Depuis début février, pour certaines raisons communes avec leurs homologues français, les agriculteurs italiens ont envahi les rues de grandes villes de la péninsule avec leur tracteur. Ils se sont même invités au micro de l'évènement médiatique de l'hiver italien, le festival de la chanson de Sanremo.
L'Allemagne, la France et maintenant l'Italie. La colère des agriculteurs ne connaît plus de frontières. Depuis lundi dernier, les membres du Comité des agriculteurs réunis (CRA, Comitato Riuniti Agricoltori, ndlr) tentent de coordonner l'action des dizaines de comités de la péninsule.
Les agriculteurs, dont certaines revendications sont semblables à celles de leurs homologues français, ont même reçu une invitation pour venir s'exprimer devant des millions de téléspectateurs à l'occasion du festival de la chanson le plus célèbre d'Italie : Sanremo.
Nous y ferons entendre nos préoccupations, nos peurs et notre fatigue... Pour continuer à avoir foi dans l'avenir de notre activité.
Comité "Riscatto agricolo" (Rédemption agricole)
C'est ainsi que dès ce matin, au départ de la banlieue de Milan mais aussi de Cuneo dans le Piémont, des dizaines de tracteurs ont pris la route : direction la côte Ligure et son festival de la chanson. Une promptitude qui en dit long sur la nature d'un mouvement qui semble avoir pris toute l'Italie de cours.
Des tracteurs à Milan, Turin et même devant le Colisée
À commencer par la direction du diffuseur du festival. Lancée comme une boutade par les deux présentateurs, le 6 février dernier aux premières heures de l'événement, l'invitation a reçu un accueil trop favorable pour ne pas faire craindre des troubles lors du grand "show" de la chanson italienne.
De Milan, à Cagliari et de Bari à Rivoli, des centaines de tracteurs occupent l'asphalte des routes à l'appel de comités spontanés. Ils répondent à des noms aussi évocateurs que "Chiediamo futuro" (Nous voulons un avenir), "Riscatto Agricolo" (Rédemption agricole), ou "L'Europa deve cambiare" (L'Europe doit changer).
Mais la plus grande surprise a certainement été celle du gouvernement italien. Un exécutif convaincu, jusqu'alors, que des mesures d'exception, comme celle sur le crédit d'impôt accordé aux utilisateurs de gazole agricole, allaient épargner à l'Italie des manifestations observées ces dernières semaines dans le reste de l'Union européenne. D'autant plus que des distances ont été prises par le gouvernement Meloni avec les directives européennes encourageant à utiliser moins de produits de traitements phytosanitaires.
"Le gouvernement Meloni a promis d'augmenter de 5 à 8 milliards les aides à l'agriculture... Mais le temps qu'ils arrivent, il faudra une montagne de temps", déclarait de Cuneo, le dirigeant du comité "Agricoltura Indipendente" (Agriculture Indépendante) à notre confrère du quotidien La Stampa. "Mais notre temps, il est en train de dévisser de la paroi".
L'Europe verte dans le viseur
De son bureau de président des jeunes agriculteurs de la Codiretti, (le syndicat agricole majoritaire en Italie), Bruno Mecca Cici a senti arriver cette vague de mécontentement et de désappointement : "Cela fait un peu plus d'un an environ qu'on le sent monter, nous explique-t-il. C'est un mouvement davantage tourné contre les obligations du fameux 'green deal' voulu par l'Union européenne et toute la bureaucratie qu'elle suppose, que contre une politique agricole italienne qui nous traite plutôt mieux que celles que subissent nos confrères allemands ou français."
"Mais ici, dans le Piémont où l'on produit du riz par exemple, on ne supporte plus que des accords commerciaux comme ceux passés avec certains pays asiatiques, permettent d'importer un riz à bas coût, la plupart du temps traité à coups de pesticides et au mépris des réglementations sur le travail. Et cela, alors que l'Europe soumet nos riziculteurs à des contraintes toujours plus nombreuses", poursuit-il.
C'est la raison pour laquelle la Coldiretti, son syndicat, a préféré mobiliser ses troupes sur la manifestation organisée à Bruxelles, devant le Parlement européen, le 1er février dernier.
Sécheresse et changement générationnel
"Nous n'avons interdit à aucun de nos adhérents de participer aux blocages de ces derniers jours, pour peu qu'ils se déroulent dans le respect de la légalité, des personnes et des biens", poursuit le syndicaliste. "Mais nous n'en sommes pas le moteur." Une façon de se dédouaner de toute responsabilité en cas de débordement de mouvements de tracteurs, plus ou moins bien contrôlés par des comités, aux objectifs teintés d'idéologie politique pour certains.
La plupart des comités spontanés sont l'expression d'un mécontentement : celui d'avoir consenti à de nombreux sacrifices ces dernières années, en se faisant voler le bénéfice que l'on aurait dû en retirer.
Bruno Mecca Cici, président jeunes agriculteurs syndicat "Coldiretti Piemonte".
"Ce qui complique la donne, en ce moment, en Italie, c'est le changement générationnel qui est en train de s'opérer dans les exploitations familiales traditionnelles", explique pour sa part Massimiliano Borgia, l'organisateur d'un festival turinois sur l'alimentation.
Selon lui, ces exploitations font "face à la sécheresse extrême que nous vivons depuis au moins trois ans, aux réglementations toujours plus nombreuses qui obligent souvent à consacrer un poste de travail entier à l'administration de la ferme. Souvent incompris, aussi, des milieux citadins, les jeunes agriculteurs se sentent découragés".