Témoignage. Dépakine : "On ne m'a rien dit pendant la grossesse", les enfants de Valérie sont porteurs de handicaps

Publié le Écrit par Dolores MazzolaEmilie Mechenin et AFP
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Le 9 septembre, Sanofi a essuyé un nouveau revers en justice. Le groupe a été condamné pour défaut d'information concernant les risques de malformations et de troubles neurologiques susceptibles d'être entraînés par la prise de Dépakine durant une grossesse. Un espoir pour toutes les victimes, comme Valérie, à Saint-Chamond. Ses trois enfants sont nés avec des handicaps.

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Elle garde tout précieusement. "On ne sait jamais". Des kilos de dossiers, de certificats, d'ordonnances, de prescriptions, d'analyses ou d'examens de santé divers... Le domicile de Valérie Torrente est envahi par ces archives médicales. Envahi de documents justifiant de ses démarches auprès de la justice. Ils sont le symbole d'une décennie de lutte pour cette maman de trois enfants contre le géant pharmaceutique Sanofi. Le laboratoire vient d'essuyer un nouveau revers devant la justice ce 9 septembre.

Exposition in utero

Valérie Torrente habite Saint-Chamond. Épileptique, elle était soignée avec de la Dépakine depuis son adolescence. Cet antiépileptique produit par Sanofi lui a été prescrit, même lors de ses grossesses. Enceinte, elle a pris le traitement sans en connaître les risques.
Ses trois enfants, deux filles et un garçon, sont tous porteurs de handicaps.
Comme plusieurs milliers d'autres exposés in utero à cette molécule. 

Pendant la grossesse, on ne m'a rien dit. On m'a parlé de "suivi rapproché". Pas de possibilité de changer le traitement. On ne m'a jamais rien dit de plus.

Valérie Torrente

Déléguée Loire de l'Apesac

Valérie ne travaille pas, mais son emploi du temps et sa charge mentale sont peu enviables. La mère de famille doit faire preuve d'une grande rigueur pour ne rien oublier : elle jongle avec rendez-vous et attestations afin de gérer au mieux les intérêts de ses enfants.

C'est en 2015 seulement que Valérie Torrente a fait le rapprochement entre les problèmes de santé de ses enfants et son traitement contre l'épilepsie. L'antiépileptique qu'elle prenait peut provoquer des malformations et des troubles neurologiques chez les enfants.

Si j'avais été informée, j'aurais vécu les choses autrement. J'aurais peut-être même dit : je n'ai pas d'enfants. Je ne peux pas en avoir. Je pars sur une adoption. J'aurais peut-être demandé à la neurologue à quel moment avoir une grossesse sans risques causés par le traitement... j'aurais vécu les choses autrement.

Valérie Torrente

Déléguée Loire de l'Apesac

Sa rencontre avec Marine Martin, fondatrice de l'Apesac en 2011, est une révélation. C'est cette association qui a largement contribué à donner un écho médiatique et judiciaire à cette affaire. "Au pénal, il y a des expertises. Marine Martin a eu plusieurs expertises. Avec une expertise, on vous met à nu, il faut tout expliquer, tout reprendre, tout dire. C'est humiliant. Voilà 12 ans qu'elle vit ça. Elle a une armure, je l'admire", assure Valérie Torrente. Cette dernière a décidé de s'engager auprès de l'association. Depuis bientôt 10 ans, Valérie se bat aussi pour que la responsabilité de Sanofi soit reconnue et pour faire condamner le géant pharmaceutique. 

Dépakine : scandale sanitaire

La Dépakine, basée sur la molécule valproate de sodium, est un traitement antiépileptique. Il est prescrit depuis la fin des années 1960, y compris à des femmes enceintes. On sait désormais que, dans ce dernier cas, ce médicament cause fréquemment des malformations ou des troubles du développement chez l'enfant. Depuis une dizaine d'années, une série de procédures judiciaires visent Sanofi, le laboratoire étant principalement accusé d'avoir mal informé les patients sur les risques du médicament. C'est l'un des principaux dossiers judiciaires liés à la santé publique ces dernières années en France.

Une première condamnation du groupe pharmaceutique français était intervenue en 2022. Le laboratoire avait alors été condamné à verser 450 000 euros à une patiente dont la fille était née avec des malformations en 2005.

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Le groupe Sanofi, qui produit de la Dépakine, vient d'être condamné une nouvelle fois par la justice pour défaut d'information. Valérie, référente ligérienne de l'Apesac, témoigne. Ses trois enfants ont été exposés in utero. ©E.Méchenin / France tv

Sanofi fait appel

Début septembre, Sanofi a été une nouvelle fois condamné dans le dossier de la Depakine par le tribunal judiciaire de Paris. La justice a estimé que le laboratoire avait "commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d'information". Le laboratoire a été condamné pour défaut de signalement des risques de malformations pour les enfants à naître lorsqu'il était prescrit à des femmes enceintes. Un nouveau revers devant la justice.

Le tribunal judiciaire de Paris a déclaré Sanofi "responsable d'un défaut d'information des risques de la Dépakine, que le laboratoire commercialisait, du maintien en circulation d'un produit qu'il savait défectueux". Cette décision est le dernier épisode dans l'affaire de la Dépakine.

Mais qu'est-ce qu'on a fait pour mériter ça et pour vivre ça ? Sortis du tribunal, ils ont déjà dit faire appel de la décision. Leur mépris me rendra toujours dingue.

Valérie Torrente

Déléguée Loire de l'Apesac

Si Sanofi a fait appel, c'est parce que le groupe estime avoir demandé assez tôt aux autorités sanitaires françaises de modifier la notice du médicament, et leur renvoie la responsabilité de ne pas avoir donné suite à cette requête. "Sanofi a respecté ses obligations en informant l'Autorité de santé et en demandant des modifications des documents d'information au fur et à mesure de l'évolution des connaissances scientifiques sur les risques associés au traitement", insiste le groupe.

Nous, on a pris perpète. Nos enfants ont pris à vie (...). Pour qu'ils comprennent chez Sanofi, il faut que leurs enfants soient concernés ? Il faut qu'on les invite à faire un séjour chez nous ? Ils ne vivent pas ce qu'on vit.

Valérie Torrente

Déléguée Loire de l'Apesac

Sanofi fait appel et rejette la responsabilité sur l'Autorité de Santé. Mais pour la référente ligérienne de l'Apesac, cette ligne de défense du laboratoire est inacceptable. Elle la juge méprisante. Pour la mère de famille, le groupe pharmaceutique reste responsable. Elle lui reproche de vouloir se défausser sur l'Etat. La mère de famille a donc déposé un dossier au tribunal administratif de Nanterre contre Sanofi.

Le logo "interdit aux femmes enceintes" figure aujourd'hui clairement sur les flacons. Trop tard pour Valérie et ses enfants. La simple vue d'une boîte de ce médicament, la fait "sourire" et lui donne à la fois "envie de vomir", explique aujourd'hui la mère de famille qui a réussi à changer de traitement.

Jurisprudence

Le nouveau jugement est notable sur plusieurs points. D'abord, concernant l'identité de la plaignante. Il s'agit de Marine Martin, principal visage des victimes de la Dépakine. Ensuite, le jugement reconnaît la responsabilité de Sanofi dans les pathologies des deux enfants de Marine Martin, alors qu'ils sont nés avant la fille de la première plaignante : en 1999 et 2002.

En matière de jurisprudence, cela élargit la période pour laquelle le laboratoire est susceptible d'être condamné à indemniser des patients. Dans cette dernière décision de justice, Sanofi doit verser 285 000 euros à Marine Martin et sa famille.

Sur le plan civil, parallèlement aux actions individuelles comme celles de Marine Martin, des actions de groupe sont en cours d'examen par la justice. Le dossier a également un volet pénal dans lequel des plaintes pour "homicide involontaire" ont été déposées, non seulement contre Sanofi mais aussi l'Agence du médicament (ANSM). 

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