Quatre ans après une attaque au couteau qui avait tué deux hommes et blessé cinq personnes à Romans-sur-Isère (Drôme), deux juges d'instruction antiterroristes ont ordonné un procès pour assassinats et tentatives d'assassinats terroristes contre l'assaillant, un réfugié soudanais souffrant de troubles psychiatriques.
Dans la matinée du 4 avril 2020, pendant le confinement, Abdallah Osman Ahmed avait tué à l'arme blanche Thierry N., client d'une boucherie âgé de 54 ans, et Julien V., un commerçant de 43 ans. Il avait également blessé cinq personnes au fil de son périple meurtrier dans le centre-ville.
Selon les témoins de l'attaque, il avait agi sans prononcer "la moindre parole","le regard vide", et avait "l'air hypnotisé" et "possédé", restant "très calme", est-il relaté dans la dernière contre-expertise, signée le 20 juin 2023. L'état psychique de ce réfugié soudanais âgé actuellement de 37 ans a été au cœur des investigations menées au pôle antiterroriste du tribunal de Paris. Deux des trois expertises psychiatriques réalisées entre 2020 et 2023 ont conclu l'altération du discernement de l'assaillant.
30 ans de réclusion criminelle encourus
Avec une altération du discernement, le mis en cause ne risque plus la perpétuité, mais 30 ans de réclusion criminelle. La deuxième expertise, datée du 7 novembre 2022 et consultée par l'AFP, avait au contraire établi "l'abolition" de son discernement, car il "présentait, depuis des semaines avant les faits, un tableau psychiatrique associant des symptômes délirants de persécutions (hallucinations auditives), une anxiété massive, un sentiment dépressif (tristesse, pessimisme, idées suicidaires, repli à domicile, amaigrissement)".
"Si le trouble mental qualifié par les experts d'accès psychotique aigu paranoïde hallucinatoire au moment des faits n'est contesté par aucune des expertises, il n'est néanmoins pas avéré qu'il ait été le seul élément à l'origine du déclenchement du passage à l'acte", notent les deux juges d'instruction dans leur ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises spéciale, signée mardi et consultée par l'AFP. "Ce trouble associé au déracinement et à l'isolement dont souffrait M. Osman Ahmed accentué par le début du premier confinement sanitaire a fait partie des éléments déclencheurs du périple", ajoutent-ils.
Grande détermination
Les deux magistrats soulignent "la grande détermination de l'auteur", "la violence inouïe des scènes d'agression", "le mode opératoire", ainsi que "le choix de certaines de ses victimes" et "une forme de rationalité" dans l'attaque. Selon eux, "ce passage à l'acte trouve sa justification dans une allégeance et une revendication en lien avec le jihad islamique, bien qu'il n'ait été retrouvé aucun contact avéré de l'auteur avec des membres de cette organisation et que son passage à l'acte n'ait pas en tant que tel été revendiqué". La veille des faits, l'assaillant "a posté des écrits en lien avec l'idéologie de l'islam radical et justifié ainsi l'acte qu'il s'apprêtait à commettre", est-il écrit dans l'ordonnance. Des fichiers et des images de propagande en lien avec l'idéologie jihadiste ont été retrouvés dans son téléphone portable.
Aucun souvenir
Au fil des interrogatoires, le Soudanais a indiqué ne pas avoir conservé de souvenirs du déroulé des faits. Il a dit avoir agi en réponse à "des voix qui lui enjoignaient de se délivrer". Diplômé en droit et cultivateur, il a quitté son pays pour raisons économiques et a obtenu en France le statut de réfugié le 29 juin 2017. Sa femme, elle, est restée au Soudan. Il n'était pas connu pour appartenir à une organisation terroriste. Et, relèvent les juges d'instruction, Abdallah Osman Ahmed a "toujours vécu selon les préceptes de l'islam sans jamais pour autant se situer dans une démarche islamiste". Mais"son mode de vie a été profondément bouleversé par l'immigration et le confinement a renforcé son sentiment d'isolement par contraste avec l'environnement dans lequel il avait grandi et évolué avant son arrivée en Europe". Le déracinement, la solitude, l'absence de spiritualité sont "des éléments (qui) ont pu constituer le terreau sur lequel s'est attaché le mobile terroriste islamique auquel Abdallah Osman Ahmed a adhéré", soulignent les deux juges d'instruction antiterroristes.
Les avocats d'Abdallah Osman Ahmed n'ont pas réagi dans l'immédiat.