Appel au secours des Restos du coeur : en Isère, l'aide alimentaire à bout de souffle face à l'inflation

Les Restos du coeur sonnent l'alarme à deux mois de leur campagne d'hiver. Depuis le début de l'année et sous l'effet de l'inflation, le nombre de bénéficiaires s'est envolé en Isère alors que les coûts de fonctionnement des associations, eux, progressent.

Les bras ne sont jamais assez nombreux. Ce mardi matin, au centre des Restos du coeur d'Echirolles, les bénévoles se relaient pour décharger la camionnette qui achemine les « ramasses », les dons issus des invendus des supermarchés du secteur. "Mais la problématique, c'est qu'il y a trop de bénéficiaires !" , s'exclame l'un des hommes en claquant la porte du véhicule.

A quelques mètres, ils se succèdent effectivement devant les cageots de pastèques, concombres et citrons. A l'échelle du département, 2023 aura ainsi vu le nombre d'inscrits bondir d'environ 30% - jusqu'à 50% dans certains centres de l'agglomération grenobloise. "On est passés de 320 familles en hiver, à 400 familles toutes les semaines en été, expose Nicole Dyck, la responsable du site. Ça fait 1 200 personnes, c’est une progression énorme ! Malheureusement les denrées n’ont pas la même progression. Il arrive un moment où il y a étouffement."

L’alimentaire prend 5% et pour [les bénéficiaires], c’est pareil. Les loyers, c’est pareil. L’énergie, c’est pareil, comme le chauffage... Et c’est encore pire pour eux que pour nous !

Nicole Dyck, responsable du centre d'Echirolles

Parce qu'elle augmente le nombre de personnes à accueillir mais aussi ses frais de fonctionnement - à commencer par le prix des denrées achetées, soit environ un tiers du stock -, l'inflation frappe de plein fouet l'association créée par Coluche en 1985. Au point qu'invité dimanche au journal télévisé de TF1, son président Patrice Douret craignait d'être contraint à réduire l'accueil en distribution cet hiver. Voire "devoir fermer d'ici trois ans". Même inquiétude dans le centre isérois : "Si c'est ouvrir pour donner deux oeufs par famille, ce n'est pas la peine !", se désespère sa responsable.

Baisse des dons

Voir les Restos du cœur vaciller constitue "une très mauvaise nouvelle pour tout l’écosystème" associatif, regrette de son côté Françoise Dessertine. A la Banque alimentaire de l’Isère, qu’elle préside, les comptes devraient pouvoir être à l’équilibre en fin d’année. Mais "on se cramponne", car ici aussi, on constate une hausse alarmante du nombre de bénéficiaires (+ 20% au premier trimestre 2023, deux fois plus que la moyenne nationale).

Si le réseau "tient bon", c’est aussi parce qu’il fonctionne en effet grâce à des dons de nourriture, directement auprès des grandes surfaces ou via les collectes grand public. Mais dernièrement, "l’approvisionnement se dégrade". La part de nourriture achetée augmente, et donc la fragilité face à la hausse des prix. "Il nous manque 50 000 L de lait pour terminer l’année, cite Françoise Dessertine. Et c’est directement à cause de l’inflation."

Etudiants, mères isolées, travailleurs

Un exemple choisi à dessein. En 2020, 11,3% de la population du département se situait sous le seuil de pauvreté selon l’Insee. Or dans les files d'attente des distributions, les bénévoles remarquent de plus en plus de familles monoparentales et de travailleurs en contrat, à temps partiel notamment. Des étudiants aussi : cette année, ils ont été confrontés à une augmentation du coût de la vie de 6,47%, selon l’étude annuelle publiée par l’Unef. Une "hausse inédite en 10 ans d’enquêtes réalisées", pointe le syndicat qui insiste sur la part de l’alimentation dans cette explosion des dépenses (+ 14,3%).

Conséquence : "Les étudiants qui viennent nous voir sautent de plus en plus souvent des repas", soupire Camille Pagiras. La jeune femme est bénévole à Génération précarité, créée en 2020 dans le sillage de la crise du Covid. Depuis, ses volontaires distribuent de la nourriture sur le campus de Grenoble environ une fois par mois. Les dons collectés en magasins fournissent environ 300 à 500 étudiants, accueillis sans condition de ressources.

On commence dès la mi-septembre, quand les étudiants arrivent sur le campus pour leur pré-rentrée. Parce que c’est aussi une période de dépenses fortes avec l’entrée dans le logement, l’achat des fournitures scolaires, etc. On sait qu’on doit être présent dès cette période.

Camille Pagiras, bénévole à Génération précaire

A deux semaines de reprendre les distributions, la bénévole s’attend à voir "un plus grand nombre d’étudiants en détresse". "On ne peut pas augmenter le nombre de personnes qu’on aide parce qu’on sait qu’on a un plafond sur la capacité de collecte qu’on peut faire et de distributions qu’on peut effectuer", déplore-t-elle.

Tous en appellent à un sursaut des pouvoirs publics et "à prendre la mesure de la précarité alimentaire". Depuis le cri d’alarme des Restos du coeur, les promesses d’aides s’additionnent : 15 millions d’euros par l’Etat, 10 par la famille de Bernard Arnault, propriétaire du numéro un du luxe LVMH… Des annonces qui attendent leur concrétisation. Au centre d'Echirolles, on sait déjà que les "ramasses" seront insuffisantes pour garnir les paniers de légumes jusqu'à la fin de la semaine.

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