A La Rinconada, au Pérou, quelques dizaines de milliers d'habitants vivent à 5 300 mètres d'altitude. Des conditions de vie à la limite de la tolérance humaine que des chercheurs de Grenoble veulent étudier pour mieux comprendre les effets du manque d'oxygène sur l'organisme.
Jusqu'à quel point le corps humain peut-il s'adapter à l'altitude ? C'est la question à laquelle une équipe de chercheurs grenoblois tente de répondre. Pour ce faire, les scientifiques ont voyagé jusqu'en Amérique du Sud, dans la ville la plus haute du monde : La Rinconada, au Pérou. Après plus d'un mois passé là-bas, à 5 300 mètres d'altitude, l'heure est aux premiers résultats, mais surtout aux observations sur leur propre organisme.
"Les premières sensations qu'on a, c'est d'abord le mal des montagnes, ce qu'on peut avoir quand on escalade le Mont Blanc... mais là-bas, on n'y reste que quelques nuits alors qu'à La Rinconada où on est restés plusieurs semaines, il y a les maux de crane, l'usure due au manque d'oxygène... Le sommeil est très perturbé aussi, on développe une apnée du sommeil", énumère Samuel Vergès, porteur du projet et ancien sportif de haut niveau. Chercheur à l'INSERM, il étudie depuis 15 ans les effets de l'hypoxie, c'est-à-dire le manque d'oxygène dans l'organisme humain, dans son laboratoire HP2, au sein du CHU Grenoble-Alpes.
Baptisé "Expédition 5300", le projet coordonné par Samuel Vergès vise à étudier les populations locales qui vivent à l'année à La Rinconada. Une ville improbable, qui a surgi de la montagne... pour en extraire de l'or. Les habitants y survivent dans des conditions extrêmes : pas d'eau courante, aucune végétation, un taux d'oxygène diminué de 50% par rapport au niveau de la mer. A la limite de la tolérance humaine.
Premiers résultats "hors normes"
Et cette expédition est une première : jamais des chercheurs ne s'étaient penchés sur l'hypoxie des quelque 50 000 habitants de La Rinconada. S'il faudra attendre plusieurs mois avant d'obtenir les premiers résultats concrets, quelques observations semblent déjà inédites.
"En effectuant certaines mesures, on se rendait compte qu'elles étaient hors normes, probablement du jamais vu, estime Samuel Vergès, également docteur en physiologie. Les prises de sang sont très difficiles à faire : le sang sort difficilement car ces habitants ont des quantités énormes de globules rouges. Ils en produisent tellement que le sang devient visqueux, quasiment pâteux. On voit tout de suite, rien qu'à la couleur, qu'on a affaire à un sang très particulier."
Le scientifique se rappelle des particularités physiques propres aux habitants de cette ville : "leur faciès est marquant d'emblée, ils sont violacés, on voit visuellement que le manque d'oxygène les affecte". Leur état de santé les préoccupe également car le manque d'oxygène a de nombreux impacts négatifs, notamment dans l'apparition de certaines maladies et la diminution de l'espérance de vie. Et comme aucune donnée médicale n'existe encore sur cette population, tout est à faire.
"Tout un tas d'adaptations remarquables ont été mises en places pour permettre à cette population de vivre à une telle altitude. Mais en même temps, certaines sont telles qu'elles en deviennent délétères, comme la quantité de globules rouges qui a des effets secondaires au niveau des vaisseaux sanguins par exemple, reprend le docteur Vergès. Pour faire circuler un sang aussi visqueux, les vaisseaux sont tellement dilatés qu'ils n'ont plus aucune marge, donc ils sont dans une tension maximale face à ce manque d'oxygène."
Traitements médicaux en vue
L'objectif pour les Grenoblois : revenir avec des pistes ou même des traitements médicaux pour aider ces Péruviens à vivre mieux dans des conditions si extrêmes. "Au niveau des traitements on a quelques pistes. Après, on pourra aussi leur donner des conseils de comportement, comme trouver des solutions pour redescendre régulièrement. On a aussi en tête la création d'un dispensaire franco-péruvien pour soutenir la population locale et pour former aussi les futurs médecins", projette Samuel Vergès.
Des recherches qui pourront également aider les personnes souffrant de certaines maladies respiratoires ou toutes celles vivant à basse altitude qui peuvent souffrir du mal des montagnes. Au coeur de leur projet : "Comprendre pourquoi certains habitants tolèrent cet environnement mieux que d'autre", résume le scientifique, estimant qu'il pourrait être la clé d'avancées médicales.
Mais il faudra d'abord attendre le résultat des analyses, prévu pour la fin de l'année 2019. Et juste après : retour au Pérou pour l'équipe de scientifiques grenoblois pour effectuer de nouveaux tests. Mais aussi pour retrouver les habitants de La Rinconada qui occupent toujours "une partie de [leur] tête et de [leur] coeur".