Née dans les crises, mais fortement résiliente, la jeunesse actuelle marque une rupture dans la société. Champions de l'abstentionnisme électoral, mais meneurs de la lutte pour sauver la planète, les 18/30 ans réclament davantage d'égalité, et ne veulent plus attendre. C'est le thème de "DEBADOC".

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« Revoir ce documentaire me replonge, un peu, dans cette période qui a été si difficile pour nous, un des moments les plus compliqués de ma vie » explique Ophélie Cuvillard, étudiante auvergnate née en 2000, juste après avoir découvert le film « Le Monde de Dorianne », signé par la réalisatrice Katia Chapoutier, diffusé sur France3.

Un documentaire qui replonge le public dans le deuxième confinement, en octobre 2020, durant lequel la réalisatrice nuos invite à suivre le quotidien de Doriane, une jeune lyonnaise, et de ses amis, dont Ophélie fait justement partie.

Mais cette dernière souhaite tout de même en retenir surtout le côté positif. « Cela montre vraiment à quel point les jeunes sont différents. On a tous des profils très différents, mais on peut être unis malgré tout, dans un même combat, dans des événements… C’est dans ce type de moments compliqués qu’on apprend le plus…» ajoute l’étudiante en Master de relations internationales, âgée de 21 ans et originaire d‘Auvergne.

Une époque de malchance absolue

Du contraste, les 18/30 ans n’en manquent pas. D’après "La Fracture", une grande enquête menée auprès de 1500 jeunes par les deux auteurs, Frédéric Dabi, directeur de l’Institut de sondage Ifop, et Stewart Chau, de l’Institut Viavoice, 30% d’entre eux « estiment vivre dans une époque de malchance absolue ». C’était seulement 15% en 2000.

Et, en même temps, cette même génération mise sur une réussite professionnelle dans les dix prochaines années. C’est l’un des nombreux enseignements très paradoxaux de leur ouvrage qui vient de paraître.

« C’est vrai qu’on est face à une jeunesse qui témoigne d’une intensité de bonheur qui dégringole un peu », témoigne Stewart Chau, responsable des études politiques et sociétales à l’Institut Viavoice « On perd une quarantaine de points entre 1999 et 2021. Les 18/30 ans pensent, effectivement, que vivre à notre époque est une malchance. C’est une singularité par rapport aux enquêtes précédentes, car c’est la première fois. Les différentes crises, comme celle du Covid, de l’écologie ou de l’économie peuvent en partie l’expliquer. Mais à cela s’ajoute, aussi, l’urgence de répondre » ajoute l’expert.

La notion de temps est, semble-t-il, devenue centrale pour ces jeunes. « Trouver du temps pour soi » serait même, à leurs yeux, synonyme... de réussite dans la vie.

Une crise dépressive annoncée dès le premier confinement

La crise sanitaire, liée au Covid, a évidemment accentué leur mal-être. Indéniablement, les confinements qui ont frappé fortement les étudiants dans leur vie quotidienne, ont eu un impact psychologique important. On a craint, puis effectivement décelé, de nombreux syndromes dépressifs majeurs.

« Dans le documentaire, en particulier, on constate que ces jeunes savent parfaitement exprimer ce qu’ils vivent. C’est une parole à laquelle d’autres, qui n’en parlent pas aussi facilement, vont pouvoir s’identifier et c’est une bonne chose » analyse la psychologue lyonnaise Aude Durand.  « Ils emploient un vocabulaire qui fait penser à des états anxio-dépressifs. Selon les profils, on a constaté des troubles du sommeil, une baisse de la libido, de l’énergie de vie… et de leur motivation même par rapport à ce qui est, à la base, aimé » résume-t-elle.

Ophélie l’a elle-même vérifié. « Ce qui était impressionnant, c’est que cela touchait pas mal de monde autour de nous. Le fait que ce soit un phénomène collectif comme ça a surpris tout le monde, je crois. »

Des dégâts psychologiques qui avaient pourtant très vite été annoncés, et redoutés. Après le premier confinement mi-2020, le professeur Nicolas Franck, chef de service au Vinatier à Lyon, avait prévenu ses lecteurs, dans un livre intitulé « L’Odyssée du confinement », en se basant sur une étude réalisée avec son équipe. « On peut s’attendre à un très grand nombre de troubles anxieux généralisés et de dépressions, en particulier chez les étudiants » expliquait-t-il, bien avant l’été 2020.

Pour l’illustrer, son équipe a notamment mesuré le « score moyen de bien-être mental » de différentes catégories de population. Un score qui s’élèvait en moyenne à 53 pour les Français avant la crise, et qui chute à 46 pour les étudiants à partir du premier confinement. L'un des plus bas, toutes catégories confondues.

Les pouvoirs publics face à l'urgence

Une situation qui a évidemment rapidement interpelé les pouvoirs publics. Lucie Vacher, nouvelle vice-présidente à la jeunesse et à la famille à la Métropole, s’en souvient parfaitement. Elus en pleine crise, les membres de la nouvelle majorité écologiste à la Métropole de Lyon, dont elle fait partie, n’ont pas eu d’autres choix que d’intégrer immédiatement les questions posées par la jeunesse à leurs premières décisions. Confrontés, là aussi, à « l’urgence de répondre ».

« On a rencontré assez vite les représentants des associations, qui nous témoignaient des difficultés des jeunes » raconte l’élue. « Ils nous racontaient que les jeunes avaient vraiment le sentiment d’être oubliés, étant, au départ, plutôt épargnés par le virus. A l’époque, ils ne pouvaient avoir cours qu’à distance, par exemple. C'était mal vécu. Pour certains, se posait aussi le problème de la disparition des petits boulots alimentaires, qui leur permettait de vivre, tout en étudiant. »

Les premières mesures ont eu justement pour objectif de soutenir ces associations, plus réactives que les collectivités face aux premiers symptômes. Mise à disposition de locaux, subventions, aides alimentaires… ont été ensuite mises en place pour faire face à une hausse soudaine de la précarité de ces jeunes. En espérant résister au mieux aux effets de cette « guerre », annoncée comme telle par Emmanuel Macron, lui-même. On connaît la suite…

Nous, on est nés avec les notions de crise. J’avais 7 ans au moment de la crise de 2007. On est nés avec ces mots-là

Ophélie, étudiante originaire d'Auvergne

Si la crise sanitaire n’a rien arrangé, le Covid et ses effets ne permettent pas, à eux-seuls, de définir le profil de la jeunesse d’aujourd’hui.

Parler de génération « Covid » ne suffit pas. C’est aussi une génération « résiliente »… comme le pense notre étudiante Ophélie, née en 2000. « Nous, on est arrivés avec les notions de crise. Moi, j’avais 7 ans au moment de la crise de 2007. On est nés avec ces mots-là. Quand on a commencé à peine à se construire, on entendait parler de crise partout. Là, nous sommes en crise sanitaire, d’accord… Mais ce mot « crise », je pense qu’on l’a un peu banalisé. Et c'est pour cela que l’on arrive à être résilient » explique-t-elle.

Pour autant, pas question de se résigner « Quand on parle de génération sacrifiée, je n’ai pas envie de laisser penser que nous le sommes » ajoute-t-elle. Et si la crise était un levier pour prendre son destin en main ? « Dans l’éthymologie de crise, il y a « décider » explique la psychologue Aude Durand. « Et c’est justement une génération qui veut décider. »

En lutte contre la précarité

Décider comment ? En rassemblant les uns et les autres, en se mobilisant. Durant cette crise sanitaire, en particulier, les étudiants étaient en première ligne pour venir en aide aux autres. Des brocantes solidaires, des collectes ont été mises en place, avec un grand sens de l’organisation. La précarité était déjà une réalité dans cette catégorie de la population. Bon nombre d’étudiants sont contraints de travailler pour financer une partie de leurs études. Le Covid a aggravé le phénomène et il a fallu y répondre.

Les élus se sont également mobilisés. « On a eu deux vagues de délibération pour financer des soutiens aux associations en mars et ensuite en décembre » se souvient Lucie Vacher, vice-présidente en charge de ces dossiers dans le Grand Lyon. « A plus long terme, il y a eu les baisses de tarifs sur les transports pour les étudiants boursiers, voire la gratuité pour certains jeunes majeurs. » Sans oublier la mise en place spécifique, dans la Métropole lyonnaise, du dispositif de RSJ (Revenu solidarité jeunes), qui a permis d’apporter un revenu à tous les jeunes les plus pauvres, et sortis du système universitaire.

On est face à une jeunesse qui exprime une sorte d’ode à l’action individuelle.

Stewart Chau, expert en stratégie d’opinion, et responsable des études politiques et sociétales de l’institut de sondage viavoice

Selon Stewart Chau, la perception que les pouvoirs publics ont de cette précarité a également évolué. « Dans les études d’opinion que l’on réalise, l’enjeu « jeunesse » -en précampagne présidentielle- est en train d’émerger très fortement. On constate une tendance à la hausse à s'y intéresser depuis les cinq dernières années » confirme l’expert en données sociétales chez Viavoice.

Les jeunes s'engagent... mais ne votent pas.

Une prise de conscience qui n’empêche pas une sorte d’exil électoral des 18/30 ans. « Les jeunes perçoivent une forme d’impuissance publique à pouvoir répondre à des enjeux. On est face à une jeunesse qui exprime une sorte d’ode à l’action individuelle. »

Une action qui ne se traduit pas par un vote. L’abstention des jeunes n’a jamais été aussi forte. « C’est une abstention qui n’est absolument pas synonyme de désengagement » précise Stewart Chau. « Au contraire, je crois qu’ils ré-engagent un discours démocratique et politique en dehors des sphères traditionnelles. »

Une jeunesse qui s'implique à son échelle. Face à la crise du résultat, c’est au citoyen d’agir. « C’est l’apologie de l’action du quotidien, du concret, avec laquelle on aura vraiment prise sur les résultats. » Ce qui se traduit, entre autres, par des manifestations très suivies pour sauver la planète.

Des valeurs proches de leurs ainés

Lutter contre une pandémie, contre la précarité, pour obtenir des résultats. Les 18/30 ans n’ont peut-être rien à envier, en termes de force et de courage, à bien des générations qui les ont précédés. « Attention toutefois à ce que ce courage formidable ne masque pas de la pudeur. Quand on est en survie, on est tellement focalisés sur ses besoins premiers que les notions –plus abstraites- de bien-être, de bonheur sont un peu plus lointaines » relativise Aude Durand, psychologue.

Pour s’en sortir, les jeunes s’appuient sur les valeurs qui les rassurent sur leur avenir. Dans le livre « La fracture », on constate que ces valeurs s’expriment par certains mots en priorité. « Famille est le mot le plus plébiscité. En période de crise, c’est compréhensible. Et, pour la première fois, on note un rapprochement entre les mots choisis en majorité par les jeunes et ceux que préféraient leurs ainés : famille, avenir, féminisme, environnement, moral… Il n’y a donc pas que des fractures intergénérationnelles » précise Stewart Chau.

Au-delà de ce rapprochement entre générations, on note aussi une évolution autour de notre devise nationale. « Alors que les ainés préfèrent la liberté, c’est l’égalité qui arrive en premier chez les jeunes. » La jeunesse voit donc la société sous un angle extrêmement égalitaire… tout en se plaignant, en même temps, des inégalités. « Avec cette matrice de pensée, ils auront un diagnostic assez pessimiste car ils considèrent que, sur un ensemble de sujets, les choses ne sont pas satisfaisantes. La lutte contre les inégalités caractérise fortement la jeunesse de France » conclut Stewart.

S’ils sont confiants dans l’idée de réussir leur vie professionnelle dans les dix années à venir, les jeunes ne parlent pas forcément de réussite financière. Mieux, l’enquête montre qu’une vie réussie serait d’abord celle où « l’on trouve du temps pour soi ». Une notion qui prend de l’ampleur, aux yeux des 18/30 ans, dans les éléments constitutifs du bonheur.

Un monde qui privilégie l'horizontalité

« Il faut relativiser » tempère Aude Durand. Pour la psychologue, « trouver du temps » aurait un sens différent. « Ce sont des jeunes qui passent leur vie devant les écrans, les réseaux sociaux. Ce que l’on appelle "l’infobésité". Oui, cela crée un besoin d’espace. Sur l’importance de la famille, les choses ont énormément changé en 20 ans. Avant, on était beaucoup dans la verticalité, avec les parents au-dessus, et les enfants en-dessous. Aujourd’hui, on serait plutôt dans une horizontalité. Les parents sont aussi un peu "les copains", ils sont d’avantage à l’écoute. »

Forts de ces valeurs, avides de résultats, les jeunes générations tiennent tout de même à agir. Une action qui ne se traduit pas par un vote. L’abstention des jeunes n’a jamais été aussi forte : 70% pour les élections municipales et 84% lors des dernières régionales. « C’est une abstention qui n’est absolument pas synonyme de désengagement » précise Stewart Chau. « Au contraire, je crois qu’ils ré-engagent un discours démocratique et politique en dehors des sphères traditionnelles. »

Une jeunesse qui s’engage à sa manière. « C’est l’apologie de l’action du quotidien, du concret, avec laquelle on aura vraiment prise sur les résultats » précise Stewart Chau. « Ca nous engage, ça nous met une responsabilité forte », répond l’élue écologiste Lucie Vacher. Ce qui se traduit, faute de participation aux votes, par des rassemblements très suivis pour sauver la planète. « On sent une grande défiance, une perte de confiance dans les acteurs politiques »

Car voter ne séduit pas. « J’ai essayé, par les réseaux sociaux, d’en mobiliser pour aller voter. Je crois qu’ils aimeraient que le vote blanc soit reconnu. Ils ne se retrouvent pas dans les offres politiques existantes. Il y a presque un dégoût du jeu politique » témoigne la jeune Ophélie. « C’est très difficile pour cette génération, de s’engager dans une lignée, avec un porte-drapeau » renchérit la psychologue. « Ce serait accepter que ce porte-drapeau ait une limite. A nouveau, ils font le choix de l’horizontalité, se mettant dans des collectifs. Il y a comme une peur de perte de liberté ».

Une tendance qui va jusqu’à… un rejet de l’idée de l’efficacité de leurs dirigeants. Sur le thème de l’écologie, par exemple, les jeunes se montrent extrêmement critiques sur le bilan du pouvoir passé et actuel. Su la gestion de la pandémie, ils pensent qu'on les considère responsables du deuxième confinement. Il reproche aussi au pouvoir actuel d'avoir mené une guerre sans armée, faisant allusion au manque de moyens dans les hopitaux, ou à la lenteur de la vaccination.

En retour, ils estiment d’autant plus légitimes leurs actions face aux pouvoirs publics. Ce qui n’échappe pas aux élus « Prenons l’exemple de la ZFE (Zone de faible émission au diesel) qui est globalement vu par les générations précédentes comme une écologie punitive. Pour les jeunes, au contraire, on prépare l’avenir avec ce type de mesures et ils n’ont pas du tout la même perception. C’est là où nous, les politiques, sommes responsables » reconnaît Lucie Vacher, du Grand Lyon.

« On n’a pas le temps d’attendre que ces sujets soient étudiés sur des années, que les lois soient imaginées… » s’impatiente Ophélie. « Il y a une crise très profonde de la représentativité.» Et ce n'est pas tout. « Le jeune rejette davantage l’idée que quelqu’un puisse parler en son nom » confirme Stewart Shaw. « La société évolue à l’heure d’une individualisation permanente. Téléphones, tablette, tout est ultra-personnalisé. Cela devient compliqué à quelqu’un le pouvoir de nous représenter. »

La jeunesse qui défend l'environnement est diffusionniste

Selon la psychologue Aude Durand, de nombreux jeunes privilégieraient l’action en communautés, plutôt que l’engagement personnel. « Avec les réseaux sociaux, il suffit d’engager une parole pour qu’il y ait tout un groupe derrière. On voit une forte notion d’appartenance. C’est une génération qui sait se romancer, parler d’elle. Elle a l’art de se mettre en scène, et en image. »

Ce qui n’empêche pas, à contrario, certains d’employer le « je ». « Mais il y a tellement de « je »… On le voit avec la question des genres, le mode d’alimentation… Il y a tellement d’identités possibles, maintenant » modère Aude.

L’écologie pourrait jouer ce rôle rassembleur, être l’enjeu d’un engagement de la jeunesse. « C’est aussi la génération du « c’est pas ma faute », qui s’estime héritière d’un certain nombre de choix antérieurs et de leurs conséquences » estime Stewart Chau, qui pense que c’est l’enjeu sur lequel la jeunesse est à la plus influente sur son monde.

« La sauvegarde de l’environnement est la capacité des jeunes à se remettre au cœur du jeu politique. A partir du moment où on décide d’agir, on agit pour soi, pour les autres et pour l’avenir. C’est affirmé et même scandé. C’est une génération qui impacte, qui réinvente des espaces politiques, met les enjeux climatiques à l’agenda politique, en fait valoir les intérêts et l’urgence. Tout cela bouleverse, de fait, les modes de pensée et de consommation. La jeunesse de l’environnement est diffusionniste » analyse l'auteur.

Un constat à vérifier lors de la prochaine décennie ? « Dans dix ans, j’espère qu’on aura fait beaucoup d’avancées » conclut l’étudiante Ophélie. « Mais ce qui est aussi, selon moi, typique de notre génération, c’est que l’on apprend à ne pas trop se projeter, mais à faire confiance, et… à y aller. »

Revoir l'intégralité du DEBADOC :

DEBATDOC présenté par Yannick kusy, sur France3 Auvergne-Rhône-Alpes

 

Revoir le documentaire « Le monde de Dorianne » un film réalisé par Katia Chapoutier dans la case "La France en vrai" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Le documentaire est disponible en replay ci-dessous jusqu'au 11 octobre 2022.

 

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