En déplacement à Crolles, en Isère, le président Emmanuel Macron a présenté une stratégie visant à doubler la production de composants électroniques en France à l'horizon 2030. A ses côtés, Bruno le Maire, ministre de l'Economie, a également défendu cette politique de souveraineté industrielle. Il a accepté de répondre à France 3 Alpes dans une longue interview.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont passé deux ans à négocier avec STMicroelectronics et GlobalFoundries. Résultat : les deux entreprises ont annoncé hier la création d'une nouvelle usine pour produire davantage de semi-conducteurs.
L'investissement, estimé à 5,7 milliards d'euros, devrait créer environ 1 000 emplois supplémentaires sur le site de Crolles, où STMicroelectronics possède déjà un site de fabrication important, et bénéficiera d'un "soutien financier important de l'Etat français".
Ce mardi 12 juillet, lors d'une visite du chantier, le ministre de l'Economie a accepté de répondre à nos questions.
Retrouvez-ci dessous la retranscription complète de l'interview :
France 3 Alpes : Ces investissements massifs ont été compliqués à négocier, on imagine que c’est un soulagement ?
Bruno Le Maire : "Je confirme que ça a été une négociation longue et difficile que nous avons menée pendant deux ans avec le Président de la République, de manière confidentielle. Et qui se conclut par un aboutissement spectaculaire. Aujourd’hui, c’est une grande victoire industrielle française, peut-être la plus importante depuis une quarantaine d'années."
France 3 Alpes : Est-ce le symbole d’une réindustrialisation en marche de la France, et peut-être de l’Europe ?
Bruno Le Maire : "Oui c’est le symbole que la réindustrialisation est possible si on s’en donne les moyens. Ça demande beaucoup de travail mais elle est possible. Aujourd’hui, vous avez près de 6 milliards d’euros investi sur ce site de Crolles, où nous allons créer la plus grande unité de production de semi-conducteurs en Europe. Donc la France peut faire la course en tête y compris dans le domaine industriel et technologique. Il faut juste s’en donner les moyens. C’est ce que nous avons fait avec le Président de la République en créant un cadre économique favorable, en lançant cette négociation de deux années, en nous battant pieds à pieds. Ça a été une bataille très difficile et la victoire est d’autant plus belle."
France 3 Alpes : C’est une victoire d’autant plus importante qu’il y a une vraie tension sur le marché des semi-conducteurs. Aujourd’hui en France, certaines usines d’automobile sont à l’arrêt faute de semi-conducteurs.
Bruno Le Maire : "C’est pour ça qu’on a voulu, avec Emmanuel Macron, accélérer au lendemain de la crise du Covid. Ce qu’on a vu avec cette crise, c’est que nos usines d’automobile, d’aéronautique ou de médicament avaient désespérément besoin de semi-conducteurs, mais que nous n’en produisions pas assez. Avec cet investissement, on va pouvoir regagner en indépendance mais aussi en termes de technologie. Non seulement on va avoir plus de capacités de production, mais aussi des productions de 10 nanomètres parmi les meilleures au monde. Demain, la France, avec cet investissement, va compter parmi les cinq puissances mondiales qui sont capables de produire des semi-conducteurs les plus avancés."
France 3 Alpes : Il va y avoir d’énormes investissements faits par le gouvernement. C’est une feuille de route très impressionnante qu’a annoncé le Président de la République. La France peut-elle vraiment devenir leader parmi les leaders en termes de semi-conducteurs ?
Bruno Le Maire : "Oui je pense que cet investissement, c’est le point de départ d’une reconquête industrielle et technologique pour la France. Cela va nous permettre d’être le premier producteur de semi-conducteurs en Europe. Pour réussir à en produire au format des 10 nanomètres, nous allons mettre en place toute une stratégie. France 2030, c’est 15 milliards d’euros qui vont être déployés sur les semi-conducteurs mais aussi l’électronique de façon générale. Et tout cela en s’appuyant sur des laboratoires de recherche français, sur le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) de Grenoble et sur les scientifiques français. Donc oui je pense que c’est une très belle journée pour la souveraineté industrielle française."
France 3 Alpes : Nous sommes ici chez STMicroelectronics et de l’autre côté de la rue il y a Soitec qui fait aussi figure de pointe dans le domaine des semi-conducteurs. Il y a aussi le CEA de Grenoble. Comment expliquer la bonne dynamique de ce bassin grenoblois ?
Bruno Le Maire : "D’abord je dirais que c’est un écosystème qui fait que l’intelligence nourrit l’intelligence, et que des investissements appellent d’autres investissements. Et pour avoir mené les négociations avec STMicroelectronics et GlobalFoundries, il faut aussi des conditions économiques et fiscales favorables. La baisse des impôts de production a été décisive dans le choix de l’implantation à Crolles. C’est aussi cette politique économique favorable voulue depuis cinq ans par le Président qui donne des résultats."
France 3 Alpes : Sur ce site, 1000 nouveaux emplois sont annoncés. Est-ce que cela veut dire qu’il va falloir mettre le paquet sur la formation ?
Bruno Le Maire : "Oui il va falloir mettre les bouchées doubles la formation et l’apprentissage, en développant des formations pour les ingénieurs beaucoup plus importantes que ce que nous avons aujourd’hui. La reconquête industrielle est à portée de main. Depuis trente ans, on a déserté l’industrie et la France a perdu du terrain. Avec la politique que nous menons, nous regagnons du terrain de manière très concrète : des emplois, des sites industriels et une réussite au niveau mondial."
France 3 Alpes : Est-ce que ce modèle d’écosystème grenoblois est à dupliquer ailleurs ?
Bruno Le Maire : "Oui, ce modèle grenoblois est à dupliquer car c’est le seul bon modèle. Vous avez des ouvriers, des salariés, des ingénieurs. Vous avez du savoir, vous avez de la science, des laboratoires publics et privés, des entreprises privées avec du soutien public de l’Etat comme de l’Union Européenne. Plutôt que de se diviser, quand vous mettez tout le monde ensemble ça donne des résultats spectaculaires. Et c’est peut-être la leçon politique qu’il faut tirer de cela."
Propos recueillis par Jordan Guéant.