Sciences Po Grenoble : "Je suis convaincu qu'on a bafoué mes droits", réagit Klaus Kinzler, l'enseignant suspendu

Klaus Kinzler, enseignant de civilisation allemande à Sciences Po Grenoble, a été mis à pied pour avoir tenu "des propos diffamatoires". Il réagit dans une interview accordée à France 3 Alpes.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Mis à pied par la direction de Sciences Po Grenoble, Klaus Kinzler prend la parole pour donner sa version des faits. L'enseignant de civilisation allemande à l'Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble a appris sa suspension samedi pour une durée de 4 mois. La directrice de l'établissement lui reproche notamment d'avoir tenu "des propos diffamatoires dans plusieurs médias" à l'encontre de l'établissement.

Dans un entretien accordé à L'Opinion, Klaus Kinzler estime que Sciences Po Grenoble "est devenu un camp de rééducation" où certains professeurs "(remettent) en cause tout le système dans ses bases universalistes, démocratiques, laïques." Mais l'enseignant estime être dans son bon droit, invoquant la liberté d'expression. Alors que la direction de l'IEP a pris la parole mardi 21 décembre pour "rétablir certains faits"Klaus Kinzler se défend à son tour dans une interview accordée à France 3 Alpes.

"Comment avez-vous réagi à l'annonce de votre suspension de l'IEP de Grenoble ?

J'ai été surpris, je l'ai vécu comme une gifle. En même temps, c'est dans la logique de la politique de ma directrice depuis à peu près un an. Je me suis aussi dit que les choses devenaient plus sérieuses.

A la rentrée de septembre, la direction de l'IEP vous a fait parvenir un courrier dans lequel elle vous rappelle "à vos obligations de fonctionnaires", notamment les obligations de réserve, en vous reprochant d'avoir pris la parole dans les médias. L'histoire n'aurait-elle pas pu s'arrêter là ?

Tout cela aurait pu s'arrêter au mois de mars si l'IEP avait pris ma défense en expliquant que j'étais un démocrate et non un fasciste. Il n'y aurait jamais eu d'histoire. Après cela, ma directrice m'a toujours interdit de parler à la presse et de me défendre. Elle m'a reproché de nombreuses fautes professionnelles dont il n'a jamais été question dans le rapport des inspecteurs (mené après les incidents survenus au printemps, ndlr). Je n'en ai pas commis, elle en a inventé.

Estimez-vous que l'on vous a dénié le droit de vous exprimer ?

Si j'ai pu m'exprimer depuis mars, c'est grâce aux médias. Sans eux, je serais peut-être encore enseignant, mais je saurais que je n'ai plus le droit de dire certaines choses sous peine d'être à nouveau diffamé. La seule chose qui m'a sauvé, c'est le quatrième pouvoir, c'est la presse. Elle semble encore fonctionner en France. Dans la sphère politique, il y a presque eu un moment de consensus - ce qui est une rareté dans notre pays - sur cette affaire de l'IEP de Grenoble.

Votre combat pourrait-il aller jusqu'à la judiciarisation de cette affaire ?

Evidemment. Je suis convaincu qu'on a bafoué mes droits, donc je vais aller jusqu'au bout. Si l'Etat français - que je respecte - me dit que j'ai eu tort, j'accepterai ce jugement. Mais pas avant. Un des moteurs de ce combat qui m'a coûté beaucoup d'énergie, c'est la volonté que l'IEP redevienne ce qu'il a été. Un IEP dans lequel on peut être fier de travailler, où on forme des gens qui savent gérer différents points de vue, où on peut provoquer, où on peut vivre des choses intenses dans le débat, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. J'ai une nostalgie énorme pour cet IEP qui est aujourd'hui un naufrage.

Rétrospectivement, comment comprenez-vous la dynamique de cette polémique à Sciences Po Grenoble qui aboutit à votre suspension ?

Il y a des acteurs qui, au début, sont des enseignants-chercheurs. Ils me reprochent d'avoir blasphémé. Pour me punir, ils ont utilisé un laboratoire de recherche pour me diffamer publiquement. Nous aurions pu en rester là. Seulement, cela a été relayé, avec la collaboration de ces enseignants, par des étudiants extrémistes qui ont fait leur propre cuisine en me diffamant, en me traitant d'islamophobe. La direction n'a rien fait pour stopper cela alors qu'elle était au courant depuis le début. Elle ne m'en a même pas informé.

Vous sentez-vous le bouc émissaire de ce que vous qualifiez de "minorité agissante" ?

C'est pire, parce que je suis même le bouc émissaire des gens modérés. Je suis d'abord le bouc émissaire de ceux qui réécrivent l'histoire, qui disent que la crise de l'IEP a commencé après le 4 mars, quand j'ai commencé à répondre aux questions des journalistes. Tout ce qui s'est passé avant, qui n'est pas en leur honneur, ils veulent le faire taire. Pour eux, je suis le bouc émissaire parce que j'ai parlé de choses qu'ils voulaient taire. Mais même les modérés qui n'ont jamais ouvert la bouche par peur, par intimidation, m'en veulent. C'est ce qu'on me fait comprendre. Ils travaillent dans un institut où l'ambiance est pourrie, où la réputation se dégrade chaque jour, dont l'histoire décline à grande vitesse. C'est un déplaisir pour tous ceux qui y travaillent, et pour moi aussi. J'y ai quasiment passé toute ma carrière et c'est une grande tristesse.

L'ambiance a-t-elle réellement changé à l'IEP de Grenoble ou sont-ce les récents épisodes médiatiques qui ont mis en lumière des conflits internes plus anciens ?

J'ai passé toute ma carrière dans cet institut sans avoir le moindre problème. J'ai toujours exprimé toutes mes opinions dans des milliers de débats avec les étudiants, les collègues, dans des conférences… Un petit peu comme un oiseau exotique, puisque j'ai toujours été la seule voix libérale, ce qui fait très bizarre à l'IEP. J'ai toujours été respecté pour cela, et on a toujours discuté avec moi. Des centaines d'étudiants m'ont écrit depuis mars pour me dire à quel point ils sont reconnaissants d'avoir eu une autre voix. Seulement, depuis un an, j'ai l'impression que cette voix doit être muselée. On ne veut plus m'entendre, c'est cela la différence. Je ne sais pas comment c'était avant, mais j'ai eu la chance d'avoir 26 ans à l'IEP où tout le monde a toujours pu dire ce qu'il a voulu. Avec cette minorité dans la nouvelle génération, on a une ambiance d'intolérance où le droit n'existe pas. On est dans un IEP où tout est permis à partir du moment où on se déclare en lutte. Les étudiants ont appris au fil des années qu'ils pouvaient dicter la loi. Maintenant, pendant 6 mois à l'IEP, ils ont réellement exercé le pouvoir. On peut le lire dans le rapport des inspecteurs. Et la direction n'a pas été capable de reprendre le pouvoir. Pourquoi ? C'est un mystère pour moi. C'est une incapacité à gérer une maison dont on a perdu le contrôle.

N'est-il pas normal qu'à Sciences Po, des débats de société autour du décolonialisme, de la question du genre ou du wokisme ressurgissent avec plus de virulence ?

C'est normal et c'est très bien. L'IEP est un miroir de la société, avec un regard un petit peu étroit je dirais. Mais à partir du moment où on abandonne la liberté d'expression de ceux qui ne partagent pas notre point de vue, c'est la fin. On pourrait fermer l'IEP. On n'a pas besoin d'un IEP où il n'y a qu'une opinion tolérée. C'est une absurdité. Je le redis, ce n'est pas du fait de la majorité. C'est une minorité qui n'a pas le courage de faire entendre sa voix. C'est un microcosme dans lequel une minorité s'est imposée contre une majorité (…) C'est terrifiant, ça me fait peur et ça me fait mal. Je me bats parce que je pense que mon combat est honnête et important.

Pensez-vous qu'à Sciences Po Grenoble, l'idéologie "wokiste" prolifère, mettant la pression sur la communauté enseignante, comme l'affirme notamment Laurent Wauquiez ?

J'en suis intimement convaincu et je partage ce sentiment avec des proches qui ne sont pas tous du même bord politique. Il suffit de traverser les couloirs de l'IEP, vous ne verrez que des affiches sur la question du genre, du décolonialisme, de la discrimination. Rien d'autre n'intéresse l'IEP de Grenoble. Ces théories ont leur légitimité, je n'y suis pas opposé. Si quelqu'un avec des arguments défend ces théories, cela ne me pose aucun problème. Seulement, si des gens considèrent que les contredire ou proposer un autre argument doit être puni par la diffamation et l'intimidation, je ne suis plus d'accord. C'est une question d'intolérance et de suppression de la liberté d'expression. Je ne reproche pas à mes collègues d'être décolonialistes, mais ils sont intolérants."

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information