Mont-Blanc. "Cela fait des décennies que le différend perdure" : juristes et historiens tentent de sortir de la controverse sur la frontière franco-italienne

Une inscription du Mont-Blanc au patrimoine de l'identité européenne ? C'est l'une des propositions faites lors de la rencontre internationale de juristes, historiens et sociologues français et italiens organisée ce lundi 25 mars à Courmayeur (Italie). Ces spécialistes ont tenté de tracer des pistes juridiques afin de sortir de la controverse sur la frontière la plus haute d'Europe.

"Quelles initiatives entendez-vous prendre pour protéger l'intérêt national et la souveraineté de l'Etat italien dans les régions du Mont Blanc ?"  La harangue date de 2020. Elle est signée d'un député du parti nationaliste italien, Francesco Lollobrigida, à l'adresse du gouvernement de l'époque. Elle fait suite à un été de tension, entre France et Italie, sur la frontière du Mont-Blanc.

En question : les arrêtés municipaux pris en France par les communes de Chamonix et Saint-Gervais pour interdire l'atterrissage en parapente sur leurs territoires. Et en particulier au sommet du mont Blanc, puisque, comme chaque écolier français l'a appris à l'école : "le sommet le plus haut d'Europe se trouve en territoire français"...

Vue par la presse transalpine, la décision des deux maires haut-savoyards est aussitôt relatée comme un nouveau "coup de menton" français, qui s'applique d'ailleurs au téléphérique de la pointe Helbronner à la sortie duquel passe la ligne frontière, et au refuge Torino : deux structures à gestion italienne... D'où ce énième épisode de tension.

Une évidence française... mais pas italienne

Des tensions qui ont toutes la même origine : un tracé de la frontière mettant en France le sommet du mont Blanc qui "ne respecterait pas le traité de Turin de 1860, donnant la Savoie à la France". C'est depuis toujours la version italienne. 

"Cela fait des décennies que le différend perdure", explique Robert Louvin, professeur de droit public comparé à l'Université de Trieste (Italie), ancien président de la Vallée d'Aoste et coauteur du livre Mont Blanc : une montagne sans frontière

"Il est grand temps qu'une approche scientifique fasse la lumière sur cette question, sans se laisser embarquer dans des visions chauvines trop souvent observées dans nos pays respectifs".

A l'invitation de la "fondation Courmayeur", ce lundi 25 mars, c'est à plus de 2000 mètres d'altitude, dans l'une des salles de la gare d'arrivée du tronçon intermédiaire du téléphérique menant à la pointe Helbronner que le premier pas a été fait. Juristes français et italiens des Universités de Trieste, Turin, Savoie-Mont Blanc, mais aussi, historiens et sociologues du Centre d'études sur l'arc alpin occidental, ont mis en commun leurs expertises pour tenter de trouver une solution durable à ces différends récurrents.

Une souveraineté partagée

"En résumé, toutes ces tensions viennent de ce que les conditions d'accès à une zone d'environ 80 hectares de glacier sous soumises à deux approches différentes", continue Robert Louvin. "Or, un sommet comme le mont Blanc devrait être un espace de partage, pas un lieu de confrontation".  

"Quand on cherche ce qui pourrait marquer des différences entre territoires français et italiens, on est bien obligé de constater que l'on n’en trouve pas", explique pour sa part Philippe Billet, directeur de l'institut de droit de l'environnement à l'université de Lyon, qui participait au colloque.

"On a la même faune, on partage la même eau, on partage le même climat, les mêmes problématiques de réchauffement climatique... Alors on se demande vraiment ce qui nous empêche encore de travailler ensemble dans le même espace, qui est, de par sa nature, déjà un espace partagé", s'interroge Philippe Billet.

Une double inscription comme un premier pas

De belles intentions, mais qui resteraient lettre morte sans une feuille de route. D'après ces spécialistes du droit, les instruments juridiques existent : "Le premier pas serait de proposer l'inscription du sommet du mont Blanc au registre du patrimoine européen", explique  Michele Vellano, professeur de droit européen à la faculté de Turin. "Ce serait l'occasion de donner une dimension vraiment européenne à ce territoire transnational".

Une démarche qui pourrait se faire parallèlement à l'inscription du patrimoine naturel transfrontalier du massif du Mont-Blanc à l'Unesco, et s'appuierait sur une structure juridique déjà testée ailleurs en Europe.

"Dans les Dolomites, sur la frontière entre l'Italie et la Slovénie, ou entre le Mercantour français et le Parco alpi marittime dans le Piémont italien, des groupements européens de coopérations territoriales (GECT) permettent d'adopter une gestion plus souple des territoires transfrontaliers", explique encore Robert Louvin. "D'engager, par exemple, des actions communes concertées et donc plus efficaces. En matière de normes d'urbanisme, mais aussi de protection de l'environnement ou de gestion des flux touristiques".

Un dernier point qui n'est pas sans intérêt quand, chaque été, les montées en masse de cordées vers le toit de l'Europe, chauffent parfois au rouge les relations entre les deux pays du Mont-Blanc.

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