Covid-19 : "Tous dépistés avant Noël", l'idée de L. Wauquiez suscite des inquiétudes

La Région Auvergne-Rhône-Alpes lance sa grande opération de dépistage dans tous ses départements. Une initiative cadrée par une convention avec l'ARS mais qui engendre de l'inquiétude chez certains professionnels de santé. Ils redoutent "un effet boomerang". 

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La Région Auvergne Rhône Alpes, avec à sa tête son président LR Laurent Wauquiez, a présenté ce jeudi 10 décembre le dispositif d'organisation d'une grande opération de dépistage prévue du 16 au 23 décembre.

Intitulée "Tous dépistés avant Noël", l'initiative "permettra à la région de prendre une longueur d'avance" sur le virus, a justifié son président. Ce dernier a tenu à préciser que l'action s'inscrit bien dans la politique nationale de santé. L'arrêté publié en novembre 2020 "recommande d'organiser des dépistages collectifs". Les actes seront donc "intégrés entièrement dans le système d'Assurance maladie", a insisté Laurent Wauquiez qui, -au passage-, a exprimé son étonnement face aux commentaires contestant l'opération, et relayés récemment par les médias.

Quel dispositif ?

Ouverts à tous et gratuits, ces tests seront de deux types. Des tests antigéniques, dont le résultat sera délivré dans les 30 minutes, et des tests PCR avec un résultat sous 24 heures. La Région annonce avoir acquis 2,2 millions de tests antigéniques "avec une parfaite rigueur d'achat". Elle estime aussi qu'environ 300.000 tests PCR seront effectués par les laboratoires. L'ensemble coûterait 13 millions d'euros à la Région, "auxquels s'ajoutent 5 millions d'euros de matériel de protection et 1 autre million de matériels divers", selon Laurent Wauquiez. L'ensemble des actes réalisés par les soignants seront, eux, remboursés par la Sécurité sociale.

Les opérations se dérouleront sur différents sites. "En priorité, nous avons programmé les lieux d'enseignement, soit les lycées publics et privés", a expliqué le président. Viendront ensuite les entreprises, et les centres de sapeurs-pompiers. Des tests auront également lieu dans des sites administratifs, comme les Hôtels de Région ou au siège du Département du Cantal. Enfin, des lieux de passage ont été choisis : 16 gares SNCF, 37 grandes surfaces.

301 communes sont partenaires, notamment pour organiser des centres de dépistage durant 3 jours. Enfin, "pour répondre aux problèmes de déserts médicaux", Laurent Wauquiez annonce que 40 cars de dépistages se rendront directement dans les zones rurales pour proposer des dépistages.

"Il s'agit d'une opération logistique gigantesque", a conclu le président de Région, "nous avons mobilisé 15.000 personnes et nous mettrons en place une hotline avec 50 personnes à disposition."

Je suis triste que le maire de Lyon n'ait pas souhaité être notre partenaire. (...) Cela me fait de la peine.

Laurent Wauquiez

Même encadrée par l'Etat, cette initiative a déjà suscité des réactions de scepticisme de la part des villes de Lyon et Villeurbanne. Les deux municipalités estiment que le timing n'est pas le bon et ont, -en vain-, demandé son report en janvier.

"J'attends toujours la réponse officielle du maire de Lyon", a détaillé Laurent Wauquiez à la presse, tout en sachant que Lyon ne sera pas partie prenante dans cette opération. "Nous serons de toute façon présents dans la ville, même sans leur participation. Nous aurons des sites à l'Hôtel de Région, dans les gares, et au Musée des tissus. Et nous serons aussi accueillis dans les mairies d'arrondissement du 2e et 6e. Je suis triste que le maire n'ait pas souhaité être notre partenaire. Dans ces opérations, il n'y a pas d'étiquette politique. Cela me fait de la peine."

Des professionnels de santé inquiets

Il n'y pas que des élus pour s'opposer à ce dépistage de grande ampleur. Juste avant les fêtes, certains professionnels de santé redoutent déjà "l'effet boomerang". Selon eux, un test négatif pourrait être interprété comme l'autorisation de faire moins attention aux gestes barrières. Le retour de bâton serait pour janvier. 

Mais il y a aussi un problème d'organisation qui pointe.    

Trois professionnels de Bourg-en-Bresse, dans l'Ain, ont accepté de parler de leurs doutes : un pharmacien, une généraliste et un biologiste.

Peur d'être débordés
"Nous allons participer à cette opération mais à la hauteur de nos moyens. Notre objectif étant de rendre les résultats dans les 24 heures (pour les test PCR), on ne va pas participer de manière massive au risque de rendre les résultats à nos patients symptomatiques (et cas contacts) dans un délai qui dépasserait la journée", prévient le biologiste Sébastien Boiste.

Il n'est pas le seul à redouter d'être débordé. "On redoute un afflux massif de personnes qui vont logiquement vouloir se faire tester suite à ces annonces", explique Brice Lefèvre, pharmacien, qui pratique les tests antigéniques. "On entre dans une période où on n'est pas structurés pour ça. On a des collègues en vacances, c'est normal, et une forte activité. Il y a de nombreuses pathologies, et les médecins sont eux aussi souvent absents. En gros, on a peur de ne pas pouvoir cumuler nos missions habituelles avec cette campagne."

Les médecins, déjà submergés par les téléconsultations Covid, craignent eux-aussi de ne pouvoir cumuler les missions.

"On a énormément d'appels. Il y a toute une gestion derrière chaque test, qu'il soit positif ou négatif. Le médecin traitant est un élément de confiance vers lequel se tournent les gens quand ils ont besoin d’informations. Donc, en plus des conseils délivrés officiellement par l'Assurance maladie ou l'ARS, nos patients ont besoin d'un contact avec nous. Cela entraîne toute une gestion téléphonique, de conseils, de suivi et de ré-assurance après un test, notamment positif. Et, lorsque le résultat est négatif, les gens se demandent si le test était bien fiable ou tout simplement ce qu'ils peuvent faire ensuite. C'est un gros volume de travail supplémentaire", témoigne Céline Le Bihan, médecin généraliste.

"On est plusieurs médecins à craindre les effets de cette opération de dépistage. Certes, elle nous paraît pertinente pour révéler les cas qui s'ignorent et nécessitent d'être mis en retrait, mais toutes ces personnes vont solliciter le système de santé en général, médecin, pharmacien, infirmière. On ne pourra pas assurer nos missions normales, les maladies aigües, les pathologies chroniques et, en plus, ce dépistage. La région Auvergne-Rhône-Alpes n’est pas homogène. Il existe des déserts médicaux où il sera impossible d'assumer la masse de travail que cela va entraîner", alarme Céline Le Bihan. 

Si elle ne s'estime légitime pour se prononcer sur l'opportunité d’une telle opération, la généraliste en exprime les limites. "C'est la pire période. Un certain nombre de confrères vont probablement prendre des vacances bien méritées. En tant que médecin, je n’ai pas envie de choisir entre mes patients."

"Il ne faudrait pas que cela vienne accélérer l'arrivée d'une troisième vague"

Au-delà de l'organisation, ce que redoutent médecins, pharmaciens et biologistes, c'est le sens même de ce dépistage massif avant les fêtes.

"Ce plan va révéler des cas positifs, en particulier des asymptomatiques qui auraient pu être contaminants. Mais ce sera quand même énormément de tests pour trouver très peu de cas", pense le biologiste Sébastien Boiste.

"Après, j'ai vraiment peur de l'effet boomerang. Inconsciemment, les gens qui auront un résultat négatif se sentiront forcément rassurés, et ensuite participeront à une baisse de la vigilance. Il ne faudrait pas que cela vienne accélérer l'arrivée d'une troisième vague."

Tous ces professionnels craignent finalement que ces tests ne fassent oublier la prudence individuelle.

"Ce qui est important : un test négatif, deux jours ou trois jours avant les fêtes, ne privera pas de respecter les gestes barrières. Ce qui reste le seul moyen d'éviter la contamination."

Le pharmacien partage la même inquiétude. 

"Aujourd'hui, certains de nos patients se disent 'je vais voir papy et mamy, je me fais tester juste avant pour pouvoir me convaincre que tout est ok'. En réalité, si on a un test négatif, il faudrait se mettre dans une bulle jusqu'aux retrouvailles. Et on sait que ce ne sera pas le cas. En ce moment, les gens prennent rendez-vous pour un test comme s'ils réservaient un billet de train pour les vacances."

Brice Lefèvre, pharmacien

Un test n'est pas une protection

Pour tous, il s'agit de rappeler qu'un test ne constitue nullement une garantie, comme le précise le biologiste Sébastien Boiste. "Négatif, ça veut dire quoi ? Au moment de votre test, on ne trouve pas de virus au niveau du nasopharynx. Mais le délai d'incubation est de 3 à 7 jours, et vous pouvez aussi vous contaminer le lendemain. Au final, les jours qui suivent votre test, on ne peut pas savoir si vous êtes toujours négatif ou pas. En clair, un test négatif ne prédispose pas du tout de l'avenir. Le risque est bien présent vis à vis des lycéens qui vont être testés une semaine avant les vacances. Ils vont probablement baisser leur vigilance et rencontrer des amis. Les jours qui restent avant le réveillon correspondent pile au temps d'incubation. Si ces jeunes deviennent positifs, ils vont infecter toute la famille."

Ces experts insistent par ailleurs sur la fiabilité relative de certains tests. "Les tests antigéniques ont une sensibilité un peu moins bonne. Un test négatif n'est donc pas un laissez-passer pour vivre les fêtes sans un masque ni un geste barrière", prévient Céline Le Bihan.

Quid du suivi des personnes testées

Lors de la conférence de presse de la Région, Laurent Wauquiez a annoncé avoir signé une convention avec l'Agence Régionale de Santé pour encadrer cette opération. Il a déclaré avoir informé personnellement le Premier ministre Jean Castex.

La gestion du suivi de ces tests sera donc l'affaire de l'Etat, "dont c'est la compétence", via notamment l'Assurance maladie à qui incombe le travail de tracing des cas positifs. Laurent Wauquiez a toutefois précisé que chaque personne testée dans le cadre de cette opération aura droit à "une feuille de sensibilisation pour réactiver les bons réflexes"

Au nom de l'ARS, le Docteur Grall a, lui, confirmé la nécessité de "respecter impérativement les gestes barrières après ces tests, qui ne constituent pas un passeport pour faire n'importe quoi pendant les fêtes"

Reportage

 

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