Un psychiatre exerçant au Vinatier à Lyon a publié une étude qui décrypte les conséquences de la crise du Coronavirus sur notre santé mentale. Il alerte sur le risque de dégradation du moral des Français -en particulier des jeunes- et appelle à lancer une campagne nationale de communication.
«Le confinement, qui génère une situation de stress dans toute la population, a altéré la santé mentale des Français.» Constat sans appel formulé par le psychiatre lyonnais Nicolas Franck -Professeur des Universités et Praticien Hospitalier à l’Université Lyon Claude Bernard Lyon I et au Centre Hospitalier Le Vinatier. Dans un livre «Covid19 et détresse psychologique», il dévoile le résultat d’une enquête portant sur le bien-être mental des français, menée pendant le printemps 2020, auprès de 20 000 participants.
«L’enquête, ouverte dès la deuxième semaine, a permis de faire une étude sur l’évolution du bien-être mental durant tout le confinement, qui s’est lentement dégradé». Selon ses constatations, cette dégradation s’est particulièrement manifestée dans certaines catégories de population : les gens qui étaient isolés, les plus jeunes, ceux qui n’avaient pas de travail ou encore ceux qui étaient dans une situation d’invalidité ou qui avait une maladie déclarée avant la crise. «Plus la mesure est longue, plus c’est difficile pour la population et plus il devient nécessaire de l’accompagner» ajoute-t-il.
Tous devenus fous ?
Il ne s’agit pas de dire que les Français ont perdu la raison. Ils se sont simplement sentis moins bien, sans forcément développer des troubles. «Ils se sont moins bien projetés dans l’avenir, ne se sentent pas utiles, ou en harmonie avec le contexte. On parle de dégradation de la santé mentale positive. On a tous un capital de santé mentale, que l’on a vu être entamé plus ou moins par les circonstances », explique cet expert. Trois paramètres ont particulièrement stressé la population à ce moment-là : être isolé des autres, de ne pas pouvoir circuler comme on le souhaite et avoir peur du virus.Plus la mesure est longue, plus c’est difficile pour la population et plus il devient nécessaire de l’accompagner
Remettre la psychiatrie à sa juste place
Certaines personnes qui n’étaient jamais venues en psychiatrie auparavant -ou qui n’avaient même jamais vu de psychologue de toute leur vie -ont commencé à consulter. Une hausse constatée par les praticiens, mais qui n’est pas quantifiable aussi simplement que le nombre de décès, par exemple.«Le paradoxe, sourit le docteur Nicolas Franck, c’est que la hausse est en constante progression, alors que, dans le même temps, les moyens alloués à la psychiatrie sont en baisse, parce que la population française et ses élus s’intéressent peu à notre discipline. Au passage, on souhaite s’appuyer sur cette étude pour demander d’avantage de moyens et de pouvoir se réorganiser.»
Une situation qui mérite une surveillance
En observant le premier confinement, face à un événement mondial, le docteur Nicolas Franck et son équipe ont évalué, d’emblée, que la situation méritait d’être surveillée. «Nous vivions tous une perte de repères. Comment la population va-t-elle le supporter ? L’objectif était justement de montrer les facteurs de résilience et les facteurs de fragilité. Par quoi les gens sont-ils protégés, sur quoi peuvent-ils s’appuyer ?» Selon lui, il va falloir rapidement aborder de nombreux sujets : les contacts sociaux, la construction d’un programme, avec des objectifs… « Tout le monde s’est retrouvé sidéré par ces circonstances et on a tous du reconstruire plus ou moins bien quelque chose. Et il faut s’occuper en particulier de ceux qui n’ont pas vraiment su le faire.»Si vous avez une émotion négative associée à une circonstance, cette émotion revient à l’identique si vous êtes placés à nouveau dans ces mêmes circonstances
Même constat lors du deuxième confinement ?
L’enquête a été rouverte dès le premier jour de cette deuxième période de crise sanitaire. Mais elle a recueilli beaucoup moins de réactions. "Il n’y a pas le même enthousiasme", constate le professeur. "Les gens sont plus moroses, et je le prends comme un signe qu’ils sont moins bien, au point de ne plus avoir le goût à participer à ce genre de questionnaires.» Une réaction négative qui ne surprend pas le psychiatre : «Si vous avez une émotion négative associée à une circonstance, cette émotion revient à l’identique si vous êtes placés à nouveau dans ces mêmes circonstances. Ce sont des mécanismes extrêmement classiques, qui touchent tous les êtres vivants capables d’émotions.» L’équation est logique : ceux qui ont bien vécu le premier confinement, sont plutôt contents de connaître le second, en particulier s’ils sont en télétravail, ou bénéficient de mesures économiques qui les protègent. Pour la plupart d’entre eux, tout va bien ou presque. «En revanche, ceux qui ont mal vécu le premier confinement vont s’enfoncer encore plus parce qu’ils repartent du niveau où ils étaient déjà tombés la première fois.» diagnostique-t-il.Les étudiants inégaux face aux épreuves
La jeunesse est à priori synonyme de robustesse et de résilience. Logiquement, une bonne partie des étudiants va pouvoir rebondir. Mais ils sont également fragiles. Leur avenir n’est pas déterminé. Leurs études ne sont pas terminées et les universités ont fermé. Ils ont besoin d’autrui, et, pour une bonne partie d’entre eux, ils ne peuvent plus voir ni leur famille, ni leurs camarades. Les lieux de rencontres sont fermés, et les réunions entre amis quasi-interdites. Ils ont donc perdu tous leurs repères. Ils sont parfois en précarité financière, et logent souvent dans des petites surfaces… «Autant de facteurs aggravant. Ce qui fait beaucoup de sources de stress et d’avantage de charges sur les épaules.»Vers des séquelles psychologiques à long-terme ?
«C’est possible..», répond le psychiatre. «Dans notre enquête réalisée au printemps, on est plutôt resté sur des manifestations de mal-être. C’est la première étape. A laquelle succèdent des manifestations plus spécifiques : être irritable, être tendu, subir des troubles du sommeil, avoir l’impression d’avoir un obstacle devant soi, des ruminations mentales etc. Au bout d’un certain temps se constitue soit un trouble dépressif, soit anxieux. C’est très progressif. Il y a des étapes. Et cela diffère en fonction des individus.» Avec des conséquences inquiétantes à long-terme : une étude publiée la semaine dernière dans The Lancet montrerait que, parmi les victimes du Coronavirus, on trouve environ 20% de troubles psychiatriques constitués et inscrits dans la durée.Lancer une campagne d’alerte nationale
«Le gouvernement commence à réagir depuis peu sur ces questions et tant mieux !» Mais Nicolas Franck pense qu’il faut agir plus concrètement : «On trouve déjà facilement des applications pour faire du sport à domicile, contrôler sa respiration, lutter contre ses angoisses. On pourrait regrouper ces initiatives et en faire la communication.» Il préconise une campagne nationale d’information pour la population pour expliquer qu’effectivement elle peut être éprouvée, ce qu’elle peut endurer, et comment y faire face. «Et surtout, si une personne ne s’en sort pas spontanément, à qui elle peut avoir recours si elle se sent moins bien. C’est le minimum. Cela a été fait dans d’autres pays. Notamment en Angleterre…»Avec le soutien de la Métropole de Lyon, de la Ville de Lyon, du Département du Rhône et du Centre Hospitalier Saint-Jean-de-Dieu, le Centre Hospitalier Le Vinatier assure une ligne téléphonique d'information et d'orientation en santé mentale.