Des boîtiers, capables d'analyser n'importe quel son, ont été installés dans les chambres d'un établissement médicalisé de Beaurepaire, en Isère. Ces "oreilles augmentées" permettent d'alerter plus facilement les soignants en cas de problème d'un résident. Une veille sonore salutaire, en particulier la nuit.
Tambourinages, vomissements, cris, appels à l'aide ou besoin d'un verre d'eau : plus rien ne leur échappe. Ils ont désormais des oreilles partout.
Les soignants de la résidence médicalisée Grand Ouest de Beaurepaire, en Isère, ont un nouvel allié, discret, pour veiller sur les personnes âgées et les personnes handicapées qu'ils prennent en charge.
Un petit boîtier blanc a été installé dans les chambres privatives et dans certaines parties communes. Au moindre bruit suspect, au moindre signe de détresse, une alerte est envoyée sur le smartphone des professionnels.
Ces derniers peuvent écouter le son émis et décider ainsi du degré d'urgence de leur intervention. Un système particulièrement utile la nuit lorsque les effectifs sont réduits. "Cela ne remplace pas l'homme, mais ça permet d'avoir un complément et d'entendre des bruits que l'on n'aurait pas forcément entendus", indique Cindy Collion, infirmière coordinatrice du dispositif.
L'intelligence artificielle pour distinguer le cri du bruit de la télé
Pour elle, le système "aide à raccompagner plus rapidement le résident dans son sommeil, par exemple. Cela permet de laisser aux résidents leur intimité, ils sont dans leur espace personnel au niveau de la chambre". Car ce dispositif évite aux soignants de pénétrer systématiquement dans les chambres toutes les heures, lors des rondes de nuit.
Le boîtier fonctionne grâce à l'intelligence artificielle. Une base de données de sons a été construite. L'oreille augmentée a été entraînée à les analyser. "Il y a eu toute une phase d'expérimentation pendant laquelle on a appris à l'oreille augmentée à identifier les bruits qui allaient et les bruits qui n'allaient pas", poursuit l'infirmière.
"Tous les bruits étaient identifiés au départ. Avec la sélection des veilleurs de nuit, des aide-soignantes ou des infirmières qui sont là la nuit, cela a permis d'affiner l'oreille augmentée et de ne détecter que les bruits qui étaient nécessaires", explique Cindy Collion. Un tri essentiel pour éviter de s'alarmer alors que le son jugé anormal provient d'un film ou d'une émission à la télévision par exemple.
L'entreprise à l'origine de cette innovation souhaitait aider les soignants et les personnes fragiles "en analysant cet environnement sonore (...) qui contient énormément d'informations", indique Ollivier Menut, dirigeant d'OSO-AI. "On est spécialisé dans les bruits un peu bizarres : les crachats, les chutes, les draps qui se froissent", décrypte-t-il.
Un outil rassurant
"Dans les établissements de santé, souvent, il y a des dispositifs d'appels pour les malades, des boutons-pression qui sont, au final, utilisables par très peu de personnes", indique-t-il. "Nos clients nous disent qu'il y a à peu près 20 % des gens qui sont capables de les utiliser à bon escient. Si jamais ils tombent ou s'ils font un malaise, ils n'utilisent pas le dispositif d'appel. Donc, nous, on vient comprendre ce dont a besoin le résident sans même qu'il l'exprime", ajoute Ollivier Menut.
Un service d'autant plus utile lorsque les personnes ont des difficultés à verbaliser ce qu'elles ressentent. Dans la résidence Grand Ouest, une majorité de personnes accompagnées sont en situation de handicap, notamment mental.
Marine accepte de nous dire quelques mots. Le boîtier est, pour elle, une garantie, un facteur d'apaisement. "J'étais d'accord parce que j'avais peur la nuit. Je me sens plus en sécurité et, maintenant, je fais moins de cauchemars", confie-t-elle. "C'est confortable, ils peuvent nous surveiller. Ça donne confiance. L'équipe nous entend dans le téléphone. Je suis contente. Cela apporte de la sécurité", confirme une autre résidente.
Quel degré de surveillance ?
Et si le dispositif est rassurant, il pose également un certain nombre de questions éthiques. Des boîtiers capables d'identifier n'importe quel son... Le spectre de Big Brother plane. Le dirigeant d'OSO-AI est formel : il s'agit d'un outil de surveillance, et non pas d'une méthode d'espionnage.
"On n'enregistre rien. Les conversations entre les soignants et les résidents ne sont pas analysées. On est là pour améliorer la prise en charge de la personne fragile et pour aider les soignants, améliorer leur qualité de vie au travail, mais il n'y a aucun dispositif de flicage", assure Ollivier Menut.
L'intelligence artificielle va-t-elle remplacer l'humain ? Se substituer à l'expertise du professionnel ? À nouveau, au sein de la résidence iséroise, l'équipe dirigeante s'en défend. L'oreille augmentée ne menace aucun emploi, d'après Jean-Baptiste Mis, le directeur de l'établissement.
"Nous avons conservé le même nombre de personnes : entre quatre et cinq personnes la nuit. Donc, on ne remplace pas le personnel, bien au contraire, on les aide et on les accompagne dans leur travail pour qu'ils soient le plus efficace possible et qu'on soit le plus intelligent possible dans leur accompagnement".
Améliorer les conditions de travail
Dans un contexte de pénurie du personnel médical, Jean-Baptiste Mis voit même l'oreille augmentée comme un bonus pour son établissement. "Cela permet d'améliorer la qualité de vie au travail des personnels soignants, en particulier la nuit puisqu'ils sont peu nombreux. Et, cela nous permet, nous, d'être plus attractifs au niveau de notre recrutement pour les infirmiers de nuit", dit-il.
À Beaurepaire, l'équipe est encore en phase de découverte du système. Il faudra attendre plusieurs mois pour faire le bilan de cette nouvelle expérience.
Mais l'entreprise brestoise à l'origine de cette technologie a déjà équipé 1 500 chambres en France de ces boîtiers : dans des foyers pour personnes en situation de handicap, dans des Ehpad, mais aussi dans des logements privés pour faciliter le maintien à domicile.
Les chutes des personnes âgées entraînent chaque année plus de 100 000 hospitalisations et plus de 10 000 décès. Pour juguler le phénomène, le gouvernement a lancé un plan triennal anti-chutes. Dans ce contexte, les solutions de téléassistance telles que l'oreille augmentée visent à limiter les risques d'accidents et leurs conséquences.