À Saint-Hugues-de-Chartreuse, les habitants se sont battus pour pérenniser leur petite station familiale, composée de quelques téléskis et d’un beau domaine nordique. Bénévolat, structure associative et beaucoup de passion ont permis de réussir un pari difficile en moyenne montagne : animer le village pendant la saison d’hiver, et maintenir de l’activité économique au pays.
Laurent Guillaume nous emmène à la découverte de cette petite station où l’ambiance reste chaleureuse, les prix abordables, et qui résiste encore et toujours aux vents parfois contraires du gigantisme et de la croissance permanente. Ici, pour un peu plus d’une dizaine d’euros, les enfants peuvent découvrir les joies de la glisse, à l’ancienne, dans un cadre sécurisant et parfaitement adapté à la progression des débutants…
Une histoire de passion avant tout
Certes, les hivers ne sont plus ceux qu’avait connus Guy dans son enfance, se souvient le père fondateur de l’association qui a repris la gestion de la petite station familiale des Egaux, à Saint-Hugues, menacée de fermeture en 2010. "Mais la neige, même si elle est plus irrégulière qu’autrefois, il y en a toujours" tempère-t-il. Petit, il a appris à skier ici, devant sa porte, et a transmis cette passion de la glisse à ses enfants puis aujourd’hui à ses petits-enfants. Quatre téléskis, dont un pour débutants et l’autre qui mène à une piste officiellement estampillée "rouge" font la fierté de ce retraité qui voit son hameau illuminé par les sourires des gamins et les éclats de rire des plus grands qui s’essayent à la technique du ski alpin.
Il faut dire qu’on ne vient pas ici pour frimer. "Le rythme des Egaux, ce n'est pas Val d’Isère", confirme avec un flegme tout dauphinois le restaurateur local, Serge, qui peine à bouter la neige lourde détrempée par la pluie battante hors de sa terrasse. " C’est ce qui me plait ici. On est tranquille, et mis à part quelques moments de bourre quand on a du monde le week-end, on arrive encore à discuter avec les gens. Personne ne se prend la tête". Pour autant, l’ambiance dans son petit bar est plutôt débridée à l’heure de l’apéro. Comme le dit Serge, " c’est la Folie Douce de Chartreuse !". Mais sans les DJ, ni l’électro…
Quoique... Pendant les vacances scolaires, chaque mardi, les moniteurs de l’ESF convient les petits et les grands à la fameuse descente aux flambeaux, qui se termine inévitablement sur la terrasse de Serge, lumière laser et sound-system autour des feux de bois et du vin chaud. Il y a quelque chose qui nous rappelle le ski de notre enfance, ces moments d’émerveillement, quand le ski était une petite aventure, où il fallait braver la neige, le froid, et parfois la pluie : bref, la montagne, quoi.
La pluie : c’est bien ce qui ennuie Jean-Marc, le nouveau responsable de l’association qui gère la petite station. " Cette année, on a eu beaucoup de neige en début de saison, puis plus rien… Le soleil bas et les nuits froides ont permis à la neige de tenir, mais là, toute cette drache : faudrait pas que ça dure trop", soupire-t-il en regardant le rideau de pluie emporter avec lui la mince couche qui résistait encore devant le foyer de ski de fond. Quelques Bretons - qui, comme ils nous l’ont dit eux-mêmes, ne craignent pas la pluie - s’essayent au ski de fond, pour ne pas dire ski nautique, dans une station déserte et dégoulinante.
Mais pour Jean-Marc, le statut associatif et le travail de nombreux bénévoles permettent à la petite station d’encaisser les hauts et les bas, à défaut d’encaisser des sous. Clairement, aujourd’hui, sous les trombes d’eau, le domaine fait grise mine et la rentabilité n’est pas assurée. Mais si la station doit gagner de quoi payer les quelques salariés et le matériel : faire des bénéfices n’est pas un but en soi. La vérité est ailleurs, pour ce jeune retraité de l’industrie électrique grenobloise.
Le but ultime, c’est de maintenir de la vie à Saint-Hugues, de faire tourner quelques magasins de locations, quelques bars et restaurants, et aussi, de permettre aux gens plus modestes de skier ou d’apprendre à skier : ce que ne font plus depuis longtemps les grandes stations.
Jean-Marc
Le maintien de l’activité des sports d’hiver à Saint-Hugues donne aussi du travail aux salariés de l’association. Tous extrêmement polyvalents ! Ainsi, avec le précieux soutien des bénévoles du village qui s’engagent pour les aider à faire tourner la station : les agriculteurs l’été viennent faucher les pistes, et enlever les bouses de vaches sur le domaine de fond (car oui, je l’ai appris à cette occasion : la bouse de vache est le calvaire du fondeur lorsque la neige est peu épaisse) et ceux qui savent réparer un tracteur savent aussi bidouiller une perche de téléski.
Guillaume fait partie d’entre eux. Salarié de la petite station en hiver, mais aussi bénévole, à d’autres moments. En fait : il ne compte pas, mais rend service à l’association chaque fois que ses compétences le lui permettent. Guillaume vient de la Lozère, des hauts plateaux d’Aubrac. Autant dire que pour lui, le climat de la Chartreuse, plus humide, mais beaucoup moins venté, ne va pas le faire reculer... Il élève ses chèvres pas loin du téléski, mais la station, c’est aussi pour lui l’assurance d’un revenu à la " morte-saison". Ils sont nombreux, comme Guillaume, à être heureux de pouvoir travailler ici. Marianne, pisteuse secouriste, est aussi dameuse du domaine de fond. Elle a trouvé ici l’équilibre entre un mode de vie plus proche de la nature, et surtout de l’authenticité montagnarde, et son métier d’accompagnatrice lorsque l’été s’en vient.
Tim, lui, demande toujours à être au téléski débutant. C’est pourtant et de loin le poste le plus pénible à Saint-Hugues : il faut donner la perche, expliquer aux enfants qu’il ne faut pas s’asseoir dessus, et je l’ai vu plusieurs fois accompagner avec bienveillance les débutants en courant à côté d’eux après une chute pour qu’ils arrivent bien au sommet, là où, dans d’autres stations, on entendrait vociférer " Lâche la perche !! Mais lâche la perche, nom de D... ! Et dégage de la montée !".
C’est comme ça à Saint-Hugues
On prend le temps de parler, on prend le temps comme il vient, le temps qui passe comme celui qu’il fait. Et malgré le domaine très modeste, j’ai la certitude qu’on passe une meilleure journée ici que dans les grandes stations quand on veut apprendre à skier.
Le modèle économique associatif de Saint-Hugues a permis jusqu’ici de faire face, et de maintenir la vie du hameau en hiver. Lorsque ça tourne à fond, les bénévoles du village mettent la main à la pâte. Lorsque ça ne tourne pas, les salariés employés sur la saison s’occupent de la maintenance, de la réparation du matériel, en attendant des jours meilleurs. Mais au-delà du bienfait pour la vie locale, ces petites stations associatives rendent un immense service à leurs grandes sœurs des hautes vallées : elles forment les skieurs de demain, et donnent tout simplement envie d’aimer la montagne en hiver.
Enfin, la neige a remplacé la pluie qui ne nous a pas lâchés pendant les deux premiers jours de tournage. Les yeux de Guy s’illuminent. Comme un gamin, il regarde les arbres se charger de neige et les pistes retrouver leur blancheur immaculée. On croise un groupe d’enfants heureux d’expliquer à leurs parents qu’après avoir fait le "Bambi", ils vont passer aux grands téléskis. Ils ont la banane, de la neige plein le bonnet, et le regard de ceux qui n’ont pas peur d’affronter la piste rouge pour la première fois de leur vie. Guy se sent fier, et avec un peu d’émotion dans les yeux, il me dit : " Tu vois Laurent : c’est pour ça qu’on fait tout ça…"
>> "Chartreuse, le ski pour tous" un magazine de 26 minutes présenté par Laurent Guillaume, réalisé par Xavier Blanot, diffusé le dimanche 15 janvier à 12H50 dans "Chroniques d'en Haut" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, puis disponible en REPLAY dans cet article et sur france.tv