TEMOIGNAGE. Exposition Ramsès : comment la momie du Pharaon a été sauvée par des experts grenoblois

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Le sarcophage de Ramsès II présenté, jusqu'au 4 septembre 2023 à la Grande Halle de la Villette à Paris, dans le cadre de l'exposition "Ramsès et l'or des pharaons"
Christian de Tassigny, invité de L'Instantané ©France 3 Alpes / Céline Aubert-Egret

Une exposition événement présente à Paris le sarcophage de Ramsès II. La momie du pharaon est, elle, restée au Caire. En 1976, Christian de Tassigny, qui dirigeait le laboratoire Arc-Nucléart du CEA de Grenoble, a participé à son sauvetage grâce à une technique d'exposition au rayonnement gamma.

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En 1976, Ramsès II arrive à Paris, tel un monarque en exercice, reçu avec les honneurs de la République. Sur le tarmac de l'aéroport du Bourget, le coffre qui recèle sa momie est accueilli en grande pompe par le gouvernement et l'ambassadeur d'Egypte. Comme d'autres chefs d'Etat, avant et après lui, Ramsès II vient se faire soigner en France.

Le corps momifié du souverain égyptien, vieux de plus de 3000 ans, est en danger. Des champignons et des insectes fongiques ont colonisé ses membres et menacent de ronger la dépouille du pharaon.

Sur proposition de Christiane Desroche-Noblecourt, alors conservateur en chef du département des antiquités égyptiennes au musée du Louvre, l'Egypte a accepté de confier la momie à la France, le temps de sa restauration.

"Une présence impressionnante" et "majestueuse"

La momie est transférée au musée de l'Homme où son administrateur, le doyen Balout, convoque plus d'une soixantaine de spécialistes pour diagnostiquer et sauver le souverain égyptien.

Parmi eux, se trouve Christian de Tassigny, co-fondateur d'Arc-Nucléart, un laboratoire du CEA de Grenoble. Son domaine d'expertise est la conservation et la restauration des biens culturels, lorsqu'ils sont composés de matériaux organiques et poreux. 

Au musée du Caire, la momie était présentée "sous une simple vitrine", "sans étanchéité", l'exposant à l'air. "Elle était dans des conditions d'humidité et de température qui favorisaient les moisissures, les champignons", indique Christian de Tassigny. 

Près d'un demi-siècle plus tard, l'ingénieur se souvient très bien de ce qu'il a ressenti en découvrant Ramsès II.

"Quand vous voyez de près le visage de cette momie, on est forcément impressionné : on est devant une personne, certes vieillie après 3300 ans", dit-il dans un sourire "mais qui a une présence impressionnante, à cause de ses traits".

"On avait l'impression d'un être presque vivant. Il a gardé toute une chevelure, quand on s'approchait, on voyait même ses poils de barbe blancs. Ses mains étaient très effilées avec des ongles très bien taillés. Ce qui frappait, c'était son impression majestueuse, une finesse incroyable, des cheveux encore souples auxquels on n'avait pas le droit de toucher, bien sûr", raconte Christian de Tassigny.

Le pharaon aux cheveux roux

"Il existe peu de momies qui aient si bien traversé nos siècles. Ramsès II est mort à 92 ans après 67 années de règne, ce qui est inouï", dit-il. Dans l'assemblée, les scientifiques sont fascinés par les 3000 ans d'histoire qu'ils ont sous les yeux. Mais leur tâche est lourde. Ils n'auront pas droit à l'erreur. 

Des prélèvements sont opérés pour identifier les insectes et les champignons à détruire. Des recherches sont également entreprises pour en savoir plus sur Ramsès II. Ses cheveux, par exemple, feront l'objet d'une attention particulière.

"Une vingtaine de spécialistes (dont des équipes de L'Oréal et du laboratoire d'identité judiciaire de Paris) se sont penchés sur la question de savoir si le pharaon était roux ou pas. Les résultats tendent à prouver que les cheveux étaient bien roux, bien qu'ils apparaissent jaunis en raison d'une teinte au henné", livre Christian de Tassigny.

Le rayonnement gamma pour sauver la momie

Les équipes d'Arc-Nucléart, qu'il dirige, sont, elles, sollicitées pour proposer une solution de sauvetage de la momie. "On avait la connaissance de la destruction des champignons et des moisissures sur des parchemins, des livres ou des textiles contaminés", explique Christian de Tassigny.

Le laboratoire est spécialisé dans la technique du rayonnement gamma. 

"Quand vous regardez un arc-en-ciel, vous voyez des couleurs qui vont du rouge à l'orangé, jaune, vert, bleu. Si on continue, on ne les voit plus, mais on a les ultra-violets, les rayons X et puis les rayons gamma, de plus en plus énergétiques", détaille l'ingénieur.

"Ce n'est que de la lumière. Quand vous bronzez sur la plage et que vous vous exposez aux UV, vous ne sortez pas radio-actifs. Là, c'est la même chose. C'est uniquement une lumière plus énergétique. Comme elle est énergétique, elle peut détruire des bactéries, et donc des champignons", indique le chercheur. 

Des momies du musée de Grenoble, "soldats inconnus" de ce sauvetage

"On savait à quelle dose le rayonnement gamma pouvait détruire des micro-organismes, à 18 kilograys (unité de mesure de dose absorbée, NDLR). L'idée, c'était d'appliquer ces doses-là à ces champignons (entre 60 et 80 espèces différentes) et voir si on les détruisait bien".

Mais il fallut également tester l'impact du rayonnement sur le reste de la momie, pour ne pas l'endommager. "On a travaillé avec une douzaine de laboratoires qui se préoccupaient des cheveux, des dents, de la résine d'embaumement, des textiles de lin, etc."

Impossible de faire un essai sur le corps de Ramsès II. Les scientifiques ont alors recours à des "cobayes", si l'on peut dire.

"On a fait des répétitions dans notre casemate d'irradiation du CEA de Grenoble. Dans notre laboratoire Nucléart, on a fait venir des momies du musée de Grenoble, qui étaient dans leur sarcophage et on a fait l'irradiation".

"Ce sont des soldats inconnus en quelque sorte. Elles ont permis de vérifier que nos calculs étaient bons", assure Christian de Tassigny.

L'opération est un succès, mais il est impensable de transférer la momie dans les Alpes. Il faut donc renouveler les essais en région parisienne, dans un autre centre de recherches du Commissariat à l'Energie Atomique. 

"Le musée de l'Homme a prêté des momies dans leur sarcophage et on a simulé et refait des tests, dans une casemate identique, à Saclay. On a truffé de dosimètres pour vérifier nos protocoles de calculs dans cette autre cellule d'irradiation", continue le co-fondateur du laboratoire grenoblois.

Une fierté et "un grand ouf de soulagement"

La méthode du rayonnement gamma s'impose alors comme la solution. Les autres techniques possibles (chaud, froid, oxyde d'éthylène) risquaient de trop dégrader la momie.

"L'irradiation gamma se fait à température et à pression ambiante. Il n'y a pas de manipulation pendant le traitement", confirme Christian de Tassigny.

Le sauvetage aura duré près de sept mois. La momie de Ramsès II a repris son envol vers l'Egypte le 10 mai 1977. "La principale fierté de l'équipe, c'était d'avoir réussi l'opération d'irradiation, et d'avoir vérifié que tout le protocole qu'on avait mis au point était parfaitement respecté. On a pu le savoir qu'à la fin, que le jour où on a fait le déballage. On a pu pousser un ouf de soulagement. Au musée du Caire, j'ai retiré les dosimètres et on a vérifié que les doses avaient bien été appliquées"

Une mise en valeur de l'expertise du laboratoire grenoblois Arc-Nucléart

L'audience internationale du sauvetage du pharaon a permis au laboratoire Arc-Nucléart de prendre de l'ampleur et de faire connaître son champ d'expertise et ses travaux. 

"On développait, en parallèle, avec le musée Dauphinois de Grenoble des traitements de conservation de tous les objets médiévaux du lac de Charavines : conservation de bois humides et consolidation de bois secs et de bois de statuaires très abîmés", raconte le scientifique.

"Par la suite, cela s'est traduit par un concours annuel de sauvetage d'objets du patrimoine. Tous les ans, des communes envoient des propositions de sauvetage de biens".

Composé d'une équipe d'une vingtaine de personnes, le laboratoire Arc-Nucléart est devenu, aujourd'hui, une référence mondiale dans la sauvegarde du patrimoine. 

En 2010, les spécialistes grenoblois ont traité par irradiation gamma un bébé mammouth, baptisé Khroma, prêté par la Russie pour être exposé au musée Crozatier du Puy-en-Velay. Ils ont également participé à la restauration d’un chaland romain prélevé dans le Rhône, durant l’été 2011.

L'exposition "Ramsès et l'or des Pharaons" se déroule jusqu'au 4 septembre 2023 à la Grande Halle de la Villette, à Paris.

Si la momie de Ramsès II est restée au Caire, le sarcophage du pharaon est lui exposé. Un prêt exceptionnel accordé par les autorités égyptiennes à la France, en hommage à cette histoire.

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