Il y a 80 ans jours pour jours un avion militaire américain, le Dakota C-47, s'écrasait tragiquement sur le contreforts du Mont Pilat, à l'Est de Saint-Etienne dans la Loire. Retour sur cet accident qui a couté la vie à 20 personnes, et marqué l'histoire de la Région.
Automne 1944, la France entame sa sixième année consécutive de guerre, et 5 mois après le débarquement en Normandie, les combats font rage dans les Vosges, où les troupes alliées sont en train de repousser l'armée nazie. Les missions aériennes pour évacuer des blessés vers les hôpitaux du sud de la France sont devenues fréquentes, et le 1er novembre 1944, c'est justement une mission de ce type qu'est chargé d'accomplir le Douglas C-47 du "64th Troop Carrier Group" de l'American Air Force.
L'avion décolle de la base aérienne de Luxeuil, en Haute-Saône, pour effectuer une mission d'évacuation sanitaire à destination du terrain d'Istres dans les Bouches du Rhône. À bord, 20 personnes : 5 membres d’équipage américains, 9 soldats américains blessés et 6 prisonniers de guerre allemands blessés. Aucun ne survivra au drame qui va suivre.
Un crash retentissant
Ce 1er novembre 1944, la météo est très mauvaise dans la vallée du Rhône, itinéraire obligé de notre avion de transport de troupes. Le temps est froid, les nuages sont bas et épais, et un brouillard givrant rend la visibilité quasi nulle autour du massif montagneux du Pillat, qui culmine à 1432m d'altitude. Jusqu'au sud de Lyon, le pilote parvient à conserver une trajectoire rectiligne, sûrement en suivant le Rhône. Mais passé Vienne, l'aéronef dévie de sa trajectoire direction le Sud-Ouest... et vit ses dernières heures.
François Patard, historien originaire de la région et membre de l'association "Notre Histoire" qui a beaucoup travaillé sur cet accident et récolté les témoignages des derniers témoins, raconte. "Il était entre 14h30 et 15h, et en ce jour de la Toussaint, les habitants de Doizieux (NDLR : la commune sur laquelle le crash a eu lieu) se rassemblaient avant d'assister à la messe spéciale de ce jour sain, quand ils ont entendu le vrombissement d'un avion qui les survolait, sans l'apercevoir à cause de la météo. Quelques minutes plus tard, une énorme déflagration a retenti en provenance des pentes du Mont Pilat. Les habitants ont immédiatement fait le lien, et spontanément, se sont lancés dans les bois et sur les parois de la montagne, à la recherche du crash.".
"Mais les recherches furent particulièrement compliquées" reprend notre historien. "Il fallait parcourir plusieurs kilomètres dans la nature sauvage, parfois sur des pentes très raides, rocailleuses, sans équipement adapté, et par un froid glacial". Finalement, la carcasse de l'avion militaire fut découverte par un groupe d'habitants vers minuit, soit plus de 6h après le crash, sans le moindre survivant.
"Comme si la guerre faisait soudainement irruption"
S'en sont suivis des heures, et même des jours d'efforts de la population de Doizieux, mais aussi des villages alentour de Veranne, Roissey ou Pélussin, pour prendre en charge cet accident. "Beaucoup de gens sont montés là-haut, pour évacuer les débris, et bien sûr les corps des vingt victimes. Ce fut très difficile sur le plan technique, et physique, mais également très impactant psychologiquement pour les habitants" explique François Patard.
"C'est une localité qui n’a pas vécu directement les horreurs de la seconde guerre mondiale. Il y a eu quelques maquis, quelques faits de résistance, mais assez peu de combats finalement. Alors ce crash, cette vision d'effroi de la carcasse en flamme, des débris partout et surtout des corps déchiquetés, éparpillés, c'était un peu comme si la guerre faisait soudainement irruption dans la vie des gens".
Ce sont bien les civils qui ont effectué ce travail de secours, ou plutôt malheureusement, d'évacuation. Quelques partisans des Forces Française Intérieures (FFI) ont bien fait leur apparition mais seulement le lendemain, et des enquêteurs de l'armée américaine encore le surlendemain. "Les témoins que j'ai rencontré, âgés de 8 à 20 ans à l'époque des faits, gardaient des souvenirs très précis, et très visuels de ce qu'ils ont vécu". Marqués par l'horreur de l'accident, mais aussi par la mobilisation générale et spontanée qui en a découlé. "Ils se souvenaient des recherches compliquées par des groupes d'habitants et de l'évacuation des corps, tout aussi compliquée dans les chirats du Pilat" (NDLR : coulées de blocs rocheux qui recouvrent les versants sous forme d'éboulis). "Le seul habitant de Doizieux qui disposait de son propre véhicule, un petit camion pour livrer le bois, l'avait mis à disposition pour acheminer des secours dans un sens, et évacuer des cadavres dans l'autre".
Une commémoration extraordinaire
Naturellement, le souvenir de cet évènement tragique a traversé les âges jusqu'à aujourd'hui. Deux stèles commémoratives ont été installées, l'une à l'endroit du crash en flanc de montagne, l'autre un peu plus bas, sur un replat plus facile d'accès que l'on nomme la Jasserie. Chaque année une cérémonie commémorative est organisée en hommage aux victimes de ce crash, à toutes les victimes, et c'est l'une des particularités de cette commémoration de la seconde guerre mondiale.
"Ce qui m’interpelle toujours c’est que le monument érigé a cette particularité d’unir dans une même commémoration trois nations (Allemagne, Etats-Unis, France), dont des nations adversaires. Ce qui est presque audacieux dans le cadre de la seconde guerre mondiale" signale le spécialiste de cet évènement.
Effectivement, les honneurs rendus chaque année, sont portés en la mémoire des 14 soldats américains, mais aussi des 6 soldats allemands qui ont perdu la vie ce 1er novembre 1944. "Des recherches ont été effectuées pour s'assurer qu'aucun d'entre eux n'était un criminel de guerre connu. Il s'agissait en fait de jeunes soldats, pour certains tout juste majeurs. Des pauvres gars recrutés à la hâte dans les derniers mois du conflit" précise notre historien, "c'est une décision très noble, et à ma connaissance très rare dans ce contexte, de ne pas dissocier les victimes" se réjouit François Patard.
Une décision qui permet encore aujourd'hui d'organiser des cérémonies d'hommage en présence de représentants des trois pays. "On voit chaque année des officiers ou des personnels diplomatiques américains et allemands, on a même eu la chance d'accueillir des descendants de victimes américaines" conclut François, "il ne manque plus que des descendants de victimes allemandes, que nous serions très honorés de recevoir".