ARCHIVES VIDÉO. L'histoire du papier dans les Alpes : des premiers moulins à l'hydroélectricité, retour sur 4 siècles de l'industrie papetière

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Retour sur l'histoire de l'industrie papetière en Isère et dans les Alpes : de la Grande Fabrique de Rives à la découverte de la Houille blanche à Lancey ©France 3 Alpes / D. Borrelly - F. Ceroni - C. Fayolle

Prisées pour leurs forêts pourvoyeuses de bois et l'eau de leurs torrents capables de faire fonctionner les machines, les Alpes ont longtemps été l'un des épicentres de la production de papier en France. Retour sur cette histoire industrielle alpine en Isère.

Le Réaumont est un petit ruisseau, un cours d'eau d'un peu mois de trois kilomètres qui traverse cinq communes de l'Isère. Et pourtant, c'est grâce à son énergie que des milliers de tonnes de papier ont été produites dans la région.

Tout commence au XVIe siècle : Jean Bouilloud demande au seigneur de Rives de louer les eaux du ruisseau, affluent de la Fure. Il veut les utiliser pour fabriquer de la pâte à papier en installant des moulins.

"On faisait tourner une roue dans l'eau, les roues faisaient tourner des engrenages et c'est comme cela que l'on faisait mouvoir les machines, bien avant l'électricité", explique Carole Darnault, présidente de l'association Rives/Renage des amis de l'histoire, devant l'un des moulins isérois. 

Quand le papier se faisait à base de chiffons

Aujourd'hui, nos papiers sont fabriqués à partir de fibres de bois. Mais dans la deuxième moitié du XVIe siècle, ce sont des chiffons qui servaient à leur production, que ce soit à Rives ou dans d'autres régions voisines, comme à Cran ou à Faverges en Haute-Savoie. Le linge de maison était récupéré et on se servait alors principalement des fibres du chanvre et du lin.

À Rives, la papeterie prend une nouvelle envergure au XIXe siècle lorsque le bois devient la matière première. Le papier est alors fabriqué à partir de fibres de cellulose agglomérées, la cellulose étant la paroi cellulaire des plantes et des arbres.

Les Alpes, couvertes de forêts, s'imposent comme un lieu de production de choix. La fabrication se modernise et évolue, pour entrer dans l'ère industrielle.

Le bois, nouvelle matière première

"Tous ces hommes, tous ces entrepreneurs ont amené des technologies. L'une des évolutions technologiques extrêmement importantes, c'est le passage du papier à la feuille, au papier continu, et donc l'invention de la machine à papier par un Français, Louis-Nicolas Robert", indique Chantal Spillemaeker, historienne et conservatrice en chef du patrimoine au Musée Dauphinois.

"Petit à petit, toutes ces inventions ont amené à une mécanisation beaucoup plus importante des industries et on est passé des petits moulins aux manufactures, puis aux grandes fabriques", ajoute-t-elle.

"La Grande Fabrique" de Rives, patrimoine industriel

Au milieu du XIXe siècle, la "Grande Fabrique", la papeterie de Rives, est l'un des joyeux industriels de la région. Le site a été conservé. En prenant un peu de hauteur, il est facile d'en distinguer les différents bâtiments qui forment un quadrilatère et de se rendre compte de l'ampleur de cette petite ville-usine. 

Le bâtiment de production a été construit à la fin du XVIIIe siècle. Sur son flanc se trouve un aqueduc qui acheminait l'eau. Une maison de maître datant du début du XIXe siècle s'ouvre sur un parc. Derrière le logement du patron, ceux des ouvriers. Tous pouvaient lever les yeux vers la chapelle, en hauteur.

"Une grande partie des bâtiments date du XXe siècle, comme le bâtiment de la fabrication, le logement des ouvriers et sur ce côté-là, celui où l'on faisait sécher le papier", précise Carole Darnault, la présidente de l'association Rives/Renage des amis de l'histoire.

Le célèbre papier photo BFK et Kodak

En 1820, les frères Blanchet qui possèdent la papeterie s'associent à Jean-Antoine Didier Kléber. Ensemble, ils développent des papiers de qualité, réputés dans le monde entier, et notamment un support pour la photographie qui porte leurs initiales : le papier BFK (Blanchet Frères Kléber). Il fera la renommée de la papeterie de Rives jusqu'aux Etats-Unis où il est utilisé par l'Américain Kodak.

"Nadar, Lebret, Disdery, tous les grands photographes ont acheté du papier de Rives et cela s'est vendu à travers le monde entier pendant des dizaines d'années", explique Carole Darnault. À l'instar de ses homologues, installées un peu partout dans les vallées alpines, la papeterie de Rives va connaître son apogée au tournant du XXe siècle.

Aristide Bergès et l'invention de la "houille blanche"

Non loin de là, à une cinquantaine de kilomètres de Rives, au nord-est de Grenoble, Aristide Bergès installe une râperie de bois à Lancey en 1869. 

"Il utilise l'énergie hydraulique pour faire fonctionner ses défibreurs, des appareils râpant le bois afin d'en faire de la pâte à papier. Il établit à cet effet une conduite forcée de 200 mètres de dénivelé sur le torrent de Lancey. L'eau qui y est captée fait alors tourner une turbine, entraînant les machines", détaille-t-on à la maison Bergès, le musée départemental qui lui est consacré à Villard-Bonnot.

Quelques années plus tard, en 1882, dans cette vallée du Grésivaudan, l'ingénieur originaire de l'Ariège a une idée qui va révolutionner l'industrie.

La révolution de l'hydroélectricité

"Aristide Bergès a eu un rôle conséquent mais il avait beaucoup de concurrents : les Matussière, les autres papetiers de Domène... ils étaient tous venus pour râper du bois, pour installer des défibreurs et des râperies", raconte l'historienne Chantal Spillemaeker.

"Lui a eu l'idée géniale de connecter l'énergie hydraulique des lacs au-dessus de la Combe de Lancey dans des conduites forcées qui arrivaient à des turbines et ce sont ces turbines qui ont, à la fois, actionné les machines et produit de l'électricité. Donc les papetiers sont à l'origine aussi de l'hydroélectricité".

Aristide Bergès présentera ensuite "cette énergie renouvelable qu'il exploite dans son usine et qu'il baptise 'houille blanche', lors de l'Exposition universelle de Paris en 1889". 

Les années 1970 et la concurrence du plastique

Au XXe siècle, les papeteries font les frais de la mobilisation des ouvriers pendant les deux guerres mondiales. On fait alors appel à une main-d’œuvre, italienne, arménienne, espagnole. À Rives, ce sont les Russes blancs qui contribuent à faire tourner l'usine.

Mais au fil des décennies, les avancées technologiques viennent mettre à mal ces industries locales. Le progrès continue sa course, balayant sur sa lancée l'âge d'or du papier. Et dans les années 1970 survient le choc pétrolier.

"C'est là que tout change. D'abord, on n'a presque plus besoin du bois des forêts alpines parce qu'on va chercher des pâtes à papier dans les pays du nord. Il y a beaucoup de concurrence et le papier est aussi concurrencé par le plastique", explique poursuit Chantal Spillemaeker.

Les papeteries mettent la clé sous la porte

À Rives, la dernière papeterie a définitivement tourné la page en 2011. À Lancey, l'usine a fermé ses portes en 2008. Le site, hanté par des décennies de labeur, est dans un état de décrépitude avancé, au grand dam de ses anciens ouvriers.

Sur la vingtaine de papeteries que comptaient l'Isère et les Savoie dans les années 1960, seules six ont survécu. Elles ont dû, pour cela, innover et investir dans les marchés de niche, à l'instar des papeteries rachetées par le cimentier Vicat, à Vizille.

"C'est intéressant, à Moirans par exemple, toutes les papeteries sont devenues des usines plasturgiques", note Chantal Spillemaeker. "Et maintenant, on est dans un contexte nouveau : on ne veut plus de plastique et on se remet au papier et au carton".

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Au centre technique du papier à Saint-Martin-d'Hères, 120 chercheurs étudient les moyens de remplacer le plastique par du papier ou du carton dans les emballages ©France 3 Alpes / D. Borrelly - F. Ceroni - C. Fayolle

Le papier, au centre des recherches pour la transition écologique

L'histoire du papier n'est donc pas terminée. Car pour aider les industriels à revenir en arrière, les chercheurs du Centre technique du papier (CTP), à Saint-Martin-d'Hères, réfléchissent aux moyens de fabriquer des emballages et des contenants en carton ou en papier, sans plastique.

Chromatogénie ou soudures par ultrasons sont à l'étude pour rendre les produits résistants à l'eau et les débarrasser de la colle, nocive pour l'environnement (voir le reportage ci-dessus). 

Les chercheurs du CTP en sont convaincus, le papier a un rôle clé à jouer dans la transition écologique. Ils rappellent, en effet, que "la cellulose est le polymère naturel le plus abondant sur Terre".

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