En Isère, beaucoup d’hôpitaux ont été contraints de fermer leurs services d’urgence la nuit faute de personnel. Conséquence : la population reporte les demandes sur le centre de régulation du 15. Nous avons passé une nuit avec les opérateurs débordés, qui subissent de plein fouet la crise de l’hôpital public.
C’est un lieu où aucun patient ne pénètre. Situé au cœur du CHU de Grenoble, le centre de régulation du 15 reçoit de plus en plus d’appels depuis que les urgences ferment à 20 heures. Au bout du fil, des personnes affolées qu’il faut pouvoir aider rapidement.
"J’avais le dos tourné et ma fille de 6 ans a bu 100ml de Doliprane en flacon". "Et là actuellement, elle est comment votre fille ?". Casque et micro vissés sur la tête, Anoucq Beroud tente de répondre au mieux à ce père paniqué.
L’assistante de régulation médicale a 30 secondes pour analyser la situation et décider s’il faut transférer l’appel à un généraliste ou à un urgentiste. Mais tout le dispositif est saturé, alors le père de l’enfant devra attendre une 1 heure pour parler à un médecin.
"On ne s’occupe pas bien des gens, c’est presque de la maltraitance à ce stade, se désole-t-elle. Le week-end on arrive à 5h d’attente pour parler à un médecin, on décroche les appels au bout de 6 minutes. Donc imaginez la personne qui appelle pour une urgence et qui doit attendre plus de six minutes avant qu’on lui dise bonjour ! On ne sert pas bien la population en ce moment, clairement pas"….
1600 appels par jour
Chaque jour, le 15 de l’Isère doit répondre à environ 1 600 appels, entre gros accident de la circulation, simple fièvre et accidents domestiques. Pour les cas les moins graves, le patient est pris en charge par le médecin régulateur.
"On va prendre un rendez-vous avec un médecin de garde, je vais regarder dans votre secteur" rassure Cécile Moncenis, au téléphone avec un patient.
Médecin généraliste à Crolles, elle travaille le soir depuis dix ans au centre de régulation. Selon elle, le 15 est aujourd’hui sous tension à cause de la fermeture des urgences, mais aussi à cause du manque de médecins : "Les médecins de ville sont débordés… C’est pas qu’ils ne veulent pas recevoir leurs patients, c’est qu’à un moment vous ne pouvez plus. Vous pouvez en mettre deux par quart d’heure, c’est plus possible. Là, on est sur un navire qui est train de couler. Alors on écope mais le navire il coule, et on a du mal".
Sur la fenêtre située près de son poste, plusieurs feuilles de papier ont été collées. La vitre est recouverte de grosses lettres imprimées en noir : "Le service des oubliés".
Avec la fermeture des urgences la nuit, le centre 15 a pu bénéficier d’effectifs supplémentaires : deux étudiants, au lieu d’un habituellement, sont mobilisés pour contacter les ambulances et les maisons médicales de garde.
Ce soir-là, c’est Anthony Burille, étudiant en 3ème année de médecine, qui prend les appels. "C’est vrai que c’est compliqué, ça fait peur pour notre futur métier mais il faut s’adapter… On s’entraide, il y a toujours quelqu’un pour nous aider si on a un problème" relativise-t-il.
Le tri des patients
Jusqu’à minuit, deux médecins urgentistes s’occupent des cas les plus sérieux. D’après Guillaume Debaty, médecin urgentiste et chef de service des urgences-SAMU/SMUR/Centre 15, il manquerait 30% des effectifs pour répondre à la demande. "Je crains l’arrivée de l’été, car à partir du 10 juillet, on aura plus de vacanciers, plus d’accidents en montagne et donc plus d’urgences à traiter. On craint… mais on va s’adapter comme à chaque fois !" glisse-t-il avec un sourire triste.
A quelques mètres du centre 15, les allées et venues se succèdent aux urgences du CHU de Grenoble. Là aussi, on "trie" les patients. Devant l’entrée, les secouristes assurent la régulation. Si le cas est grave, le patient est pris en charge. Sinon,il est réorienté vers une maison médicale.
Ce fonctionnement devrait être maintenu tout l’été.