Annoncée par le gouvernement pour accompagner la sortie du confinement, l'application Stop Covid suscite déjà de vives polémiques. Nathalie Devillier, professeure à la Grenoble École de management, pose le cadre légal d'un tel dispositif.
De la Corée du sud à la Pologne en passant par Israël, le traçage numérique est une arme de choix développée par les autorités face à l'épidémie de nouveau coronavirus. La France travaille elle aussi sur une application qui permettrait d'"identifier les chaînes de transmission" du virus : Stop Covid.
Cet outil sera utilisée sur la base du volontariat et uniquement pendant l'épidémie de Covid-19, a assuré le gouvernement. "Personne ne pourra retracer qui a été infecté, ni qui a infecté qui", répète Cédric O, le secrétaire d'État chargé du Numérique. Le but du dispositif, qui doit être lancé pour accompagner la sortie du confinement, est de "prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif, afin qu’elles se fassent tester elles-mêmes, et si besoin qu’elles soient prises en charge très tôt, ou bien qu’elles se confinent", a-t-il ajouté dans un entretien au Monde.
Mais la peur de voir ses données personnelles spoliées demeure. Et la crise sanitaire a tendance à "exacerber les craintes", relève Nathalie Devillier professeure de droit à la Grenoble École de Management (GEM). "Le backtracking (traçage numérique, NDLR) organisé par l'Etat est perçu comme étant une menace par un nombre conséquent de citoyens", estime-t-elle, rappelant que de nombreux garde-fous juridiques existent.
Stop Covid "ne géolocalisera pas les personnes"
"La France est, avec l'Allemagne, l'un des pays où les données personnelles sont les plus protégées, étant perçues comme relevant de la vie privée", ajoute la docteure en droit, à l'origine d'un article sur le backtracking et la protection des données à travers le monde. Pas question, donc, de voir une application qui pourrait géolocaliser les citoyens sur le modèle coréen. Ni de demander aux Français de se prendre quotidiennement en selfie pour vérifier la bonne application du confinement, comme c'est le cas en Pologne.
Stop Covid "ne géolocalisera pas les personnes", martèle Cédric O, selon qui l'application va se baser sur le Bluetooth. Une technologie sans fil moins intrusive permettant d'identifier les personnes croisées, évaluant la distance entre chaque sujet en fonction de l'intensité du signal capté.
Aussi, seules les personnes ayant été en contact rapproché avec un malade du Covid-19 seront prévenues par l'application, note l'UFC-Que Choisir. Et Nathalie Devillier de préciser que les personnes la téléchargeant "devront (légalement) être informées du type de données collecté et de la finalité : à quoi vont-elles servir ? Vais-je recevoir des notifications ?"
Craintes d'une "surveillance" massive
Mais ces garanties n'effacent pas les craintes de certains activistes des libertés numériques. "Derrière les promesses d’une application décentralisée et autonome, il faut toujours redouter les terribles habitudes de l’État en matière de centralisation et de surveillance", assure Arthur Messaud, juriste à la Quadrature du net auprès de Bastamag, craignant également que le principe de volontariat disparaisse rapidement. Peu probable, selon Nathalie Devillier, arguant que "le libre consentement est un élément juridique indispensable" à la mise en service de cette application.
Dernier élément dont le gouvernement ne pourra pas faire l'économie : "Les destinataires des données devront être clairement identifiés", poursuit l'universitaire grenobloise. Il a été établi que certaines données seront anonymisées puis archivées afin de servir à la recherche médicale. Les personnes qui téléchargeront l'application devront donc en être informées.
#COVIDー19 et #backtracking
— Pr Dr Nathalie Devillier (@devilliern1) April 11, 2020
Est-il possible de concilier partage des données mobiles et respect des libertés ?
Comment pourrons nous contrôler l absence de surveillance globale des français ?https://t.co/fwSN15ZkL9 pic.twitter.com/ieTVAgalIJ
"Si l'Etat offre des garanties de sécurité des données et se montre capable de communiquer, on aura fait un backtracking digne de la France", résume Nathalie Devillier. Mais, comme toute application, des risques de cybersécurité existent. Nos confrères de L'Usine nouvelle en listent trois : le piratage de la base centrale de données où des information sont stockées, d'éventuelles failles de sécurité, de fausses applications copiant la version officielle.
"Je suis surprise que, très souvent, il n'y ait aucune distanciation entre (la personne) et son téléphone", nuance la professeure de droit chez GEM. Stop Covid n'est pas la seule application qu'il faudrait appréhender avec méfiance, selon elle. "Beaucoup de gens laissent des applications tourner en arrière-plan, utilisent les réseaux sociaux pour s'informer... Ils préfèrent privilégier ces sources, parfois douteuses, plutôt que les réseaux officiels."
On sait encore peu de choses sur cette future application de traçage numérique, si ce n'est qu'elle suscite déjà de vives polémiques. Son efficacité dépendra toutefois de son adoption par une large majorité de la population. D'après une étude de l'université d'Oxford, il est nécessaire qu'entre 60 et 75% de la population la possède pour qu'elle soit utile.