Jérémy Roger est forgeron taillandier. Installé en Isère, il s’est lancé, il y a 14 ans, dans la fabrication d’outils tranchants. Certaines de ses haches, identiques à celles utilisées au XIIème siècle, ont servi aux charpentiers pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Rencontre.
Dans son hangar au milieu de la ferme Gabert, résonne à toute heure de la journée le bruit du marteau sur l’enclume. C’est à Clelles, entre les montagnes du Vercors et celles du Dévoluy que Jérémy Roger a installé outils et forge pour exercer son métier de taillandier : "C’est celui qui confectionne des objets tranchants", explique simplement Jérémy. "Mais ce métier c’est, avant tout, rester humble et très patient." Patient, car la fabrication d’une hache nécessite plusieurs heures de travail.
10 heures pour fabriquer une hache
D’abord il faut allumer la forge, mettre du petit bois et du charbon, et attendre. Attendre que le feu soit à bonne température. Pour une hache, Jérémy fait chauffer le métal à plus de 1 000 degrés. "Il faut aimer la chaleur, très clairement, ce qui fait qu’au bout d’un moment, chez moi ça fait l’effet inverse, je ne supporte plus le froid, à force d’être à côté du feu ! "
Une fois chauffée, la pièce de métal est sortie et posée sur l’enclume puis, elle est martelée et façonnée, à plusieurs reprises. "Réussir une hache du premier coup, c’est possible, avec beaucoup de pratique. Mais si on veut une hache avec l’ergonomie qu’on veut, le poids et la géométrie désirée, la plupart du temps on va faire deux voire trois ébauches."
Il faut généralement 10 heures de travail pour façonner une hache d’équarrissage. Un modèle que l’artisan a déjà fabriqué une trentaine de fois. "Contrairement à ce qu’on pense, ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est qu’une hache à la base n’est pas faite pour fendre du bois. Une hache, c’est fait pour couper du copeau ! On abat des arbres avec une hache mais on ne fend pas du bois avec une hache du fait qu’on n’utilise plus beaucoup de haches, on en a vraiment perdu l’essentiel de son utilité".
L’expérience Notre-Dame : des haches identiques à celles utilisées au XIIème siècle
Récemment, le savoir-faire de Jérémy a été sollicité pour le chantier du siècle : la restauration de la cathédrale Notre-Dame à Paris.
En effet, après l’incendie, les ateliers Perrault et Desmonts basés dans l'Eure ont remporté l’appel d’offre pour restaurer les charpentes médiévales du chœur de la nef à l’identique. Ces deux ateliers ont fait appel au savoir-faire de la Maison Luquet, située dans le Haut-Rhin, et de ses quatre partenaires dont fait partie l’atelier de Jérémy. Leur mission : produire les haches similaires à celles utilisées au 12ème siècle pour charpenter les poutres de la cathédrale.
"J’ai beaucoup appris de cette aventure, nous dit Jérémy Roger, et notamment sur les personnes qui nous ont accueillies sur ce chantier-là et qui eux avaient un certain savoir-faire. Faut savoir qu’il n’y a aucun écrit sur la taillanderie, et ce savoir-faire, ça va nous permettre de faire des écrits sur les techniques d’assemblage de hache qui vont être inscrits au patrimoine immatériel."
Changement de vie
Mais Jérémy n’a pas toujours exercé ce métier. Ancien preneur de son il a opéré ce changement de vie, il y a près de 14 ans. "Ce qui me plaît dans la fabrication des haches, c’est de savoir qu’elles sont utilisées depuis bien avant le néolithique, donc on parle d’une plage de 13 000, 14 000 ans. On a arrêté d’utiliser des haches à partir des années 60 et là on se rend compte, avec tous les phénomènes sociaux que les haches commencent à être réutilisées de plus en plus que ce soit pour la charpente ou des personnes qui ont acheté des bouts de forêts."
Jérémy Roger vend une cinquantaine de haches par an, elles valent plusieurs centaines d’euros. Ce taillandier conçoit également des couteaux et outils de jardinage, comme des serpettes. Il anime aussi des ateliers et des stages pour transmettre son savoir-faire.