Mis en lumière par le film "Je verrai toujours vos visages" de Jeanne Herry, le processus de justice restaurative se met en place dans les juridictions françaises. En Isère, treize médiations ont été lancées depuis un peu plus d'un an. Rencontre avec les artisans de ce dialogue entre auteur et victime d'une infraction.
Ils sont avocats, conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, magistrats, membres d'associations d'aide aux victimes, ou ils travaillent au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Ils défendent ou accompagnent des victimes ou des auteurs d'actes criminels.
Ils suivent leur parcours avant, pendant et parfois après le procès. Ils sont des maillons essentiels de la justice, au sens global, dans notre pays. Depuis quelques mois, quelques années pour certains, ils mettent en œuvre la justice restaurative en Isère. Ils accompagnent des auteurs de faits et des victimes dans un échange direct ou indirect.
"On sait que le procès ou la procédure ne règlent pas tout. La justice restaurative peut être une façon de compléter la réparation en ouvrant un espace de dialogue", indique Cécile Gabion, avocate au barreau de Grenoble et animatrice de justice restaurative.
Pas de contrepartie, pas de remise de peine
Mise en lumière par le film Je verrai toujours vos visages sorti en mars 2023, la démarche est basée sur le volontariat, la gratuité, la confidentialité. Les auteurs des faits répréhensibles ne bénéficient d'aucune mesure d'aménagement ou d'allègement de peine. La démarche peut être aussi bien initiée par l'auteur que par la victime et chacun est libre de participer ou non au processus et de se retirer à n'importe quel moment.
"Au moment du jugement, du procès, ils n'ont pas pu s'exprimer pour l'un ou pour l'autre sur le pourquoi de l'acte, dans quelles conditions, les répercussions que cela a eu pour eux. Et c'est cet espace-là qui va leur permettre éventuellement d'aborder ces questions qui n'ont pas pu être posées : des deux côtés, aussi bien des victimes que des auteurs", précise Anne-Laure Dalle, conseillère au Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) depuis près de trente ans et animatrice de justice restaurative.
Ces mesures sont avant tout le fruit d'un cheminement personnel des protagonistes d'une agression, d'un viol, d'un homicide ou de tout événement suffisamment grave pour qu'il soit puni par la loi. Elles ne se décident pas sur un claquement de doigts, elles mûrissent avec le temps. Du reste, la justice restaurative offre un espace, également, pour les victimes de faits prescrits.
Un accompagnement et un cheminement
"Ce qui m'intéresse, c'est sur le moment, ce dont les gens ont envie, ce dont ils ont besoin, et se dire que, nous, on peut les aider à ça, les accompagner parce qu'en fait, ils font tout, tous seuls", poursuit Anne-Laure Dalle.
Les médiateurs passent de longues heures à préparer les participants, leur préciser le cadre, envisager les scenarii : la personne qu'ils sollicitent va-t-elle répondre favorablement à leur demande ? Si oui, qu'est-elle prête à entendre ? Que risque-t-elle de dire, etc.
"Ce qui est vraiment important, c'est toute cette préparation", insiste Anne-Laure Dalle. "On essaye de ne pas avoir d'influence. On ne leur impose rien". En aucun cas, la justice restaurative n'a pour vocation d'être le chemin de l'absolution ou du pardon. Elle n'est que ce que ses participants veulent en faire.
Dans le code de procédure pénale depuis 2014...
Introduites en France en 2014, les mesures de justice restaurative permettent "à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission", prévoit l'article 10-1 du code de procédure pénale.
"Pratique complémentaire au traitement pénal de l’infraction", ce processus "vise à restaurer le lien social endommagé". La justice restaurative "s’appuie sur le dialogue entre personnes se reconnaissant victimes et auteurs d’infractions, qu’il s’agisse des parties concernées par la même affaire ou non", précise une circulaire du garde des Sceaux du 15 mars 2017.
... mais encore confidentielle
Voilà pour le cadre réglementaire. Mais en pratique, dix ans après son entrée dans le code pénal, la justice restaurative reste, pour l'instant, au niveau national, un dispositif à la marge, reposant sur l'engagement de médiateurs passionnés.
"Supplément d'âme à la justice pénale, (...) cette politique publique est pour l’heure de faible intensité", note Delphine Griveaud qui vient de consacrer une thèse à ce sujet.
"Il est bien plus juste de dire que l’État 'laisse faire' les convaincus de la justice restaurative, à petit budget, au gré des localismes et des bonnes volontés individuelles", relève la chercheuse dans un entretien avec l'Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice.
Treize médiations en cours en Isère
En Isère, cette volonté s'est articulée depuis juin 2021 entre les différents acteurs, qui se sont penchés sur les moyens de la mise en œuvre de la justice restaurative. Un an plus tard, une convention opérationnelle a été signée entre les différents organismes (avocats, parquet, tribunal, associations, SPIP, etc.) au tribunal judiciaire de Grenoble.
Depuis, une trentaine de médiateurs a été formée ou est en cours de formation, et treize médiations ont été lancées à partir de décembre 2022. "Ce n'est pas rien 13 mesures. Il y a beaucoup de départements qui ont essayé et qui en sont très loin", précise Laurent Merchat, directeur adjoint du SPIP de l'Isère.
Encore faut-il se faire connaître et que les usagers soient informés. "Toute la communication commence à se structurer mais elle ne pouvait pas se structurer trop tôt, tant qu'on n'avait pas les possibilités de pouvoir répondre avec suffisamment d'animateurs", explique Laurent Merchat.
"On essaye de faire en sorte que notre vivier d'animateurs puisse continuer son engagement et son implication et que cela puisse se développer, sans pour autant qu'on arrive à un point de rupture avec des demandes auxquelles on serait obligés de dire non parce qu'on serait débordés", indique-t-il.
Chronophages, ces accompagnements peuvent, en effet, prendre des mois. Les avocates Cécile Gabion et Corinne Beaufour-Garaude les mènent sur leur temps personnel, du "bénévolat" consenti par conviction.
S'exprimer pour s'apaiser
"C'est remettre l'humain au cœur de la justice. Pour l'auteur, pour moi, c'est lui rendre son humanité et ne pas le réduire à son acte, pour qu'il ne reste pas dans cette position d'auteur et continue un parcours délinquant, mais qu'il puisse bénéficier d'un autre regard de la victime et des membres de la communauté", estime Corinne Beaufour-Garaude, avocate au barreau de Grenoble.
Cécile Gabion, qui défend le plus souvent des parties civiles, acquiesce. "Intuitivement, depuis très longtemps, je disais aux victimes : 'Votre vie ne se résume pas à l'agression dont vous avez été victimes'. On les envoyait chez des psychologues mais, moi, j'avais une frustration pour mes clients victimes. La justice restaurative a pour objectif de proposer un véritable accompagnement pour apaiser les choses et faire en sorte que cet événement ne reste pas aussi douloureux toute leur vie mais qu'il devienne un événement parmi d'autres", dit-elle.
Pour l'auteur, pour moi, c'est lui rendre son humanité et ne pas le réduire à son acte.
Corinne Beaufour-Garaudeavocate à Grenoble et animatrice de justice restaurative
"Au procès, on est dans le palais de justice, les magistrats sont en robe, les avocats sont en robe, il y a un protocole à respecter, c'est l'un qui parle, après l'autre, etc. C'est compliqué, les audiences sont souvent publiques donc cela peut être très difficile, pour les auteurs et pour les victimes d'exprimer le fond", poursuit l'avocate.
"Et il y a aussi ce que nous, en tant qu'avocats, on peut leur dire pour qu'ils 'passent bien à l'audience', etc. Donc on perd en spontanéité, en naturel". "La confidentialité permet la sincérité. Ils n'ont pas à jouer un rôle, il n'y a pas d'intérêt pour eux, pas d'incidence sur la sanction", continue Corinne Beaufour-Garaude.
La question du pourquoi
"Moi, j'évolue plus souvent du côté des auteurs. Lors du procès, on les prépare. Souvent, on leur dit qu'il faut s'excuser. Les victimes se demandent alors où est la sincérité dans ces excuses qui sont données devant le juge".
De part et d'autre, il semble que, le plus souvent, les participants soient motivés par "la question du pourquoi". Pourquoi ai-je fait cela ? Pourquoi ai-je subi cette agression, pourquoi moi ?
Un frein à la récidive ?
Anne-Laure Dalle se félicite, de son côté, de pouvoir fonctionner avec des personnes "volontaires". "Je vois le bénéfice que cela peut avoir. Moi, je travaille au SPIP qu'avec des gens dans la contrainte et là, on sort de cette contrainte puisqu'on est sur du volontariat, sur de la reconnaissance des faits et sur un souhait de faire changer les choses pour les personnes qui participent à cela. Et donc c'est super intéressant", dit-elle.
Les personnes regardent le système judiciaire et ses acteurs autrement et cela facilite tout le reste.
Laurent Merchatdirecteur adjoint du SPIP de l'Isère
Il est trop tôt, pour l'instant, pour dire si la justice restaurative a un effet sur la limitation de la récidive.
Mais au SPIP, Laurent Merchat observe "que les personnes regardent le système judiciaire et ses acteurs autrement. Cela facilite tout le reste. Cela permet aussi à ces personnes-là de réinvestir tous les accompagnements qui leur sont proposés. On ne pourra jamais dire, pour autant, que parce qu'un auteur participe à une mesure de justice restaurative, il a avancé forcément en insertion, en diminution de son risque de récidive, mais ils vont réinvestir tout ça et cela fait la différence à terme", estime le directeur adjoint du service pénitentiaire d'insertion et de probation de l'Isère.
Pour les victimes, les professionnels observent un changement de paradigme. Elles ne sont plus dans une posture "où elles attendent quelque chose de la justice, du système, une réparation extérieure", mais elles se mettent "dans une posture de responsabilité pour aller chercher ce dont elles ont besoin, pouvoir le formuler, formuler les attentes, et savoir aussi si elles sont en capacité d'aller affronter le regard de l'auteur pour lui dire ce qu'elles ont à lui dire".
Pour l'instant, en Isère, les médiations restauratives sont des mesures directes, c'est-à-dire qu'elles concernent l'auteur et la victime de la même infraction. À terme, des mesures indirectes pourront être menées : l'auteur d'un fait dialoguant avec la victime d'une infraction similaire (ou inversement).
Les rencontres restauratives entre plusieurs auteurs et plusieurs victimes, comme mises en scène dans le film de Jeanne Herry, ne sont pas encore réalisables, par manque de temps et de moyens.
- Pour toute demande d'information ou de mesure de justice restaurative, contactez la boîte e-mail suivante : justice-restaurative.isere@justice.fr