Alors que le conflit en Ukraine a réactivé les interrogations autour de l’autonomie énergétique, des projets d’autoconsommation collective sont menés sur le site universitaire de Grenoble, via l'Observatoire de la Transition Energétique. Ils consistent notamment à consommer directement l’électricité produite localement, par des panneaux solaires. Et ce n'est pas tout...
Et si demain, l’université de Grenoble Alpes pouvait alimenter à elle seule, une partie des besoins en électricité des habitants de la Presqu’île ? Elle en a en tout cas le potentiel. Avec les toitures solaires du site, elle pourrait représenter plus de 20% des 50 GWh prévus d’ici à 2030 par la Métropole grenobloise dans son plan de transition énergétique.
Pour le moment, l’électricité est produite par le bâtiment GreEn-ER, situé sur le polygone scientifique de Grenoble. Il accueille notamment l'école d'ingénieurs Grenoble INP - Ense3 et le laboratoire G2Elab. Sur son toit, les panneaux solaires permettent d’autoconsommer à 95 % l’énergie. Les 5 % d’excédents sont envoyés aux autres bâtiments de l’université à 2 km à la ronde.
Mais le patrimoine bâti de l’UGA a la possibilité de reproduire 50 fois cette installation, soit 10 à 15 GWh par an. Une illustration assez marquante d’une nouvelle manière de penser la gestion de l’énergie autour du programme de recherche transversal Eco-Sesa, mené par 16 laboratoires.
Des citoyens « consom'acteurs »
Parmi eux, le GAEL (le Laboratoire d’Economie Appliquée de Grenoble) s’intéresse aux comportements des citoyens en matière de consommation énergétique. Daniel Llerena en est le directeur adjoint. Avec son équipe, il a mis en place un protocole expérimental auprès de 174 foyers (de la personne célibataire à la famille nombreuse). Pendant deux ans, entre 2019 et 2021, des habitants de l’agglomération grenobloise ont accepté de transmettre leurs données de consommation électrique. Elles ont pu être observées grâce aux compteurs Linky.
Les foyers volontaires ont été scindés en 2 groupes : Le premier était invité à réduire sa consommation électrique en cas de tensions sur le réseau. C’est le cas notamment en hiver entre 18 h et 20 h, là où le risque de black-out est important. «Nous avons demandé à ces habitants de s’engager librement, sans contrainte et sans aucun contrôle, à ne pas faire cuire de tartiflette, de ne pas mettre le chauffage à fond, ou de reporter au lendemain une lessive sur une vingtaine de soirées en hiver. Ils étaient prévenus à l’avance ( la veille) du message d’alerte et libre à eux de respecter, ou non, ces invitations à faire attention à leur consommation électrique. Nous leur faisions à chaque fois un retour d’information sur le résultat de leur activité».
Le deuxième groupe, lui, n’a reçu aucune consigne concernant la flexibilité de sa consommation (décaler ou avancer une machine par exemple ou baisser la température de son radiateur).
«Nous avons pu observer qu’il y avait une différence entre ces 2 groupes. Avec les jours ciblés et les créneaux horaires critiques pour le réseau électrique, dans le premier groupe (incité à la flexibilité), la consommation électrique moyenne des foyers a baissé de 21 % par rapport aux habitants du 2ᵉ groupe. L’observation est quasi équivalente au deuxième hiver de l’étude, avec une diminution de 19 % de la consommation électrique pour le premier groupe de foyers».
Le laboratoire d’économie appliquée de Grenoble est l’un des premiers à avoir mené ce type d’expérience. Les résultats scientifiques et les données vont être publiés dans des revues académiques et portés à la connaissance de la communauté scientifique. Un dispositif similaire est envisagé à plus grande échelle, à l'image de l’opération « Monecowatt», la météo de l’électricité, où l’on a pu enregistrer une baisse de 10 % de la consommation dans l’hexagone à l’hiver 2022-2023.
«Au lieu de taxer tout le monde et d’avoir une incitation financière, on peut engager des politiques de motivation, basées sur des engagements de «citoyens consommateurs» précise Daniel Llerena. «On espère faire une étude sur toute la France avec 5 000 foyers. 2 500 sont déjà inscrits et le recrutement est en cours sur le site de l’observatoire de la transition énergétique».
Valoriser la chaleur fatale
Repenser la gestion de l’énergie permet aussi de s’intéresser à la récupération de chaleur fatale. C’est-à-dire la récupération des eaux de refroidissement rejetées par certains équipements. Reconnu au niveau mondial et grand instrument de recherche du CNRS, le Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses de Grenoble (LNCMI) est intégré dans ce programme de recherche transversal d'autoconsommation collective de chaleur. Les équipements très complexes du laboratoire permettent d'étudier les propriétés magnétiques des matériaux comme le fer ou le graphène par exemple. Une infrastructure très gourmande en électricité pour son fonctionnement qui a besoin d'être refroidi.
François Debray est ingénieur de recherche au LNCMI : «On pompe de l’eau du Drac voisin pour refroidir nos installations et on rejette ensuite dans l’Isère. Nous avons des besoins en eau importants avec de gros débits (de l'ordre de 300 litres par seconde, l'équivalent de 2 baignoires par seconde).
"En intégrant un nouvel échangeur de chaleur à nos circuits de refroidissement, cela nous permettra de rediriger cette eau (aux environs de 30°) vers les circuits de chauffage et non dans la nature. On pourra ensuite associer à ce circuit une pompe à chaleur pour ajuster la température aux besoins des différents circuits de chauffage. En réutilisant l'eau chaude produite par les aimants pour champs magnétiques intenses, on peut ainsi couvrir les besoins de l'ensemble des bâtiments du campus CNRS, soit environ 1000 personnes tout en réduisant notre empreinte environnementale».
«Un des verrous de ce projet est l’intermittence caractéristique de la production d’eau chaude du LNCMI», précise François Debray. "C'est pourquoi la mise en place de ce projet passe par le développement d’une approche globale intégrant les utilisateurs et la prise en compte de leurs usages, de façon à mettre en phase le plus harmonieusement possible les besoins de chauffage d’un territoire avec ceux d’une communauté internationale de chercheurs."
Pour l'instant ce système est en boucle restreinte, mais l'idée est de travailler à la soutenabilité de l'installation et, à terme, de pouvoir compléter le réseau de chauffage urbain de la ville de Grenoble.
Dans le dernier numéro de "L'info en plus Climat", Lise Riger a rencontré Frédéric Wurtz, directeur de recherche CNRS Observatoire de la transition énergétique et Gilles Debizet, enseignant-chercheur aménagement et transition au Laboratoire PACTE et Faculté des Sciences pour évoquer ses initiatives.
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