Malgré l’air pur des sommets qu’elle emprunte à plus de 2 000 mètres d’altitude, ce sont bien des nuages chargés de miasmes de Covid-19 qui ont condamné momentanément la plus petite (mais aussi la plus raide) des courses de l’extrême en montagne.
Renvoyée à l’automne prochain, la seule étape française de la coupe du monde de Skyrunning (les courses du ciel) n’a donc pas encore rendu son dernier souffle pour 2020. D’un ancien plateau minier des alpes iséroises où elle se déroule, aux 4 coins du monde où sa renommée est arrivée, les organisateurs de la Skyrace des matheysins ne lâcheront… rien !
"Sur le moment, c’est dur à avaler. D’abord, il a fallu gérer tout l’administratif, tout déconstruire… ça prend quelques jours d’occupation. Mais après, c’est le néant ! ». Olivier Coudert, entraîneur de l’Athletic club matheysin, coureur du ciel depuis que les skyrace ont pris leur envol il y a une dizaine d’années et à présent "Grand Manitou" de la Skyrace des Matheysins, a encore du mal à digérer la décision qu’il a dû prendre fin mars de reporter la date de naissance de son bébé 2020 : les samedi et dimanche 17 et 18 octobre, au lieu des 16 et 17 mai dernier initialement prévus.
Car si, en une poignée d’années seulement, le discret "Cross des Matheysins" s’est hissé au niveau national puis, depuis l’an dernier, international en devenant coupe du monde de Skyrace, c’est en grande partie à lui qu’on le doit. Sinon comment imaginer qu’un petit club d’athlétisme de 95 adhérents, situé sur un ancien plateau minier de 20 000 habitants en difficulté économique, ait réussi le tour de force d’attirer le gratin des "coureurs du ciel" à seulement 1 000 mètres d’altitude ?
"La Skyrace, une fierté et une bonne carte de visite pour tout le plateau"
"Notre Skyrace, c’est une fierté pour nous ! Car il a fallu prendre certaines décisions risquées pour en arriver là !". Celle, par exemple en 2014, alors que la grande course de l’année s’appelle encore "cross" et que son attraction ne dépasse guère les limites du canton, d’attribuer au vainqueur un "price money", comme on dit dans le jargon. Oui de l’argent. Oh, pas à la hauteur du moindre skicker publicitaire collé sur le maillot d’un joueur de football. Une poignée d’euros seulement, mais suffisante, dans cette discipline à l’effort sous-payé, pour donner le goût aux meilleurs champions français de monter sur le plateau.
"Après, il a fallu trouver les financements, poursuit Olivier Coudert." Pas facile dans une partie de l’Isère à l’industrie sinistrée par la fermeture de la mine de charbon dans la dernière décennie du 20e siècle. "Mais le jour où le patron d’Olivier, fabricant de poêle à bois, Inovalp, situé sur le plateau lui dit que pour élargir son audience et recruter, il a besoin d’une vitrine plus large que la seule Matheysine, l’entraineur de l’ACM n’y va pas par 4 chemins et propose à son "Boss" une vitrine tout simplement… mondiale : les Skyrunner World Series !".
D’autres entrepreneurs, quasiment tous locaux, lui emboiteront le pas. "Pour la Skyrace 2019, nous disposions d’un budget de 32 000 euros" précise la trésorière de l’évènement, Stéphanie Bastrenta. Une "accro" de la discipline autant que son mari, Damien. Ils font partie de la quinzaine de bénévoles qui suent temps et eau chaque année pour donner vie à l’épreuve matheysine. "Nous, on est minuscule" poursuit-elle ! "Sur les 15 étapes que compte la coupe du monde de "skyrace", on est le plus petit ou l’un des plus petits budgets !".
Petit, c’est vrai, par rapport aux moyens dont disposent des clubs d’athlétisme comme ceux qui organisent les 15 autres courses du calendrier, que ce soit en Suisse ou au Japon par exemple, pays qui devait lancer les Skyrunneur world Series au mois d’avril dernier et qui a été contraint d’annuler pour cause de Covid.
Petit, d’accord…mais ô combien prompt à se battre comme un lion, lorsqu’il se sent menacé dans sa survie. "Fin mars, on a été la première épreuve du circuit à déclarer à la fédération internationale de skyrunning que l’on avait choisi de déplacer notre épreuve à l’automne. Tout simplement, parce qu’en se décidant plus tôt que les autres, on était certain d’avoir encore disponibles la plupart des dates proposées par la fédération pour reporter notre course". "Et puis, nous qui avons chaque année des difficultés à boucler notre budget, si on annulait l’épreuve de cette année, on était sûr qu’en 2021 on ne repartait pas", complète, avec un étranglement dans la voix, Olivier Coudert.
"Vous savez, dans notre monde de skyrunners, à part notre tête d’affiche, Kilian Jornet, qui bénéficie de sponsors pour ses équipements, ou pour sa nutrition, de dotation financières consistantes allouées par des grandes marques, la plupart des 400 coureurs du circuit sont des semi-professionnels".
Pas de chèques noircis de zéros à la Roland-Garros pour les vainqueurs. 6 000 euros au total à répartir entre les 10 premiers du classement hommes et celui du classement femmes : à part égale, 3 000 euros chacun. Parité respectée. (Allez en parler à d’autres disciplines sportives).
Une course dans le ciel qui fédère les terriens de la Matheysine
Pas davantage d’hôtels constellés d’étoiles pour les "coureurs du ciel". Même pour l’élite de la discipline, il faut se contenter, au mieux du 3 étoiles de la Mure, la grande ville du plateau avec ses presque 5 500 habitants.
"Notre gîte rural de 10 couchages est également mis à la disposition des coureurs pendant la durée de l’évènement, ainsi que la salle polyvalente" déclare fièrement Nicole Delpuech. Madame la Maire de Saint-Honoré, la commune sur laquelle se dispute l’épreuve, a soutenu dès le début de leur aventure les organisateurs de l’épreuve. "J’ai aussi bataillé avec la communauté de communes du plateau pour qu’ils abondent la subvention de notre commune. Car s’il est vrai que ma commune compte 11 hameaux et que cette course est un très bon outil pour fédérer tout le monde, la Skyrace des Matheysins profite à toute notre zone en lui donnant une visibilité extraordinaire grâce aux retombées médiatiques."
Avant que le deuxième tour des élections municipales, le 28 juin prochain, ne vienne, peut-être faire peser une incertitude supplémentaire sur l’avenir de la course, Nicole Delpuech a dores et déjà pris ses précautions pour qu’à l’automne prochain, les organisateurs puissent compter sur le soutien constant de la mairie.
Quid de l’avenir
Mais c’est bien la seule certitude qu’a, à ce jour, l’équipe d’organisation. Pas de nouvelles des collectivités locales pour l’instant, département et région, eux aussi dans le tour de table des partenaires. Difficile de voir clair dans les intentions des entreprises privées, aux capacités de sponsoring souvent anesthésiées par la crise du Covid.
"Je ne m’inquiète pas trop, malgré tout" professe Olivier Coudert. On sait que ça va repartir pour les vrais sports comme le nôtre. Quand on lit les réseaux sociaux, le sentiment qui domine c’est que l’on veut bien payer pour les infirmières, mais on acceptera maintenant beaucoup moins facilement les salaires mirobolants comme ceux des footballeurs. "Déjà avec la réouverture des frontières, à partir de juin, tous nos athlètes européens devraient pouvoir s’entraîner pour être avec nous à l’automne. C’est vrai que pour tous ceux hors Union Européenne, la question de leur venue reste entière. Mais à la clôture des inscriptions, au début de l’année, on avait déjà entre 150 et 200 personnes sur liste d’attente."
Un optimisme qui, on l’espère, sera suffisant pour que les "skyrunners" reprennent leur vol à l’automne au-dessus du Tabor (2 389 mètres), du Piquet de Nantes (2 214 mètres) ou le passage des Oreilles de loup… autant de nids d’aigle enneigés qui ne voyaient autrefois passer que des alpinistes, et qui désormais voient défiler d’autres compétiteurs hors-norme, de vrais chevaliers du ciel… mais en baskets.
Le skyrunning c’est quoi ?
En une phrase : le skyrunning est au trail ce que le ski alpinisme est au ski de randonnée. C'est-à-dire une version extrême mais sur des formats assez courts, (25,5 kilomètres pour l’épreuve de l’an dernier, 19 pour la skyrace des Matheysins 2020), très aériens…Mais attention au fort ratio distance/dénivelé.
Pour dépasser les 2 000 mètres d’altitude en d’aussi courtes distances, il faut emprunter des pentes souvent vertigineuses, avec un solide pied montagnard, et évidemment sans la présence du public pour donner chaud au cœur.
Les spectateurs, souvent nombreux, attendent plus bas, et pas trop longtemps. A titre d’exemple, le vainqueur de la Skyrace des Matheysins 2019, le polonais Bartlomiej Przedwojewski n’a mis que 2 heures 35 minutes et 10 secondes pour parcourir ses 25,5 kilomètres et 2 000 mètres de dénivelé positif.
Quant au parcours prévus pour l’édition 2020, reporté au 17 et 18 octobre, il comptera 18,5 kilomètres et 1 200 mètres de dénivelé positif.
Notez qu’une ronde des marmottes et différentes courses pour enfants auront également lieu pendant le week-end.