Le 21 janvier dernier, la médecin de Bully dans la Loire s’est mise en arrêt maladie après que la gendarmerie soit venue lui remettre une réquisition préfectorale pour l’obliger à assurer ses gardes. Alors que cette nouvelle a provoqué de vives réactions, le président de l’Ordre des Médecins de la Loire, Jean-François Janowiak, revient sur cette affaire.
Le cabinet médical de Bully, petit village situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Roanne (Loire) tourne au ralenti. La médecin généraliste est en arrêt maladie. Depuis six mois, elle s'était retrouvée seule à assurer les consultations. Alors, en janvier, la professionnelle de santé prend la décision de ne plus effectuer de gardes médicales en soirée et le week-end. Une décision non sans conséquence : le secteur rural manque de médecins.
Avertie par l'Ordre des Médecins, l’ARS saisit alors la préfecture qui émet un arrêté de réquisition. La décision préfectorale lui a été remise par la gendarmerie, dans son cabinet. La goutte d’eau pour cette professionnelle de santé, qui se met alors en arrêt. Alors que cette nouvelle a provoqué de vives réactions, le président de l’Ordre des Médecins de la Loire, Jean-François Janowiak, revient sur cette affaire.
France 3 Auvergne Rhône-Alpes : Le médecin généraliste est-il obligé d’assurer des gardes ?
Les médecins font ce qu’on appelle de la permanence des soins. Quand on s’engage dans la profession médicale, on sait qu’une partie de notre travail est de faire des gardes. Le tableau de garde, c’est-à-dire les noms des médecins pour ces créneaux dans le mois, est transmis à l’Ordre des Médecins. L’Ordre doit vérifier que le tableau est complet. S'il ne l’est pas, l’Ordre appelle les confrères pour demander si un médecin ne pourrait pas se rendre disponible ou trouver un remplaçant. Mais le législateur a prévu que le volontariat s’arrêtait au moment où il n’y a plus de volontaires. S’il y a des trous non comblés dans le planning de garde, on doit alors réquisitionner.
Comment en arrive-t-on à une telle situation à Bully ?
La médecin avait décidé de ne plus faire ses gardes, donc, là où elle aurait dû les faire, il y avait des trous sur le tableau. L’ordre des médecins a essayé de la solliciter pour trouver une solution, d’expliquer que pour être exempté de gardes, la solution était de demander une exemption de gardes pour raison médicale. Elle n’a pas souhaité faire cette démarche. J’ai donc transmis le tableau des médecins susceptibles d’être réquisitionné sur le secteur à l’ARS puisque c’est la procédure, et souvent, la personne réquisitionnée est celle qui a fait le moins de gardes, donc effectivement ce fut elle. Le fait que ce soient les gendarmes ou la police qui amène la réquisition, c’est la procédure. C’est une façon que l’acte soit reconnu comme officiel. Ça s’est toujours fait comme cela, par exemple en 2024, on a réquisitionné six médecins. Ça ne fait plaisir à personne, ni aux médecins, ni au président de l’ordre, et pas non plus à l’ARS de solliciter la Préfecture.
Pourquoi avoir sollicité une réquisition ?
La décision de l’arrêt de ses gardes est arrivée au mauvais moment et au mauvais endroit. Bully est dans un secteur rural, fragile, où il y a peu de médecins. Mais en plus de cela, nous sommes en pleine épidémie de grippe donc il faut qu’il y ait quelqu’un pour assurer cette permanence des soins. On ne peut pas dire aux patients d’appeler le 15 pour une grippe. Donc nous avons dû réquisitionner. Notre collègue a été choquée et je la comprends. C’est désagréable de voir arriver les gendarmes pour vous demander de faire une garde que vous ne voulez pas faire. Malheureusement, je n’ai pas d’autres solutions, je ne fais qu’appliquer une procédure.
Cette affaire n’est-elle pas aussi symptomatique du manque de médecins dans la zone et de leur surmenage ?
Tous les médecins du secteur sont surchargés, d’autant plus en rural où il y a de moins en moins de médecins. Quand on vient s’installer en zone rurale, on sait qu’il y aura des gardes à assurer. Mais pour autant, il y a très peu de zones blanches de gardes médicales en France. En général, on regarde alors comment découper le secteur lorsqu’on est face à un manque de médecins. Actuellement, les médecins du secteur, l’Ordre des Médecins et l’ARS sont en discussion pour regarder comment on peut découper le secteur que comprend Bully, soit le regrouper avec Montbrison, ou avec Feurs, ou encore avec Roanne. Soit découper le secteur lui-même en deux. Il y a 20 ans, il y avait plus de 40 secteurs sur la Loire, aujourd’hui il y en a 21 ce qui montre qu’il y a moins de médecins.
Avec le manque de médecins dans certaines zones rurales, peut-on imaginer revenir à une obligation de soin, comme c’était le cas avant 2002 ?
Pour le moment, le système parvient à fonctionner sur la base du volontariat. Mais si la démographie baisse trop, il appartiendra non pas à l’Ordre des Médecins, ni à l’ARS mais bien au législateur de dire qu’il n’y a plus assez de médecins pour faire la garde et par conséquent qu’il faut revenir à l’obligation dont on était sorti il y a quelques années à la demande des syndicats. Mais il faut avoir en tête que la garde est liée à notre exercice professionnel.