Loire - Le casse-tête des familles musulmanes confrontées à l’organisation d’obsèques, en période de Covid19

La fermeture des frontières, le nombre réduit de vols et la question de la contagion par la Covid rendent compliquées les procédures de rapatriement des défunts pour des obsèques dans leur pays d’origine, essentiellement vers le Maghreb et la Turquie.  

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L'épreuve dans l'épreuve. Les procédures de rapatriement des défunts dans leur pays d'origine sont alourdies par les mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19. Elles sont particulièrement pesantes pour la communauté musulmane de la Loire, qui ne cache pas sa douleur.


Dans son salon, Abdelaziz Bencheikh nous reçoit. Avec encore beaucoup d’émotions, il se replonge dans les albums photos et les souvenirs. Ce Stéphanois a perdu sa mère, Mebarka, âgée de 71 ans, des suites d’un cancer à la fin octobre. Une épreuve pour ce fils et sa fratrie. Encore plus grande, en pleine épidémie de Covid19. Car ni lui, ni un membre de sa famille n’a été autorisé à effectuer de dernier voyage en sa compagnie. Le corps de sa mère s’est envolé seul, vers l’Algérie.

«Quand un défunt part, on a l’habitude de partir tous ensemble, toute la famille : les grandes tantes, les tantes… et cette fois-ci personne n’est parti» déplore encore choqué Abdelaziz.

C’est ça qui fait mal. Jusqu’à présent, je ne sais pas où elle est enterrée, je sais qu’elle est dans le cimetière de mon village, mais où, je ne sais pas…

Abdelaziz Bencheikh


A Alger, sa famille présente sur place, a réceptionné le corps de sa mère. «Une chance d’avoir encore de la famille là-bas» s’exclame-t-il. Mais sans voyage «au bled», impossible de faire son deuil. «Cela rajoute de la douleur à la douleur». Inévitablement, Abdelaziz partira en Algérie dès que possible pour se recueillir.

Frontières fermées et restrictions

Depuis le début de la crise sanitaire, en mars dernier, le Maroc a décidé de fermer ses frontières. Aucun défunt ne peut être rapatrié vers «le pays du couchant» jusqu’à nouvel ordre. Encore moins si cela concerne le rapatriement d’une victime du Covid19, pour des questions de contagion émanant de la dépouille.
L’Algérie, la Tunisie ou encore la Turquie autorisent ces transferts, mais sans accompagnateurs afin d’éviter les flux et donc la propagation du virus sur leur sol.

Spécialiste dans ce type de transport funéraire, Nabil Douibi, gérant de pompes funèbres musulmanes à Saint-Etienne, a vu débarquer jusqu’à huit familles par semaine, lors de la première vague épidémique. Des parents, des enfants souvent désemparées face aux difficultés…
« Avant la crise sanitaire, il y avait énormément de vols civils vers toutes les destinations, » explique-t-il. «On pouvait rapatrier énormément de défunts et les délais d’attente étaient très courts. Maintenant ce sont des avions cargos... ».

Un changement d’appareils de la part des compagnies aériennes du Maghreb et de la Turquie qui ne faciliterait pas les opérations de transferts. D’autant que les rotations vers ces pays, ont été fortement revues à la baisse au départ de la plateforme aéroportuaire Lyon Saint-Exupéry.

En trois jours, on pouvait rapatrier un défunt, maintenant les familles doivent attendre entre une semaine et dix jours, ce qui plombe encore plus leur peine et leur douleur..

Nabil Douibi, gérant de pompes funèbres musulmanes (Saint-Etienne)

Pire encore, face à l’impossibilité de réaliser un transfert, les ressortissants marocains, notamment, n’ont pas d’autres choix que d’être enterrés une première fois en France, avant d’être exhumés puis inhumés à nouveau au Maroc, lorsque le voyage sera enfin permis. «L’épidémie créée des situations délicates», confesse le conseiller funéraire.

Ce spécialiste, comme la plupart des gérants de pompes funèbres musulmanes de la région, a dû s’adapter. Il propose donc un rapatriement «d’un point A à un point B», c’est-à-dire, jusqu’au lieu d’inhumation du défunt, même au-delà des principaux aéroports d’arrivée au pays. Toutes les formalités sont ici gérées, afin de décharger les familles de ce poids administratif.

Les professionnels du monde funéraire sont en relation constante avec les autorités préfectorales, qui les tiennent informés des nouvelles évolutions. Mais très peu de changement sont à observer pour le moment. Aucun de ces quatre pays, destinations majeures pour ces voyages funéraires, n’a laissé transparaitre plus de souplesse dans l’organisation des rapatriement de défunts, tant que l’épidémie de Covid 19 sévit encore dans le monde.
 
►Le reportage 
Des procédures de rapatriement des défunts dans leur pays d'origine qui sont alourdies par les mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19. Elles sont particulièrement pesantes pour la communauté musulmane de la Loire, qui ne cache pas sa douleur.

 
►L’épidémie chamboule les traditions

Le pays d’origine, terre de naissance, reste traditionnellement cher au cœur de la première génération, issue de l’immigration maghrébine ou turque. Mais depuis quelques années, les mentalités semblent évoluer. Surtout du côté des jeunes, pour la plupart, nés en France.

A la Grande Mosquée Mohammed VI de Saint-Etienne, c’est l’imam Mohamed Bah, , qui le confirme : « le retour au pays, c’est quelque chose qui tend à se perdre. Les anciens y étaient très attachés, car ils sont nés là-bas et leurs parents y reposent également. Les jeunes eux, sont nés ici, et n’ont plus le même rapport à cette terre, qui reste celle de leur ancêtres, mais qui n’est souvent qu’une destination pour des séjours ».

Plus loin, le Guinéen ajoute que « d’un point de vue théologique, le fait de se faire enterrer ici ou ailleurs, n’est pas déterminant pour le fidèle. Et d’ailleurs, il y a des textes qui vont dans le sens de vraiment enterrer la personne là où elle est décédée ».

Avec l’épidémie de Covid19, toutes les coutumes et traditions ont été chamboulées. Une transition générationnelle déjà enclenchée mais sans doute accélérée à cause du virus.
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