Alors que le déconfinement s'organise, certains sont encore confinés malgré eux. De nombreuses personnes diagnostiquées covid-19 sont au fond de leur lit, isolées de leur proches. Un confinement dans le confinement. Touchée par le coronavirus, une journaliste de France 3 raconte son expérience.
La France se déconfine, du moins en grande partie, mais le virus est encore bien présent, et pour certains à l'intérieur de nous. Comme il est cruel de savoir que tous sortent de chez eux alors que vous, vous êtes au fond de votre lit... ou simplement confiné dans votre chambre pour ne pas contaminer vos proches. Ou les deux.
Etre diagnostiqué(e) covid suscite un mélange d'inquiétude, d'incertitude sur à peu près tout, et d'impuissance. C'est une parenthèse, un arrêt sur image dans votre vie. Car tout devient flou, mou, élastique... Même la bande son est déformée, comme dans une vidéo au ralenti.
Un virus vicieux
Combien sont cloîtrés dans une pièce de leur appartement, de leur maison, malades sans bien savoir de quoi ? Car dans cette pandémie, point de repères. Pas de recul, encore moins de vérité.
Le pire, cette maladie-là n’est même pas gratifiante. Lorsque vous avez la grippe, vous avez la grippe. Tout le monde connaît. Mais ça… D’abord les manifestations sont si diverses, qu’au départ, c’est presque si l’on vous croit. "Tu as fait le test ? Ben non, je peux à peine me traîner jusqu’aux toilettes"… "Tu tousses? Euh... non"… "Tu as de la température ? Pas vraiment". "C’est pas la grippe ?" "Non non non, suis vaccinée". En gros, vous devez vous justifier.
Heureusement, vous n’êtes pas seule. Vous prenez des nouvelles de vos "amis de covid" et eux ont quelques fois les mêmes maux que vous. Cela donne des dialogues étranges. "Tu en es où toi ? Moi suis à J6"… "Tu as toujours mal au thorax ? Ah oui, ça oui"… "Et tes bronches ?". Vous devenez de très vieilles personnes qui se racontent leurs petits tracas.
Au fil de vos lectures et des téléconsultations avec votre médecin, vous devenez incollable sur le covid. Vous décrouvrez que l'évolution du virus est presque souvent la même chez les malades. Une première phase durant 8 jours, puis une seconde aux alentours de "J10", période sensible où peuvent survenir les complications.
Vous entamez d'innombrables correspondances qui occupent une grande partie de votre temps. Car tout le monde, famille, amis, collègues, veut savoir comment vous allez. Le problème, c'est le caractère variable de la maladie. Vous pensez aller mieux, et puis quelques heures plus tard, vous êtes plus mal encore. Du coup vous ne savez plus que dire à ceux qui vous écrivent.
C'est à en devenir superstitieux. Ce virus vous incite à l'humilité et au repentir, prêt à vous punir à tout moment.
On a beau vous dire "au moins tu seras immunisée"... Vous n'en êtes pas si sûre.
Difficile de ne pas s'angoisser quand on se sent mal sans trop savoir ce que l'on a. Mais vous en êtes consciente, vous êtes bien mieux que toutes les personnes hospitalisées, dont certaines se battent pour leur vie. Vous pensez souvent à elles. Comment pourrait-il en être autrement ? Vous avez tellement de chance. Enfin, un peu moins que ceux qui n’ont rien.
La quatrième dimension
Les 15 premiers jours, inutile d’espérer. La vie en dehors des quatre murs de votre chambre n’est plus qu’un vague souvenir. Dites adieu à votre liberté chérie du temps du confinement.
Vous vous plaigniez de vos enfants démoniaques lorsque vous étiez en télétravail. Mais aujourd’hui vous ne pouvez même plus les embrasser. A peine les regarder passer de temps en temps dans l’encadrement de la porte… Trainées de couleur filant tel le vent.
Vous êtes le fantôme de Canterville, l’esprit des Chroniques de l’oiseau à ressort, l’enfant du Sixième sens, Patrick Swayze dans Ghost… Vous vivez dans une autre dimension, à côté de votre famille qui continue à rire, manger, jouer, chanter, crier… Vous les entendez comme si vous étiez dans un bocal. Parfois, vous percevez l'écho d'une comptine. "Cours, cours, petit cochon, tu n'es pas loin, tu n'es pas loin". Mais lorsque vous essayez de parler, le son qui s’extirpe de vos lèvres est si faible qu’il se perd au loin.
Au début, vous dormez beaucoup. Et puis au fil des jours, des symptômes bizarres apparaissent. Vous avez des picotements dans le menton, les gencives et les pieds. L'impression qu'une main invisible vous prend à la gorge, vous empêche de respirer à plein poumon et vous maintient allongée. Vos forces vous ont quitté, comme ça, du jour au lendemain. Essouflée par le moindre effort, tout vous épuise. Vous êtes knock-out, vaincue, terrassée.
A tout cela s'ajoute la peur de contaminer votre famille. Votre médecin vous a confiné dans votre chambre pour 20 jours. Mais vous êtes bien forcée de la quitter de temps en temps. Et c'est là que le casse-tête commence.
Car il vous arrive de vous lever. Pour boire, vous laver. Rien n’est simple. Le geste le plus banal devient criminel. Tel Arsène, vous effacez vos traces. La bouteille de Javel ne quitte pas votre ceinturon. Poignées de porte, meubles de salle de bains, toilettes, sols, vous désinfectez tout tout tout.
Vous avez touché un objet, vous vous sentez coupable. Lequel était-ce déjà ? Vous passez votre temps à faire des retours en arrière dans votre tête. A vous rendre dingue.
Avant de tomber malade, vous avez pourtant pensé à tout. Se tenir loin des autres. Laisser vos chaussures dans votre voiture lorsque vous rentrez de reportage. Mettre vos vêtements dans un sac poubelle… Ce que vous aviez si peur de ramener sous vos semelles était en réalité à l’intérieur de vous. Et à présent, il ne doit pas en sortir.
La possibilité d'une île
Vous respectez religieusement les recommandations sanitaires prodiguées sur le site du ministère de la santé. Vous remisez vos mouchoirs, vos cotons-tiges dans une poubelle à part que vous ne jetterez pas avant 24 heures. Vous lavez vos vêtements et votre vaisselle à 60°. Mais, est-il vraiment possible de ne pas se toucher le nez et les yeux ? On peut en douter...
Bon gré mal gré, votre quotidien s'organise. Votre chambre devient votre îlot de Robinson. A côté de votre chevet, vous disposez vos livres, votre vaisselle, votre gel hydroalcolique et tout ce que vous touchez au quotidien, crème, shampoing, brosse à dent, serviette de bain, savon de Marseille... Et quelques provisions "remonte moral", tablettes de chocolat noir et gâteaux.
Vous vous constituez une petite installation à la manière des survivalistes, isolée dans votre bunker de covid en attendant la fin du siège.
Chance, vous avez un balcon. Ce petit bout de béton va devenir votre hâvre de paix durant votre convalescence. Depuis ce belvédère sur le vrai monde, vous respirez à nouveau l'air du dehors. Vous lisez dans votre chaise, au soleil, en regardant de temps en temps votre famille qui se promène tout en bas. En fond, le chant des oiseaux. Et le printemps qui arrive peu à peu avec la guérison.
NOTE :
J'ai été diagnostiquée le 31 mars. Après 5 semaines d'arrêt maladie, j'ai repris le travail. Ce texte a été écrit en partie pendant ma convalescence mais il tente de décrire le quotidien de celles et ceux qui sont malades en ce moment-même.