Depuis mercredi et jusqu'à samedi Chamonix accueille la crème de l'alpinisme et rend hommage aux anciens.
Un "piolet d'or carrière" pour Robert Paragot
Demain soir, le piolet d'or sera remis à Courmayeur aux alpinistes ayant réalisé cette année la plus belle ascension sur l'une des montagnes du monde. Mais une autre récompense, le piolet d'or carrière, sera remise, à un alpiniste dont la carrière a été remarquable. C'est le français Robert Parago.
Ancien mécanicien et pionnier de l'alpinisme moderne, Robert Paragot, 84 ans, a bousculé dans les années 1950 l'univers fermé des sports de montagne, en s'imposant sur quelques-uns des plus beaux sommets du monde avec sa bande de "prolos" parisiens.
Soixante-deux ans après, le revoilà à Chamonix, au pied du Mont-Blanc. Ovationné et honoré par l'une des récompenses les plus prestigieuses de l'alpinisme, le "piolet d'or carrière", décerné samedi.
Pourtant, lors de son premier séjour en 1950, l'ancien réparateur de machines à écrire de la Sécurité sociale se souvient de "ne pas avoir été accueilli à bras ouverts". Avec sa bande d'ouvriers parisiens parrainés par le Comité Olympique de l'usine de Renault Billancourt, il leur fallut redoubler d'efforts pour percer dans ce monde fermé de montagnards.
"On entendait jaser, on était considéré comme des farfelus", raconte-t-il avec sa fine moustache et ses yeux rieurs. "Le problème c'est qu'à un moment donné, on a fait des choses que les Chamoniards n'osaient pas faire". Issus de la région parisienne, la plupart n'avaient jamais vu la montagne de leur vie. Comme Robert, né dans la Beauce. "Là-bas, le premier sommet qu'on rencontre, c'est les tours de la cathédrale de Chartres", plaisante-t-il.
Fascinés par les récits de Roger Frison-Roche, auteur de "Premier de Cordée", Robert et sa bande s'étaient pris de passion pour l'escalade "parce qu'il fallait bien une activité pour vivre, et non seulement exister", dit-il.
Tous leurs maigres temps libres y passent. Et c'est sur les rochers de la forêt de Fontainebleau que naît "la cordée de voyous", immortalisée par le film de l'alpiniste et réalisateur Jean Afanassieff.
C'est là aussi que Robert Paragot se lie d'amitié avec le "tout jeune" Pierre Mazeaud, un des premiers Français à gravir l'Everest et futur président du conseil constitutionnel.
L'été, les "Bleausards" (grimpeurs de Fontainebleau) multiplient les exploits sur les aiguilles du Mont-Blanc et rêvent déjà d'ailleurs. En décembre 1953, ils embarquent pour l'Argentine. Objectif: l'Aconcagua et ses 6.962 mètres.
"On avait juste notre bite et notre couteau", se souvient Robert Paragot, qui avait pris un aller simple. "On s'était dit: Ou on trouve une gonzesse là-bas, et on sera content. Ou on meurt ! ".
Accueillis par le général Peron ("un dictateur à la con, mais pour nous il était sympa"), les six alpinistes viennent à bout d'un mur de 3.000 mètres, sur lequel ils laissent doigts et orteils. L'exploit est salué par la presse internationale. "On était devenu des gens respectés et respectables", dit Robert Paragot.
Définitivement adoptés à Chamonix, les Bleausards réitèrent sur les plus grands sommets du monde, comme le Jannu, au Népal, à 7.710 mètres, en 1962. "Ils ont marqué le début de l'alpinisme moderne, léger, fluide, basé sur l'économie de moyens. Pour eux, le sommet avait moins d'importance que la beauté de la voie", souligne Yves Exbrayat, directeur de la maison de la montagne de Grenoble.
Cette économie de moyens préfigure, loin des expéditions plus lourdes des montagnards, l'alpinisme léger et rapide de Patrick Bérault, Catherine Destivelle ou Jean-Christophe Lafaille. Pour Robert Paragot, l'alpinisme est aussi synonyme d'ascension sociale. "La montagne, ça a été mon université", dit-il.
En 1964, il gagne "200.000 anciens francs" en escaladant la Tour Eiffel pour une émission de l'ORTF. Fait chevalier de la Légion d'Honneur par Georges Pompidou, officier par Jacques Chirac, il est invité en Inde par Indira Gandhi. Puis préside les plus hautes instances de l'alpinisme français, comme la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME), qu'il pousse à s'intéresser aux jeunes.