Une récente étude de cinq laboratoires de l'université de Grenoble s'est intéressée au fonctionnement d'une microalgue, appelée Sanguina nivaloides, qui donne une couleur rouge à la neige au moment de sa fonte. Une espèce rare, qui date de plusieurs millénaires, nous apprend un des chercheurs.
C'est une espèce vieille de plusieurs millénaires, déjà observée par Aristote, probablement sur les pentes enneigées de l'Olympe. La Sanguina nivaloides, communément appelée "le sang des glaciers", est une algue microscopique qui commence à révéler ses secrets, après une étude de cinq laboratoires de l'Université de Grenoble publiée début décembre.
Cette algue doit son nom au phénomène qu'elle provoque. Au printemps, alors que les températures grimpent en montagne et que la neige commence à fondre, la couche blanche immaculée de la neige se teint parfois d'une couleur rougeâtre. Ce n'est ni le crime d'un prédateur, ni les conséquences des sables du Sahara qui viennent se projeter en montagne. Cette couleur rouge est provoquée par l'évolution de la Sanguina nivaloides.
Une algue dans un écosystème
Découverte en 2019, cette algue trouve sa place dans les sols situés au-dessus de l'étage alpin ou dans les pôles, là où les arbres ne parviennent plus à pousser. Elle se développe ensuite dans les eaux qui circulent à l'intérieur du manteau neigeux au moment de sa fonte. "L'étude de cette algue, réalisée à partir d'une imagerie tridimensionnelle de la neige, a permis de voir que cette espèce ne se situe pas dans les cristaux de neige, mais dans de tout petits courants d'eau qui circulent à la surface des cristaux de neige", explique Eric Maréchal, chercheur au CNRS et coordinateur du consortium "Alpaga".
"C'est bien dans la neige fondante, lorsqu'elle se transforme, que tout un écosystème vient envahir la neige par ces petits circuits d'eau", poursuit le chercheur. Dans cet écosystème, figure le "sang des glaciers", mais aussi plusieurs dizaines d'autres algues, des champignons ou des bactéries microscopiques.
Cet écosystème, dont fait partie la Sanguina nivaloides est "tout un monde méconnu", selon Eric Maréchal. C'est comme si un petit océan s'établissait dans la neige de printemps. Et la forme la plus visible de cet océan, c'est lorsqu'il y a un bloom."
"Le bloom, c'est quand une espèce prend le dessus sur d'autres", explique-t-il. Ce même phénomène est à l'origine de ces étendues rougeâtres sur une zone de neige.
Pourquoi cette couleur rouge ?
En réalité, cette microalgue appartient à la famille des algues vertes. Pour comprendre le procédé qui donne cette couleur rouge à la neige, il faut s'intéresser à la composition de cette algue. "Normalement, sa couleur, ce devrait être la chlorophylle qui la donne. La chlorophylle est le pigment utile à la photosynthèse. C'est comme ça que cette algue peut capter l'énergie qui provient du soleil pour capter le CO2 et le convertir en sucre."
"Ce sucre, produit par les plantes, permet à tous les autres organismes de vivre. S'il n'y a pas d'organismes photosynthétiques, il n'y a pas d'écosystème du tout. Il n'y a pas d'herbivore, de carnivore... C'est le socle des écosystèmes", raconte Eric Maréchal.
Mais cette Sanguina nivaloides se trouve, elle, dans un environnement particulier. "La neige est un milieu incroyablement lumineux. Il n'y a rien de plus lumineux. Quand la lumière arrive dans la neige, elle se diffuse dans toutes les directions de l'espace", comme dans une galerie des glaces.
"Dans son architecture, observée par microscopie électronique en trois dimensions, l'algue attrape la moindre goutte de lumière. Mais quand il y a trop de lumière, cela provoque un stress oxydant. Le meilleur moyen pour lutter contre cette oxydation, c'est d'avoir un pigment rouge, un pigment caroténoïde", poursuit-il.
Une espèce de l'âge de glace
Architecture nanoscopique de la cellule, structure de ses capteurs solaires pour la photosynthèse, cette étude menée par Eric Maréchal est la plus complète jamais réalisée jusque-là sur cette algue. Désormais, l'équipe de chercheurs va s'intéresser aux différents facteurs de l'apparition de ces 'blooms' et chercher à savoir si l'activité humaine peut favoriser ces phénomènes ou encore leur disparition. "L'espèce est un organisme superbement adapté à la neige, mais très fragile. Si jamais le couvert neigeux était amené à disparaître, l'algue disparaîtrait aussi."
Les prochaines études porteront aussi sur le cycle de vie complet de cette espèce unique : "c'est très rare dans notre vie d'humain de rencontrer un organisme microscopique. Quand on est en randonnée et qu'on se retrouve devant la neige rouge, on rencontre une microalgue. C'est très rare. C'est un moment que je trouve merveilleux de rencontrer Sanguina nivaloides. Ce n'est pas neutre. Ce sont des espèces qui sont issues de la dernière glaciation, c'est une espèce de l'âge de glace que nous avons sous les yeux."