L'heure des premiers carnavals a déjà sonné dans les Alpes italiennes. Un défilé de 600 figurants costumés dans les rues d'Aoste a suscité, dimanche, l'enthousiasme de milliers d'habitants et de nombreux touristes. D'ici à la fin février, plus d'une vingtaine de défilés maintiendront cette tradition séculaire.
"Depuis le temps qu'on l'attendait ici, à Aoste, ce défilé !" Interrogée par nos confrères de la Rai (télévision publique italienne) de la vallée d'Aoste, c'est une retraitée tout sourire qui saluait le retour, dimanche 7 janvier, après plusieurs années d'absence, du défilé de carnaval dans la ville capitale de la petite région alpine francophone.
Une vitrine de tous les carnavals de la vallée
"Traditionnellement, le défilé d'Aoste est le premier de tous les carnavals organisés dans la vallée", explique Alice Franchino, l'organisatrice de l'événement. "À cause du Covid d'abord, puis de la difficulté à bloquer une date avant toutes celles qui sont déjà prises, il n'avait pas pu avoir lieu depuis quatre ans."
Dans ces conditions, il ne serait venu à l'idée de personne de manquer le grand retour du carnaval dans les rues de la vieille ville. En ce premier dimanche de 2024, aucun des groupes folkloriques des 22 communes qui organiseront des défilés d'ici la fin février ne manquait à l'appel.
"On avait également invité des groupes de tout l'arc alpin italien. Du Piémont, de Ligurie...", précise Alice. "Mais ce sont surtout les Valdôtains qui ont répondu présent."
"Moi, c'est surtout pour le groupe 'lé Beuffon' de Courmayeur que je suis venue", assure une dame arborant fièrement des traces de rouge à lèvres sur les joues. "Je suis originaire de là-haut. Alors, quand je les rencontre ici, à Aoste, ça me rend toujours heureuse et ça me donne encore plus envie de participer à la fête".
Avec leur costume coloré et leur chapeau de type haut de forme, rouges et bleus aux rubans ruisselants de coloris chamarrés, les "Beuffon" ont fière allure.
D'autres groupes portent des costumes beaucoup plus solennels, historiques souvent. "Moi, je ne suis qu'un simple garde, explique un jeune homme arborant lance au poing et cotte de mailles. Mais j'ai derrière moi tous les grands Seigneurs, descendants de la noble famille de Quart", une commune de la périphérie d'Aoste.
Des costumes venus du plus lointain de l'histoire
Un peu plus loin dans le défilé, une scène renseigne sur les origines des costumes des quelque 600 personnages qui passent sous les yeux, souvent éblouis et médusés, des 4 000 à 5 000 spectateurs.
"Mais qu'a donc fait cet homme pour se retrouver prisonnier d'un carcan lui enserrant tête et mains ?", demande un touriste à un bourreau encagoulé. "Il a détroussé des passants, alors on a dû le mettre là-dedans", répond, en étouffant un rire, l'homme en noir.
Preuve que l'on peut encore rire des grandes misères subies par nos ancêtres, eux qui n'avaient que peu d'occasions de prendre de la distance vis-à-vis de la rudesse de leur propre existence.
"Ce que nous avons voulu proposer avec le retour de ces 'carnavals de montagne' à Aoste, c'est un grand voyage ethnographique et historique au cœur de notre culture populaire", a expliqué le président du Conseil de la vallée d'Aoste, Alberto Bertin, à nos confrères du quotidien Aosta Sera. "Afin de mieux faire comprendre aux touristes mais également aux Valdôtains eux-mêmes ce phénomène qui reste un vrai ciment pour notre communauté montagnarde".
Rendez-vous en février avec les "Landzette"
S'il est un lieu qui symbolise mieux que d'autres cet attachement tout particulier à la tradition des défilés de carnaval, c'est bien la vallée du Grand Saint-Bernard. Dès la mi-janvier et jusqu'à la fin février, pas une seule commune de ce sillon alpin menant vers la Suisse ne manquera d'organiser son grand défilé du "carnaval historique de la Cumba Freida".
De Bionaz, le 14 janvier, en passant par Valpelline, le 20 janvier, et jusqu'à Saint-Rhémy-en-Bosses, du 11 au 13 février : partout dans les villages, les "Landzette" envahiront ruelles et placettes.
Les "Landzette", ce sont ces personnages masqués, flanqués de costumes surchargés de couleurs et coiffés d'un bicorne, comme pour mieux se moquer des soldats de Napoléon traversant le col du Grand Saint-Bernard en 1800 qui ont inspiré leurs tenues. Dans les villages, les hameaux, ils entreront dans les maisons pour manger et boire avec les habitants, avant de retourner danser en ribambelles dans les rues.
Une façon de rire de soi et de ses racines, qui, on l'aura compris, ne se limite pas à la seule période napoléonienne. Au cours de son histoire, la petite vallée des Alpes a vu passer bien des grands conquérants. On ne l'a oublié ni à Pont-Saint-Martin, porte de sortie de la vallée d'Aoste vers la plaine du Po où le carnaval costumé rappelle l'invasion romaine dans les Alpes, ni à Verrès où le défilé en costume moyenâgeux fait faire au public, toujours plus nombreux chaque année, un saut dans le temps de 500 ans pour un joyeux bal conclut par un vibrant : "Vive madame de Challand !"
Un cri lancé en l'an 1450 et parvenu jusqu'à nous par la grâce d'un "mardi gras" plus que fêté chez nos voisins valdôtains, littéralement vénéré.