La direction du Dauphiné Libéré a annoncé, fin août, que deux de ses agences, situées à Grenoble et à Voiron en Isère, étaient menacées de fermeture. Pour la direction, il s'agit d'une des conséquences de la crise actuelle que traverse la presse. Les syndicats, eux, regrettent un éloignement du journal de ses lecteurs.
L'annonce a été faite fin août, lors d'un comité social et économique (CSE) : la direction du quotidien régional présent dans une dizaine de départements a fait connaitre son projet de fermer deux de ses agences, dont celle de Grenoble.
Selon des représentants syndicaux, une soixantaine de salariés, avec ceux de l'agence de Voiron également menacée de fermeture, pourraient ainsi être relocalisés au siège social situé à Veurey-Voroize, commune située à une quinzaine de kilomètres de Grenoble.
"Cette annonce a immédiatement créé l'émoi au sein des équipes. Les collègues sont en colère, c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", résume Sarah Huppert, élue SNJ (Syndicat national des journalistes) au CSE.
Certains représentants syndicaux redoutent aussi une mutualisation de certains postes et donc, à l'avenir, une diminution de la masse salariale avec des journalistes sur le départ qui ne seraient pas remplacés. "On nous a expliqués que c'était pour des raisons économiques. Mais, pour la direction, il s'agit surtout de diminuer la masse salariale, explique Mona Blanchet, déléguée syndicale Force Ouvrière (FO). Avec moins de journalistes, ça devient de plus en plus dur de faire un journal. En somme, on nous demande de faire plus et mieux, avec moins."
Des fermetures pour faire face à la crise ?
Pour Christophe Victor, directeur général du Dauphiné Libéré, cette relocalisation de l'agence grenobloise n'impliquerait pas de suppression de postes : "Les fonctions sont tellement distinctes. Avec ce rapprochement, nous resterions dans la même configuration et on conserverait le mode de fonctionnement de l'agence."
À l'origine de ce projet : la fin du bail qui lie l'agence à ses locaux situés rue Gustave Eiffel. "Cette agence ne correspond pas à ce que l'on peut attendre d'une rédaction moderne. Elle est décentrée, peu pratique d'accès. Et les bureaux sont cloisonnés, la communication entre les services n'est pas idéale. Ces locaux posent un problème d'efficacité de travail", résume Christophe Victor, qui précise que des discussions avec le bailleur sur un prolongement ont tout de même été "engagées".
Mais à l'heure où la presse quotidienne rencontre une nouvelle crise liée à l'inflation des coûts et de l'énergie, le directeur général assume avoir entamé un dialogue avec la rédaction sur ces fermetures, dont la "décision globale" pourrait être rendue fin novembre.
Christophe Victor ajoute que plusieurs autres titres de presse régionale ont également fait le choix de fermer des agences départementales, là où le siège social était déjà situé. Il explique aussi que ces fermetures se feraient après des phases d'études, des potentielles modifications des "modalités de travail" et qu'elles nécessiteraient une "réhabilitation des locaux de Veurey-Voroize".
Rester proche des territoires
"Cette fermeture touche le cœur du Dauphiné Libéré, regrette Mona Blanchet. L'agence de Grenoble est l'agence phare. Elle est mythique au sein de la rédaction. La plupart des journalistes y sont passés. Fermer cette agence touche l'ensemble du journal, c'est un signal fort."
"L'agence de Grenoble est emblématique. Même si elle a déménagé ces dernières années, c'est de là où tout est parti après la Seconde Guerre mondiale. C'est triste de la voir disparaître juste parce que le journal rencontre des problèmes de trésorerie, qui, il faut l'espérer, sont passagers", ajoute Philippe Cortay, délégué syndical CFDT. "Fermer des locales pour faire des économies est, selon moi, une méconnaissance du métier de localier."
"Cela va poser un problème de réactivité, par exemple, pour les journalistes qui couvrent les faits divers. C'est hyper problématique", estime Sarah Huppert. L'alternative proposée par la direction d'un espace de coworking à Grenoble n'est, là encore, pas adaptée selon l'élue SNJ, syndicat majoritaire au journal. "On ne peut pas garantir la confidentialité des sources dans ces conditions. (...) On a l'impression que la direction ne comprend pas notre métier", soupire-t-elle.
Pour Mona Blanchet, une relocalisation de l'agence à Veurey-Voroize éloignerait le journal de ses lecteurs : "Pour nous, c'est important d'être près de nos sources, de nos lecteurs et de nos territoires. Ça nous inquiète beaucoup, c'est notre métier d'être au contact. Si on ferme Grenoble et Voiron, on s'éloigne de nos territoires. C'est une aberration, nous sommes sidérés", explique-t-elle. "L'information de proximité, c'est notre ADN, c'est notre histoire, c'est notre raison d'être", complète Sarah Huppert.
Vers une mobilisation ?
"À chaque fermeture d'agence, c'est un point de visibilité en moins, regrette Philippe Cortay. L'ensemble des salariés vit dans l'inquiétude. Il y a une désillusion du métier, notamment chez les jeunes journalistes. Nous vivons une vraie crise, qui selon, moi, est due à une gestion archaïque."
Ces dernières années, le titre de presse a déjà fermé plusieurs de ses agences en Savoie et en Haute-Savoie (Sallanches, Chamonix, Aix-les-Bains...). "À chaque fois qu'il y a eu une fermeture, une présence locale a été préservée. Ces fermetures ont concerné avant tout de petites villes", explique Christophe Victor qui ajoute : "Nous consacrons entre 13 et 17 pages à l'information locale dans notre journal. Ce qui fait de nous le quotidien le plus ancré dans l'information locale."
Les syndicats SNJ, FO et CFDT en appellent à une mobilisation qui pourrait avoir lieu dans les prochains jours. "On a bien sûr un espoir d'être entendu, conclut Sarah Huppert. On espère que la direction fera machine arrière."
Mise à jour le 20 septembre 2023 à 10h10 avec réaction du SNJ.