En pleine crise sanitaire, de nombreux sans-abris continuent de survivre dans la rue. Frédéric Boudjemaa est une figure du quartier Saint-Bruno à Grenoble. Ce SDF a écrit son journal de bord pour changer le regard sur les gens de la rue.
"Je fais partie des murs de Saint-Bruno. Il n'y a pas une personne qui ne vient pas me dire bonjour. Ca fait plaisir. Ca met du baume au cœur. Ca rallume le flambeau." Voilà un long moment que Frédéric Boudjemaa a élu domicile à côté de la bibliothèque Saint-Bruno, à Grenoble. Un studio à ciel ouvert qu'il partage avec deux fidèles compagnons, ses chiens Nanouk et Cradock.
La rue accompagne ce Lorrain depuis ses 18 ans. Enfant de la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales), passé par 27 foyers, il a écrit son journal intime. Le récit de 43 années d'une vie cabossée. "Ce sont les vécus de souffrance et de solitude auxquelles j'ai dû faire face. La vie elle-même est sinistre, et par bien des faces", peut-on lire dans cet ouvrage.
"C'est un témoignage dans le sens où j'avais envie de montrer que des gens souffraient sans le montrer. C'est un peu une rébellion", raconte le quadragénaire. Le froid mordant de l'hiver, c'est surtout la nuit qu'il le ressent dans sa chair. A Grenoble, le seul hébergement d'urgence susceptible de l'accueillir avec ses chiens, ce sont des mini bungalows à partager avec trois autres personnes. Une promiscuité difficile à accepter.
"La rue, elle s'impose"
Et pas question de se séparer de Nanouck et Kradok. "Il est hors de question que j'abandonne mes animaux, proteste Frédéric. Ils sont avec moi et ils resteront avec moi quoi qu'il en coûte. Si je dois rester dehors parce qu'on ne veut pas de mes chiens, je resterai dehors."
Bénévole de l'association Vinci, Eric Rocourt connaît bien ces difficultés d'hébergement accentuées par la pandémie. "Tous les moyens ont été dirigés vers l'alimentaire. C'est une bonne chose, estime-t-il. A Grenoble, on ne peut pas mourir de faim. Maintenant, il faut vraiment mettre les moyens sur l'accompagnement avec le logement. C'est une priorité absolue parce que quand on est à la rue, le fait de dormir dehors impacte énormément et à terme, ça cause de gros dégâts chez les gens."
Frédéric Boudjemaa, lui, a encore de la ressource. Pendant le premier confinement, il a joué les assistantes sociales, remontant le moral des voisins isolés. Malgré ses blessures intimes, il a gardé la volonté de s'en sortir. "La rue, elle s'impose. Elle n'est pas un choix au départ. Et au final, elle le devient, raconte le sans-abri. J'ai envie de délier les langues, de montrer qu'il n'y a pas que des SDF qui veulent rester dehors. Pour ma part, je serais mieux avec un chez-moi." Fred caresse encore un rêve. Celui de retaper une ferme pour y élever quelques animaux. Une nouvelle vie qui ne déplairait sans doute pas à Cradock et Nanouk.