Délinquance des mineurs : est-il légal de supprimer les aides sociales aux familles ?

Une mairie a-t-elle le droit de supprimer des subventions à certaines familles, lorsque l'un des enfants est un mineur délinquant? A Valence, le maire LR Nicolas Daragon en est convaincu, et balaye l'avis contraire que vient de publier la Défenseure des droits Claire Hédon, saisie par la députée Lrem de la Drôme Mireille Clapot.

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Le conseil municipal de Valence a voté, le 14 décembre 2020, une mesure qui se veut dissuasive à l'égard des fauteurs de troubles : « Toute famille dont un des membres fait l'objet d'un rappel à l'ordre ou d'une condamnation pour trouble à l'ordre public se verra privée d'aides sociales de la ville ».  

Cette délibération controversée avait été votée par le conseil municipal de Valence, deux mois après un épisode de violences urbaines sur la commune. Les aides municipales concernées sont notamment le chèque culture, le chèque sport, des soutiens destinés aux étudiants ou des aides facultatives du CCAS comme l'aide alimentaire. Cette «mesure de bon sens» vise à «responsabiliser les familles» de «ceux qui nuisent à leur quartier et à leur voisinage», elle a été conçue comme «un signal d'alerte pour ceux qui troublent l'ordre public», estime alors le maire LR de Valence Nicolas Daragon.  

Une idée que combat la députée Lrem de la Drôme Mireille Clapot, à l'origine - avec le président du parti En Commun ! Philippe Hardouin- de la saisine de la Défenseure des Droits Claire Hédon, dont l’avis rendu récemment va dans le même sens. Ce lundi 14 février 2021, cette dernière a recommandé à la Ville de Valence d'abroger cette mesure. La députée s'en félicite.  

« Quand on veut lutter contre des infractions au droit, il faut être dans le droit. Et ne pas produire des délibérations avec des sanctions illégales. On ne punit pas un frère, une sœur, pour des parents. On ne peut pas faire de sanction arbitraire. Il faut qu’il y ait toujours du contradictoire, et un lien entre le fait et la sanction », commente Mireille Clapot. « Et surtout, il existe un texte international qui s’impose à tous et qui exige de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. Moi aussi, je déplore tous les agissements contraires à la loi, la violence, les caillassages, incivilités etc… Mais il faut les combattre avec des armes légales. »

Un manque d'invidualisation de la sanction     

              

Dans sa recommandation, la Défenseure des Droits s'inquiète de l'"imprécision» de cette mesure et d'un «dispositif particulièrement opaque et peu lisible». Sur le fond, selon elle, la sanction contrevient à «l'intérêt supérieur de l'enfant»: «la privation d'un secours financier accordé à une famille en difficulté (....) n'est pas de nature à stabiliser la situation financière de cette famille», notamment si elle compte d'autres enfants «en rien concernés par les agissements du fautif ou de la fautive», estime-t-elle. Mme Hédon relève également que cette disposition méconnaît le «respect d'une procédure contradictoire», aucune voie de recours n'ayant été prévue par la municipalité.  

Je ne vais pas analyser la position de la famille à chaque fois !

Nicolas Daragon, maire Lr de Valence

Pas de quoi déstabiliser le maire LR de Valence. «Cela ne me fait absolument pas changer d’avis sur le sujet », confirme-t-il, avant de remettre directement en cause la Défenseure des droits en personne. « Elle a clairement des positions assez surprenantes sur plusieurs sujets, comme les contrôles d’identité. On sait quelle est sa vision de la société » assène-t-il.  

Concernant les sept pages « d’avis juridique » rédigées par la concernée, il estime « qu’il s’agit uniquement d’un avis. On est face au juridisme, qui s’oppose au bon sens. Le bon sens, c’est de dire que les impôts payés par mes concitoyens ne vont pas servir à financer des activités pour des mineurs délinquants. »  

Et tant pis si l’avis alerte sur un amalgame possible entre l’auteur de faits et les autres membres de la famille, pas forcément impliqués. « Quand je verse une aide, je la verse aux parents. Ce sont bien ces parents, qui sont absents de l’éducation de leurs enfants, que je vise. » Et tant pis si les frères et sœurs éventuels sont punis sans avoir rien fait de mal. « Je ne vais pas analyser la position de la famille à chaque fois ! » explique l’élu LR, qui a sa vision très précise des familles concernées : « Il y a trois types de famille. Celles qui sont lucides et qui acceptent les mesures éducatives, celles qui ne sont pas lucides parce qu’elles ne comprennent pas. Pour celles-là, on y arrive en expliquant, en faisant traduire, car, pour être clair, il y a parfois la barrière de la langue. Enfin, il y a les familles qui font de la provocation. Elles nous expliquent que leurs enfants sont des chérubins exceptionnels et qui n’ont rien fait de grave, même quand on le prend la main dans le sac. »

C’est cette troisième « catégorie » que Nicolas Daragon assume de punir à sa façon, et globalement. « Ce sont les parents qui décident du destin de leurs enfants, finalement. »  

Légal ou pas légal ?

Sachant qu’il est question de supprimer des aides municipales, « qui n’existent pas dans 95% des communes », il estime par ailleurs que "la mesure est légale", le tribunal administratif ayant rejeté un recours en première instance puis en appel.

Faux, rétorque la députée Mireille Clapot : « Il déforme malheureusement la réalité. Les recours ont été rejetés pour vice de forme, et non pas sur le fond. Je pense à cette formule « errare humanum est perseverare diabolicum». Nicolas Daragon se trouve pris dans une spirale où il ne veut pas se dédire. Il ne veut pas reconnaître ses erreurs. Tout cela est très ambigu. Punir une famille pour des faits commis par un individu n’est pas légal. La défenseure le dit : il y doit y avoir individualisation des peines. Et les aides au sport, ou à la culture, par exemple, participent de l’intérêt supérieur de l’enfant. »

L’élue attend un retour en arrière «A présent, la défenseure des droits a dit le droit. Certes, cela n’a pas de valeur contraignante. Mais à charge pour le maire de prendre ses responsabilités et de dire clairement s’il veut passer outre une telle décision », estime Mireille Clapot.  

Je ne crois pas que cet avis rappelle l’ordre des priorités

Nicolas Daragon balaye ces arguments. « L’intérêt supérieur d’un enfant, je le mesure à l’aune de l’éducation qui lui est donnée. Et pas de l’argent versé par la commune aux parents… Si les parents n’éduquent pas leurs enfants, je pense que c’est là que leur intérêt est mis en cause. Ce qui veut dire que l’on est vraiment dans la caricature totale. Je ne crois pas que cet avis rappelle l’ordre des priorités » répond-t-il.  

En réalité, cette idée de sanction n’a jamais été réellement appliquée. La simple menace aurait, jusqu’ici, amplement suffit à remettre les choses en ordre. « Quand on reçoit les familles dans le Conseil des droits et des devoirs des familles, on rappelle, notamment au 3ème type de famille, que, si elles ne rentrent pas dans les mesures éducatives, elles s’exposent à la suppression des aides, voire à la résiliation du bail d’habitation, lorsque leur mineur est mis en cause pour avoir troublé la tranquillité dans son immeuble. »  

Un effet "dissuasif efficace"

Le maire confirme que pas moins de 40 baux d’habitations en été ainsi dénoncés depuis 2014, sur ce fondement. « C’est alors la justice qui décide de dénoncer le bail, parce qu’on apporte des éléments. » Nicolas Daragon estime que l’ensemble fonctionne très bien « Dorénavant, j’ai 100% des familles qui acceptent les mesures éducatives, contre 70% auparavant. »  

Au final, le conseil municipal aurait donc pris cette délibération pour se contenter d’en utiliser « l’effet dissuasif » ? « Exactement. Cela signifie que j’ai atteint mon objectif. Ce n’est pas de faire 1000 euros d’économie ou de terroriser les enfants, mais que ces derniers aient un cadre éducatif. »    

Au-delà de la légalité, il y a toutes les conséquences au niveau de l’image

Mireille Clapot, députée Lrem de la Drôme

Une démarche qui inquiète la députée de la Drôme : « Cela me semble être un terrain dangereux. Au-delà de la légalité, il y a toutes les conséquences au niveau de l’image. Et tous les troubles que cela peut entraîner dans l’esprit de ceux qui ne respectent pas la loi… puisque, finalement, le maire ne la respecte pas plus. » Ce que réfute, là-aussi, le concerné. « Je respecte le droit. Quelle décision de justice est venue contredire la délibération de mon conseil municipal ? A voir les réactions de la population, je peux vous dire qu’on a tous un avis bien différent de l’analyse de la Défenseure des droits. »  

Un thème de campagne électoral

Les échéances électorales étant proches, Mireille Clapot place désormais cette affaire sur l’échiquier des idées politiques. « Il y a une certaine « zemmourisation » des esprits. C’est Eric Zemmour qui a remis cette idée de « supprimer les aides sociales aux familles de délinquants» dans le débat public, fin janvier. Maintenant que le droit est dit, si Nicolas Daragon reste sur ses positions, cela devient une prise de position politique. J’espère qu’il va revenir à la raison » réclame la députée.  

« Moi, je n’ai pas d’échéance électorale », répond le maire de Valence. « Je rappelle que Mireille Clapot était membre du PS pendant 25 ans avant de basculer chez Emmanuel Macron trois jours avant les législatives de 2017. Pas de leçon de girouette politique. »  

Une idée populaire à droite

Le sujet est récurrent. Cette décision de supprimer les aides de la ville avait déjà été prise par une autre mairie de droite de la région : Alexandre Vincendet, maire LR de Rillieux-la-Pape, près de Lyon, avait en effet également soumis cette idée à son conseil municipal. Mise en place en 2018, cette mesure a abouti à la convocation d'une trentaine de jeunes en deux ans par les équipes de la municipalité. Sur ces trente cas, 3 familles se sont vues supprimer les aides pendant un an, après avoir refusé d'être accompagnées.   

A noter également qu'un des premiers partis à avoir initié cette idée était le Rassemblement National, qui, dans son dernier livre blanc pour la sécurité, sorte de pré-programme électoral de Marine Le Pen pour 2022, propose qu'en cas d'acte d'incivilité, «une sanction visera les parents, par suppression totale (par exemple en cas de récidive) ou partielle des allocations familiales et sociales, prononcée par le Parquet à titre provisoire et définitif par le juge.»

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