Le maire Saint-Just-de-Claix en a fait son cheval de bataille. La justice grenobloise se penche en ce moment sur le cas de l'Etoile du Vercors. Les effluents de cette filiale de Lactalis pollueraient l'Isère depuis des années. Enquête dans le bourg de l'Isère.
Au cœur du parc naturel du Vercors, l'Isère coule des jours heureux. En apparence seulement. L'eau sombre lutte quotidiennement avec une traînée blanchâtre tenace. Sur les bords de la rivière, à Saint-Just-de-Claix, une odeur nauséabonde accueille baigneurs et promeneurs. Quésaco ? Les rejets de la fromagerie voisine. Mais alors, à qui la faute ? Alors que le tribunal de Grenoble juge en ce moment deux dirigeants de la fromagerie voisine, filiale de Lactalis, une de nos équipes a enquêté sur place.
Pour les élus locaux, il ne fait aucun doute. Le combat dure depuis 17 ans. Selon eux, l'étoile du Vercors déverserait ses eaux usées en toute impunité dans l'Isère.
On oblige nos habitants à traiter leurs eaux usées
Joël O'Baton est l'un d'entre eux, probablement le plus remonté contre la fromagerie de l'Etoile. "On ne peut pas laisser une entreprise de ce niveau polluer l'Isère pendant que nous, on oblige nos habitants à traiter leurs eaux usées", explique le maire (SE) de la commune.
Un cocktail toxique pour l'Isère ? "Il n'y a pas de risque", conteste la fromagerie
La source de tous les maux est une canalisation, tout droit sortie.. de l'entreprise voisine. Elle rejette en continu ses effluents industriels. Son contenu ? Des déchets organiques dont des résidus de lait, et des substances chimiques issues de produits de nettoyages et de désinfectants. Les organisations de protection de la nature dénonce la présence de trois agents toxiques pour le milieu aquatique : l'hypochlorite de soude, le peroxyde d'hydrogène et de l'acide nitrique. Contactée, l'entreprise réfute les accusations :
Les produits lessiviels utilisés pour le lavage de nos installations sont très fortement dilués (...) au taux utilisé, il n'y a pas de risque.
Peu convaincant pour la préfecture de l'Isère. Elle exige de l'Etoile du Vercors un traitement de ses eaux usées. Et c'est bien là le nœud du problème...
Un réseau d'assainissement municipal coûteux
Le groupe Lactalis, déjà cité dans l'affaire du lait contaminé aux salmonelles, est ici aussi pointé du doigt.
Lorsque la multinationale reprend en 2011 cette fromagerie créée en 1942 et qui transforme entre 46.000 et 58.000 litres de lait par jour en moyenne, elle refuse de se raccorder au réseau d'assainissement municipal. Coup dur pour l'intercommunalité qui a déboursé 22 millions d'euros (en partie après la demande de raccordement de l'Etoile du Vercors en 2000). Aujourd'hui, la station d'épuration, flambant neuve, est sous utilisée. "On est à 40% de capacité de traitement, donc une marge de 60% sur la capacité d'accueil", détaille Hervé Perrin, directeur du Syndicat mixte d'assainissement pour la Bourne et la Lyonne Aval (SMABLA). "Elle avait signé des accords pour faire partie du projet, on l'a compris dans son élaboration", continue le maire qui dénonce un surcoût payé par les communes à cause de la fromagerie. La PME Saint-Jean a investi, elle, près de 5 millions, pour être raccordée. "C’est important d’être une entreprise responsable", justifie son directeur, Guillaume Blanloeil.
De son côté, l'usine explique vouloir construire sa propre station, sur un terrain agricole, proche d’habitations. L'installation communale ne serait pas adaptée, Lactalis refuse de céder. Le maire non plus. Il a rejeté les quatre permis de construire déposés en cinq ans : "Pour moi, les entreprises et les habitants doivent aller dans le même sens". Conclusion : le dossier traîne, le temps presse. En 2020, la station communale ne sera plus aux normes.
On peut pas laisser un grand groupe polluer impunément le milieu naturel
Alors les organisations de protection de la nature sont à leur tour montées au créneau. "On peut pas laisser un grand groupe polluer impunément le milieu naturel et qu'il ne se passe rien", nous expliquait en juin dernier Jacques Pulou, Vice-président de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, qui a porté plainte le 14 mars 2017.
500 000 euros d'amendes requis : peine maximale
Le bras de fer entre ce bourg isérois et le géant de l'industrie agroalimentaire se réglera donc devant la justice. Le tribunal correctionnel de Grenoble a convoqué l'ancien et le nouveau directeur. Les responsables du site sont poursuivis pour pollution de l'Isère et non-respect des arrêtés préfectoraux autorisant l'exploitation de la fromagerie. Quatre associations se sont portées partie civile : la FRAPNA, France nature environnement, Les amis de la terre et la Fédération de pêche de l'Isère.
Sentiment d'impunité
Lundi 12 novembre, l'amende maximale de 500.000 euros a été requise à l'encontre de la fromagerie. "On savait déjà que Lactalis avait la capacité d'empoisonner le lait en poudre, on sait maintenant qu'il peut empoisonner l'eau, qu'il le sait et continue", a lancé le procureur, dénoncant un "sentiment d'impunité".
Pollution de l'Isère : 500.000€ d'amende requis contre l'Etoile du Vercors, une filiale de Lactalis.https://t.co/CDQPg2tKbE pic.twitter.com/qmVPvNUNOm
— France 3 Alpes (@f3Alpes) 13 novembre 2018
En attendant la décision de justice, l'Etoile du Vercors continue de rejeter ses effluents dans cet écrin naturel. L'équivalent d'une ville de 8 000 à 10 000 habitants en eaux usées, soit près de dix fois plus que la population de Saint-Just-de-Claix.