La ministre de la Culture a présenté il y a quelques jours un projet de loi-cadre pour accélérer les restitutions d'œuvres d'art spoliées par les Nazis. Des biens culturels identifiés grâce à Rose Valland, espionne iséroise, qui a consigné les pillages sous l'Occupation. Elle a ensuite dédié sa vie à leur restitution, donnant son nom à la base de données nationale qui les rassemble.
C'est un personnage méconnu de l'histoire de l'art et de la Résistance française. Rose Valland, née à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, dans le nord-Isère, est devenue sous l'Occupation, la mémoire vivante des biens culturels pillés par les Nazis dans les collections privées des familles juives de France.
C'est grâce à son travail d'espionnage que les restitutions de biens culturels - que la ministre de la Culture Rima Abdul Malak veut amplifier - sont possibles, près de 80 ans après leurs vols.
Un centre de tri des biens culturels volés
Attachée de conservation bénévole au musée du Jeu de Paume à Paris, Rose Valland voit dès novembre 1940 affluer des milliers d'oeuvres d'art. Elle comprend rapidement que son musée a été transformé par les Nazis en centre de tri des biens culturels volés. Ils y sont exposés pour être envoyés ensuite en Autriche, à Linz, où Hitler veut faire construire un grand musée, mais aussi en Allemagne, dans des caches de hauts dignitaires du Troisième Reich. Hermann Göring y viendra à plus de vingt reprises pour y faire son marché.
Rose Valland comprend rapidement l'importance de garder une trace de ce pillage systémique. Elle consigne ainsi soigneusement dans des notes, chaque oeuvre qu'elle voit passer au musée et, au péril de sa vie, trouve les adresses où les tableaux et autres sculptures seront expédiées. Elle récupère notamment dans les poubelles les stencils (feuillets utilisés lors la reproduction de documents).
Elle rédigera ainsi des milliers de rapports envoyés à Jacques Jaujard, le directeur des musées nationaux, basé au Louvre et entré en Résistance.
"Le soir, elle griffonnait sur des morceaux de papier, ce qu'on a appelé ensuite les notes de Rose Valland. J'ai eu la chance de voir les 760 cartons. Aujourd'hui tout est aux archives", indique Jacqueline Barthalay, présidente de l'association "La Mémoire de Rose Valland".
60 000 oeuvres restituées grâce à Rose Valland
Après la guerre, elle consacre sa vie à la restitution des oeuvres spoliées. Elle rejoint les "Monuments Men" en Allemagne, cette unité de l'armée américaine chargée d'identifier les biens culturels pillés par les Nazis. Elle devient ensuite responsable de la commission de récupération artistique pour le gouvernement français.
Sur les 100 000 biens volés dans les collections privées, 60 000 retrouveront leurs propriétaires ou leurs héritiers, grâce aux notes de Rose Valland.
Ses renseignements ont été sauvegardés et constituent aujourd'hui la base de données Rose Valland qui permet de recenser les oeuvres orphelines et de continuer le travail de restitution des biens MNR (Musées Nationaux Récupération).
Cette femme de l'ombre, enterrée à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs en 1980, aura peu connu la lumière de son vivant. Récipendiaire de la légion d'honneur et de la médaille de la Résistance, elle est davantage reconnue à l'étranger où elle a été décorée.
Aujourd'hui, il est temps que son travail et que tout ce qu'elle a pu accomplir puisse être visible par le grand public
Alice Buffetdirectrice du musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère
"Peu de gens mesurent l'impact que cette femme-là a eu dans la résistance, dans le domaine de l'art. Pour moi c'est quelqu'un de fantastique", indique Jacqueline Barthalay qui regrette que la France commence seulement à reconnaître l'importance de son travail.
"Ce sont les Etats-Unis qui m'ont aidés les premiers à faire reconnaître Rose Valland", ajoute-t-elle, en finançant une exposition consacrée à l'historienne de l'art. En 2014, son rôle est à nouveau reconnu et incarné à l'écran par dans Monuments Men, un film de George Clooney.
Une partie de ses archives personnelles a été donnée au musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère, pour aider à faire connaître son parcours.
"Ce fonds est très important. Il permet de documenter un parcours de vie consacré à l'art, et un parcours de résistante. Nous allons pouvoir les présenter au public, les faire connaître, et les chercheurs, les historiens vont pouvoir venir les étudier", explique Alice Buffet.
"L'historiographie a longtemps oublié les femmes pendant la guerre"
Depuis 2020, l'histoire de Rose Valland se fait plus visible. Une exposition lui a été consacrée au Musée Dauphinois et un film documentaire "l’espionne aux tableaux, Rose Valland face au pillage nazi" a été réalisé par Brigitte Chevet.
"Aujourd'hui il est temps que son travail et que tout ce qu'elle a pu accomplir puisse être visible par le grand public", ajoute la directrice du musée isérois.
"Les questions liées à la spoliation et à la restitution fait ressurgir le personnage de Rose Valland, et surtout ce travail qui a été indispensable à la fin de la guerre et durant les années qui ont suivi. L'historiographie pendant longtemps a oublié tout ce que les femmes ont fait pendant la guerre et notamment les actes de résistance, donc déjà je pense que Rose Valland rentre dans cette catégorie-là. Et c'est aussi parce que les femmes quand elles l'ont fait n'ont pas cherché de reconnaissance après la guerre, elles n'ont pas souhaité être reconnues et donc pendant longtemps l'historiographie ne les a pas considérées et ne s'est pas penchée sur le sujet", estime Alice Buffet.
D'après le ministère de la Culture, "au 18 avril 2023, le nombre de biens MNR restitués depuis 1950 s’élève à 170. S’y ajoutent 14 œuvres ramenées d’Allemagne et restituées avant d’avoir été inventoriées comme MNR ou confiées à la garde du Musée d’art et histoire du judaïsme. Soit un total de 184 œuvres MNR et équivalent restituées depuis 1950".
Une histoire de l'art écrite en partie par Rose Valland.