Grenoble : une vingtaine de personnes mises en cause dans une affaire de trafic d'êtres humains

Une vingtaine de personnes sont appelées à comparaître début décembre devant le tribunal correctionnel de Lyon. Toutes sont soupçonnées d'avoir participé, de près ou de loin, à un trafic d'êtres humains et de faux papiers à Grenoble entre 2017 et 2020.

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Les images ont fait le tour du monde. Fin octobre 2019, 39 corps, ceux de migrants et réfugiés, sont retrouvés à l'arrière d'un poids lourd frigorifique en Essex, au nord-est de Londres. Le "camion de l'horreur" - tel qu'il a été surnommé - devient le triste symbole de la crise migratoire entre la France et le Royaume-Uni.

Deux ans plus tard, les origines de ce drame mènent à Grenoble où ont transité deux Vietnamiens, décédés en Angleterre dans cette remorque. Ils y auraient été les victimes d'un trafic d'êtres humains.

Plus d'une dizaine de ressortissants vietnamiens auraient travaillé, illégalement et dans des conditions très difficiles, dans trois restaurants asiatiques de l'agglomération grenobloise, selon des informations du Dauphiné Libéré que France 3 Alpes a pu confirmer. Une enquête de police, sous instruction de la Juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de Lyon, a mené à de nombreuses perquisitions et arrestations en Isère.

"Un réseau tentaculaire"

En tout, 20 prévenus ont été mis en examen dans ce dossier qui sera présenté le 12 novembre devant le tribunal correctionnel de Lyon, avant un possible renvoi au 6 décembre, a-t-on appris auprès du parquet.

Certains seront jugés pour des faits d’aide au séjour en bande organisée (et complicité), traite d'êtres humains en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de préparer ces deux infractions.

C'est le cas de P. Tran, 31 ans. Ce ressortissant vietnamien est soupçonné d'avoir joué un rôle d'intermédiaire au sein de cette vaste organisation. Un "réseau tentaculaire qui dépasse les simples frontières de la France", selon son avocat Me Naguin Zekkouti. Son client aurait notamment organisé le départ de la jeune Nunh, décédée dans le "camion de l'horreur". Il aurait participé à son arrivée en France et à sa prise en charge au sein du réseau isérois.

En 2019, Nunh, âgée d'une vingtaine d'années, aurait travaillé de manière illégale dans un des trois restaurants de Grenoble suspectés d'avoir employé ces ressortissants vietnamiens en situation irrégulière. Aujourd'hui, ces établissements affichent porte close. Du moins, différents messages sur les devantures avertissent leur clientèle d'une absence prolongée. Soit pour des raisons personnelles, soit pour des travaux ou encore en raison du Covid-19.

"Victimes" hier, "bourreaux" aujourd'hui

Lors des perquisitions au domicile de P. Tran, dans l'agglomération grenobloise, la police a retrouvé du matériel pour établir de faux documents d'identité qui aurait permis aux victimes de travailler en France. S'il n'en assume pas la propriété, il est soupçonné d'y avoir eu recours tout en affirmant ne pas "en avoir tiré profit". Placé sous contrôle judiciaire après un an de détention provisoire, il est mis en examen pour des faits de traite d'êtres humains en bande organisée, aide au séjour en bande organisée et association de malfaiteurs.

Mais, selon son avocat, il entend contester la plupart de ces accusations. "Toute la complexité de ce dossier sera de faire la part des choses entre de l'entraide communautaire et l'exploitation violente d'êtres humains", explique Me Naguin Zekkouti. Le conseil du mis en cause souligne par ailleurs "l'absence de violence, menace ou contrainte dans ce dossier", des éléments nécessaires pour caractériser les faits de traite d'êtres humains.

D'après l'avocat du barreau de Lyon, P. Tran a fait part de ses regrets et évoque un "réseau de survie". Lui-même aurait été pris en charge par des membres de ce réseau à son arrivée en France, quelques années en arrière. Il devait partir au Royaume-Uni en même temps que la jeune Nunh mais n'en a pas eu les moyens financiers, ayant contracté de lourdes dettes envers cette même organisation, selon Me Zekkouti. "Dans cette affaire, les bourreaux d'aujourd'hui étaient les victimes d'hier", fait-il valoir, estimant que les mis en cause sont les "petites mains" de cette organisation. "A qui cela bénéficie-t-il au final ? C'est difficile à déterminer."

Travail illégal dans la restauration

Les 20 prévenus sont soupçonnés d'avoir participé, de près ou de loin, à ce réseau de trafic d'être humains. Certains sont accusés de faux et usage de faux documents administratifs, emploi d'étrangers sans titre (et complicité), blanchiment en bande organisée, détention de faux documents administratifs. Parmi eux, des restaurateurs de l'agglomération grenobloise soupçonnés d'avoir employé des ressortissants vietnamiens en situation irrégulière.

Cherif Boutafa, conseiller municipal d'opposition élu sur la liste d'Alain Carignon à Grenoble et associé minoritaire dans un restaurant de Meylan, fait partie des mis en cause. "A aucun moment il n'a pu penser que certains de ses employés se trouvaient en situation irrégulière", affirme son avocat Me Michel Bénichou selon qui "toutes les formalités légales avaient été accomplies". Et Cherif Boutafa "ne se rendait pas au restaurant pour y travailler, simplement pour y déjeuner", ajoute son avocat.

Les perquisitions réalisées dans le cadre de l'enquête ont toutefois permis de saisir 22 000 euros au domicile de M. Boutafa et son épouse, également mise en cause dans cette affaire. Une somme que le couple avait "mise de côté après la vente d'un véhicule et qu'ils ne voulaient pas mettre à la banque en raison de la crise grecque", d'après Me Bénichou. D'autres restaurateurs de l'agglomération grenobloise sont soupçonnés d'être impliqués dans cette affaire, selon Le Dauphiné Libéré.

Mais le volet isérois ne représente qu'une partie de cette vaste enquête visant un réseau présumé de trafic d'êtres humains. D'autres investigations sont en cours des Bouches-du-Rhône à l'Aude pour identifier ses membres dans l'espoir de remonter jusqu'à la tête du réseau.

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