"Ce qu’on nous balance systématiquement, c’est que, de toute façon, les garçons seront toujours plus forts que les filles" dénonce Marion Poitevin, première femme membre des chasseurs alpins, et aujourd'hui guide de haute-montagne à Chamonix. Portrait-vertige dans "Vous êtes formidables" sur France 3
Elle est amoureuse des sommets… Guide et secouriste en haute-montagne, Marion Poitevin est fondatrice et présidente d’un club alpin 100% féminin. Née à Nancy, en Lorraine, elle est arrivée dans le monde de la montagne, à l’âge de 6 ans. « J’ai grandi en Haute-Savoie. Chamonix est à 40 minutes, en train. On est au vraiment au pied du massif du Mont-blanc. C’est le plus haut sommet de l’Europe, avec les plus belles courses d’alpinisme. »
Un rêve d'enfance
La montagne a toujours fait grandement partie de ses rêves de gamine. « Quand j’étais ado, j’habitais en fond de vallée, à la Roche-sur-Foron. Le samedi après-midi, je prenais mon vélo pour grimper la colline au-dessus de chez moi. Et je marchais jusqu’au sommet d’une roche pour pouvoir scruter le Mont-blanc. J’étais contente et je redescendais satisfaite. Habiter à Chamonix était vraiment un rêve d’enfance », confirme-t-elle.
A 15 ans, elle participe à sa première course en montagne. « Je faisais déjà de l’escalade depuis la 4ème, au collège. Je faisais partie d’une classe plus axée sport et compétition, donc j’avais un bon niveau. Mon papa en avait un peu pratiqué dans le passé, mais je ne l’ai su que bien plus tard. En fait, ses sports favoris, c’était surtout le parapente et le deltaplane. Mais il avait un peu la flemme de jouer les alpinistes, de dormir dans un refuse avec des couvertures qui piquent et se lever à deux heures du matin pour marcher sur un glacier…», s’amuse-t-elle. « Mais bon, à force de lui demander, il a cédé et on est allés ensemble. »
Yes u can
A l’âge de 17 ans, elle réside une année aux Etats-Unis, à Boulder, dans le Colorado. Implantée à 1 665 mètres d'altitude, cette grande ville est située dans la vallée de Boulder, où les montagnes Rocheuses rencontrent les Grandes Plaines. Boulder est célèbre pour ses Flatirons, une chaîne de montagne qui surplombe la ville. Ces formations se présentent sous la forme de grandes facettes rocheuses inclinées vers la plaine.
C’est aussi dans cet état que se situe le Mont Elber, le plus haut sommet des Rocheuses, qui culmine à 4400 mètres. « Ce sont des vieilles montagnes toutes rondes, où il n’y a plus vraiment de glaciers. Mais j’y ai beaucoup pratiqué l’escalade, et j’y ai découvert la wilderness (ou naturalité en français, désigne aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon le caractère « sauvage » de la Nature. Ndlr). Ce sont des grandes étendues sauvages. On trouve des maisons dans toutes les vallées. Ces grands espaces immenses m’ont vraiment mis des étoiles dans les yeux. J’ai adoré cette ambiance. »
Il y a des mots comme le « leadership », que l’on ne peut pas traduire en français
Elle y fait ses études dans une high-school américaine. « J’ai appris à parler anglais… Ce qui, je pense, me permet de comprendre un peu mieux le Monde entier… et j’y ai vécu un état d’esprit particulier… Ces fameux « Yes, you can » et « Go for it », ou encore « Follow your dreams »… Là-bas, échouer n’est pas grave, c’est même bien. Ça veut dire qu’on a essayé. Il y a des mots comme le « leadership », que l’on ne peut pas traduire en français. »
Autant de notions qui vont remotiver Marion. « Avant de partir, je voulais devenir prof de maths. Et, en rentrant des USA, j’ai changé d’avis. Prof de maths, je savais que je pouvais le devenir, donc ce n’était plus un challenge. Je savais que je voulais être dehors, sans savoir exactement quoi y faire. » Elle rejoint finalement la faculté des langues étrangères durant deux ans à Grenoble. Avant, enfin, de rejoindre Chamonix « pour faire de l’alpinisme à fond ».
En regardant les statistiques, je me suis aperçue qu’il fallait que je sois plus forte que 100 bonhommes
La première femme guide de haute-montagne a été reconnue seulement en 1983. Il a fallu attendre trente années pour que les 15 suivantes soient formées… En 2014, Marion Poitevin est la 17ème femme à obtenir, en France, le fameux diplôme. On compte aujourd’hui 1700 guides actifs dans le pays, dont 30 femmes diplômées. « Au départ, je ne voulais pas faire guide. Cela m’ennuyait d’aller emmener des gens qui marchent tout doucement en montagne. Dans le jardon des guides, on appelle ça « la bosse », pour évoquer le sommet du Mont-Blanc », sourit-elle. « Mais ma mère m’avait expliqué qu’il fallait passer des diplômes, en France, pour être reconnu. Donc j’ai décidé de valider mes compétences techniques. Mais cela n’a été si simple. En regardant les statistiques, je me suis aperçue qu’il fallait que je sois plus forte que 100 bonhommes. »
Et pourtant, Marion ne se considère pas forcément, à cette période, en compétition avec les hommes. « En 4ème, j’étais déjà une femme, réglée, avec la même taille qu’aujourd’hui. Et pour autant, pour avoir la même note qu’un garçon, je devais courir moins vite. Je ne trouvais pas cool pour certains garçons, qui m’arrivaient à peine à l’épaule, et qui n’avaient pas encore passé la puberté, d’avoir à courir plus vite pour avoir la même note que moi. » Une forme de vieux préjugé sexiste, selon notre athlète. « Ce qu’on nous balance systématiquement, c’est que, de toute façon, même si tu es entraînée, les garçons seront toujours plus forts que les filles. C’est ce que disent les barèmes sportifs depuis toujours.»
Mais si vous regardez dans beaucoup de pays du monde, les femmes travaillent dur, et portent de grosses charges. Et le font toute leur vie.
Se battre contre les préjugés est-il pour autant l’un des moteurs de Marion ? « Il y a des jours où le challenge est intéressant. Et d’autres où c’est épuisant », reconnaît-elle. D’autant qu’il n’y a pas d’argument objectif qui justifie que les femmes soient moins nombreuses que les hommes à exercer cette profession. « A l’époque, pour être guide, il fallait être capable de redescendre son client sur le dos, notamment en cas de blessure. Le matériel était beaucoup plus lourd. Tout était beaucoup plus difficile. Mais si vous regardez dans beaucoup de pays du monde, les femmes travaillent dur, et portent de grosses charges. Et le font toute leur vie. En tout cas, lorsqu’elles y sont obligées, elles savent le faire.»
Première femme "chasseur alpin"
Ce diplôme n’était pas la première conquête de cette femme courageuse. En 2008, elle est devenue la première femme « chasseur alpin » au Groupement militaire de haute-montagne (Gmhm). Une expérience éprouvante. « Là, j’étais dans le groupe d’élite de l’armée française, la vitrine des performances en haute-montagne. C’était une place enviée par d’autres. Les critiques sont venues assez vite, disant que j’avais été prise parce que j’étais une femme. C’est vrai que j’ai un niveau technique moins élevé, mais j’étais la première femme à ce moment-là. Ils m’ont donné ma chance et c’est vrai que je n’ai pas été soutenue par tous. » Même si Marion a tout de même pu compter sur des personnes ressources. « Il a fallu notamment que le commandant du Gmhm Thomas Faucheur estime qu’après 40 ans sans femme, il était temps de donner l’opportunité à l’une d’elles de tenter l’expérience. Et pourquoi pas, après tout ? »
Son combat contre la discrimination
Autre épreuve difficile dans le parcours de Marion Poitevin : au moment où elle a voulu avoir un enfant, un de ses sponsors a décidé de lui réduire drastiquement son aide financière. Marion ne s’est pas laissée faire. « Je lui ai fait un rappel à la loi. J’avais effectivement une dotation de matériel de 2500 euros. Lorsque j’annonce ma grossesse à 3 mois, je ne sais pas encore si je vais avoir ce bébé, car une femme enceinte est toujours confrontée à beaucoup d’inconnues. Ce sponsor m’annonce alors, par mail, que j’aurais seulement 1000 euros, prétextant que j’étais enceinte et que je n’allais donc… pas faire grand-chose ».
Elle vit mal cette réaction. « Moralement, j’ai trouvé cela très dur. J’ai trouvé gonflé qu’une grande marque française économie 1500 euros de matériel sur mon dos. Alors je lui ai rappelé l’article 225-1 du code pénal, portant sur la discrimination. La peine maximale, c’est trois ans de prison et 45000 euros d’amende. J’ai reçu un contrat la semaine suivante » sourit-elle, tout en précisant qu’à la fin de l’année, elle a tout de même été sortie de l’équipe. « Selon eux, je n’étais pas assez performante et pas assez communicante...».
Le quotidien de Marion, qui travaille aujourd’hui pour le Ministère de l’Intérieur, est très sportif. « Je m’entraîne. Je fais du ski de randonnée, du ski alpin, et de l’escalade pour garder un bon niveau technique pour pouvoir intervenir en montagne. On a une semaine dite de « première alerte ». On n’est pas loin de l’hélicoptère. Le secours en montagne correspond aux endroits où les pompiers ne pourront pas accéder par voie routière ou pédestre. Donc nous allons chercher les gens. En grosse saison, on peut faire jusqu’à 6 à 8 interventions par jour. » Le reste du temps, elle est placée en « seconde alerte ». Ce sont les gendarmes qui prennent le relais.
Elles me posent des questions très personnelles, sur la gestion de la famille, la grossesse, les règles menstruelles. Avec moi, elles peuvent poser ces questions
La transmission est aussi une part importante de son métier. « J’ai vraiment à cœur de montrer à d’autres jeunes femmes que ce métier est possible et accessible. Elles auront un modèle. Je suis passé par là, et cela permet de démystifier tout ça. Elles me posent des questions très personnelles, sur la gestion de la famille, la grossesse, les règles menstruelles. Avec moi, elles peuvent poser ces questions», rassure-t-elle.
En 2018, Marion a créé une cordée 100% féminine « lead the climb ». Elle y propose, notamment, des moments de formation entre femmes. « Aujourd’hui, on compte beaucoup de femmes dans les fédérations sportives de montagne, soit 40% d’adhérentes. Mais on constate que, plus on monte dans la cordée, c’est-à-dire la place de leader, et moins on en trouve. Il fallait leur donner un espace temporel. »
En France, selon Marion Poitevin, seulement 10% de femmes sont actuellement responsables de sortie, et 15% présidentes de club. Et à peine 2% de guide professionnelles. Et pourtant, les études montrent que les femmes prennent statistiquement moins de risques.
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