etonnants Voyageurs à St Malo. « Cela représente 3 mois de chiffre d’affaires perdus pour l’instant. Et ce n’est pas fini car il faut quand même verser les à-valoir promis aux auteurs», commente Jérôme Vincent. « Le redémarrage sera très difficile. Et puis on en est réduits à ne pouvoir faire que des hypothèses pour recaler les sorties ».


Nouvelles sorties ?

Pour l’éditrice Liana Lévi, installée à Paris, qui devait publier le roman d’une Drômoise, Valérie Paturaud, l’interrogation est la même : reprogrammer une sortie en mai ? En juin ? « Jusqu’au bout je vais me poser la question », dit-elle. « Financièrement, pour nous la décision la plus difficile à prendre a été celle de suspendre la parution des « Piccolo » notre collection de poche. Mais aujourd’hui je veux rester optimiste : le nombre de morts commence enfin à baisser en Italie, en Espagne et même un peu en France ! »

Son auteure, Valérie Paturaud qui vit à Dieulefit dans la Drôme est d’autant plus déçue que « Nézida » qui devait sortir le 2 avril, est son premier roman. « Je ne suis pas une jeune écrivaine, j’ai 62 ans et ce livre était un rêve que je n’osais imaginer. La déception est grande maintenant que je peux mesurer l’engagement qui est nécessaire pour écrire et publier. »

Alexandre Bergamini, lui, exhorte les éditeurs à « ralentir », à « arrêter la machine » pour donner une seconde chance aux romans du premier trimestre en même temps que ceux dont les sorties sont repoussées. « J’espère que mon livre aura une vraie vie après », renchérit en écho Sébastien Berlendis.
 

Des raisons d’espérer

Vendredi 3 avril, le Centre National du Livre s’est réuni en urgence  pour décider de la répartition des 5 millions d’euros d’aide octroyés par le ministère de la culture.
Selon l’éditrice Liana Levi qui est aussi membre du CNL, 3 millions dans un premier temps vont être distribués aux éditeurs, aux librairies et aux auteurs.
Les maisons d’édition éligibles seront celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 euros par an, donc les petites maisons…à condition qu’elles aient bien réglé les droits aux auteurs. Les écrivains eux, pourraient bénéficier d’aides au titre de travailleurs indépendants.

De son côté, la région Auvergne-Rhône-Alpes s’emploie à aider les entreprises y compris culturelles par un fonds d’aide voté mercredi 1er avril.
Par ailleurs, région et DRAC ont adopté comme chaque année le principe d’attribution de bourses d’aide à l’écriture : 6 côté direction régionale des affaires culturelles, 8 pour la région, qui investit ainsi dans ce processus 50 000 euros. Une aide qui sera prochainement votée en commission permanente. 
 
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