Sur la vingtaine de papeteries que comptaient l'Isère et les Savoie dans les années 1960, seules six ont survécu. Elles ont dû, pour cela, innover et investir dans les marchés de niche, à l'instar des papeteries rachetées par le cimentier Vicat, à Vizille, en Isère.
Pour fabriquer du papier, il faut d'abord un cours d'eau. Ici, à Vizille, aux pieds des massifs de l'Oisans et de Belledonne, les premiers moulins à papier sont apparus au cours du XVe siècle, sur la Romanche. En 1593, ils deviennent la propriété du Duc de Lesdiguières.
Comme dans toutes les autres vallées alpines, la papeterie se développe au fil du temps, au gré des avancées techniques. Le site ressemble à bien d'autres : à deux pas de l'usine, la maison de maître : "C'est la maison où vécurent les membres de la famille Perron qui était propriétaires de ce site", indique Pierre Bonnet, le directeur des papeteries de Vizille devant la demeure.
"Celle-ci était à proximité immédiate de l'usine", confirme-t-il. "Vous avez d'un côté le parc, de l'autre côté l'usine, le bruit de l'usine, et la capacité à y aller immédiatement, à chaque fois qu'il s'y passait quelque chose."
En 1824, la première machine à papier en continu
La première machine à papier moderne a été installée à Vizille il y a tout juste deux siècles, en 1824. Elle permet de passer de la production du papier à la feuille, aux immenses rouleaux de papier en continu.
Les engins de production ont évolué pour laisser place à la PM5, un mastodonte installé en 1975, toujours en service. Dans les hangars, des montagnes de cellulose, fibre issue de résineux et de feuillus français ou d'eucalyptus du Brésil, attendent d'être transformées.
Sur le pont au-dessus de la machine, Anne-Sophie Ajas détaille le processus : "Là, c'est la pâte à papier qu'on a raffinée, qu'on a transformée, qu'on a travaillée, pour fabriquer le papier que l'on souhaite. Chaque recette est spécifique au papier qu'on veut fabriquer donc on va choisir des fibres différentes en fonction du papier et on va le travailler différemment en ajoutant des colorants, des charges pour avoir le papier final avec les caractéristiques du client", indique l'ingénieure, responsable de la production.
Chaque année, l'imposante machine produit 30 000 tonnes de papier. Mais depuis quatre siècles, l'usine s'est adaptée au marché pour survivre. Difficile de concurrencer la Chine, les Etats-Unis ou le Japon, les principaux pays producteurs. 420 millions de tonnes de papier sont fabriquées chaque année dans le monde, dont un peu plus de 8 millions en France.
En 1984, le cimentier Vicat rachète les papeteries
En 1984, le cimentier Vicat rachète les papeteries de Vizille et investit dans de nouveaux outils pour développer, en plus de la fabrication traditionnelle, une activité de sacherie. Les sacs en papier kraft ont donc fait leur apparition.
"Quand on remplit un sac de ciment par exemple, ce que nous connaissons bien, le remplissage des 35 kilos se fait à très grande vitesse. Il faut que le sac soit capable de supporter ce remplissage en quelques secondes donc (avec) des résistances mécaniques assez importantes, aussi bien sur le papier lui-même que sur tout ce qui le constitue", indique Pierre Bonnet, directeur des Papeteries de Vizille.
Cinq gammes pour des marchés de niche
Sur le volet papier, l'entreprise monte en gamme et se focalise sur des marchés de niche. Ici, on fabrique par exemple des sachets de fast-food, des papiers d'emballage de la viande utilisés par les bouchers ou les fromagers, mais aussi les petits cartons sur lesquels reposent les pâtisseries, avec ce que cela comporte de recherche technique pour faire face aux variations de températures, et à l'humidité.
D'autres machines sortent des papiers pour le luxe, l'emballage ou la création. Des papiers spéciaux pour les cartes géographiques, pour de la bande à joint, ou pour des affiches sont également produits, ainsi que du papier, plus classique pour l'impression et pour l'édition.
Des papiers pour les passeports ou les chèques
L'entreprise s'est également spécialisée dans le papier pour les passeports, les chèques, la billetterie ou les visas.
Ces papiers à haute sécurité "ont une recette de fibres particulière", dévoile Anne-Sophie Ajas. "On va y ajouter des réactifs chimiques pour que le papier réagisse quand quelqu'un va vouloir mettre de la soude ou de la javel, par exemple, on va modifier la couleur du papier. Enfin, on va rajouter des fibres de sécurité, visibles et invisibles en lumière UV".
Les papeteries de Vizille font partie de la demi-douzaine d'entreprises de la filière à avoir survécu dans les Alpes, grâce à ce choix stratégique d'après Patrick Jeambar, le président du Groupement des industries papetières du Sud-Est.
Des papiers à forte valeur ajoutée
"De deux choses l'une : soit vous êtes sur des marchés volume/prix avec des outils industriels énormes ou alors vous êtes avec des petites machines à papier comme celles de Vizille, celles de Brignoud ou même celles de La Gère, à Pont-Evêque (communes de l'Isère, ndlr) où vous êtes obligés de trouver des marchés qui sont des marchés de niche avec beaucoup d'innovation, avec une forte valeur ajoutée et sur lesquels le volume n'est pas le plus important. Ce qui est le plus important, c'est la valeur ajoutée que vous apportez au produit", relève Patrick Jeambar.
Les papeteries de Vizille emploient 175 salariés et continuent d'écrire leur histoire, commencée il y a 400 ans.