L'usage veut que l’on puisse consulter son pharmacien, avec son panier de champignons, afin de savoir si notre récolte est propre à la consommation. Mais le pharmacien est-il le plus à même de nous renseigner ?
Vous venez d’aller aux champignons et avez du mal à identifier les espèces récoltées. Dans ce genre de situation, on vous conseillera de vous rendre chez votre pharmacien afin de savoir si le fruit de votre balade est comestible. Mais est-il vraiment le meilleur interlocuteur ? En théorie, oui, selon Bruno Bordas, pharmacien dans le Puy-de-Dôme et membre de l’Ordre des Pharmaciens d’Auvergne-Rhône-Alpes : “Les pharmaciens sont formés dans les facultés de Pharmacie pour reconnaître les champignons. C'est une vraie formation”. Il nuance cependant : “Le défaut est que, bien souvent, on n'a pas tous suivi une formation continue, mais le pharmacien est largement compétent pour reconnaître un champignon.”
Reconnaître les grands types de champignons
En effet, pour devenir docteur en pharmacie, les étudiants suivent un cursus obligatoire de mycologie, mais les mises à jour de leurs connaissances au cours de leur carrière sont facultatives. “Le pharmacien va rechercher de façon systématique à quelle famille de champignons appartient tel spécimen. On arrive à reconnaître les grands types. Ensuite, on peut se perfectionner ; il est important d'être capable de reconnaître un champignon dangereux. Le problème de cette reconnaissance du champignon, c’est que si on les a appris il y a 20 ans, le pharmacien saura reconnaître les grands genres de champignons, mais on ne saura pas forcément faire une reconnaissance pointue”, affirme le docteur Bruno Bordas. L’Ordre des Pharmaciens se fait le relai des formations continues proposées par les facultés aux pharmaciens, et notamment en mycologie.
Pas de cadre légal à la reconnaissance
Souvent, en cas de doute, un pharmacien vous recommandera de ne pas manger votre récolte : “On a quand même peur de laisser avaler un mauvais champignon. Il y a de réels risques toxicologiques avec les champignons. Souvent, lorsqu’une personne apporte à l’officine un panier de champignons, le pharmacien conseille de ne pas les manger car les champignons sont souvent mélangés et aussi afin d’éviter tout risque d’intoxication. On prend quand même une responsabilité qui n'est pas des moindres. La formation en mycologie, elle existe, elle est solide et elle est scientifique. Quant à la pratique de la reconnaissance, elle est aléatoire en fonction de la pharmacie là où vous allez et de l'intérêt ou pas du pharmacien pour la mycologie.”
Pour le docteur Bordas, la reconnaissance des champignons devrait être plus encadrée : “Aujourd’hui, il n’y a pas de procédure de reconnaissance de champignons, de document à transmettre au patient. Il n’y a rien de formel et c’est un manque en matière de législation. Il y aurait la nécessité d’avoir une procédure dans laquelle on identifierait le cueilleur, le pharmacien reconnaissant les champignons et les conclusions de cet acte pharmaceutique. Pour l'instant il n'y a pas de cadre vraiment établi.” À noter que les pharmaciens officiant en milieu rural sont plus enclins à pratiquer la reconnaissance car ils ont des demandes plus régulières.
Une formation complète
Le docteur Serge Krivobok, pharmacien, Maître de conférences en botanique et mycologie à la faculté de Pharmacie l’université de Grenoble (UGA), fait partie des enseignants chargés d’apprendre aux futurs pharmaciens officinaux à reconnaître les champignons, sous la direction universitaire du docteur Bello Mouhamadou. Il explique : “En 5e année d’études en pharmacie, le docteur Bello Mouhamadou leur délivre 6 heures de cours magistraux où ils apprennent les différentes familles mycologiques, les symptômes d'intoxication et comment éviter les confusions entre champignons en s’appuyant sur les critères permettant de les différencier. Ensuite, les étudiants ont 4 séances de 2 heures de Travaux Pratiques où ils apprennent à bien identifier les champignons récoltés. Cette formation se termine par une sortie mycologique avec nos étudiants où on ramasse toute espèce rencontrée, tout en préservant la biodiversité. Ensuite, on les trie dans la nature puis les étudiants sont interrogés. Cette formation est validée par un examen écrit et un examen pratique où les étudiants ont 12 champignons à reconnaître. Ils sont ainsi mis en condition professionnelle”.
De nombreuses obligations
L’objectif de cette formation universitaire est que les futurs pharmaciens soient capables de reconnaître les champignons et qu'ils connaissent les risques d'intoxication et leurs symptômes. “Il arrive qu’un pharmacien mycologue soit appelé par les urgences du CHU pour identifier des champignons et réfléchir avec les urgentistes à la meilleure manière de soigner un patient intoxiqué”, explique le docteur Krivobok. Également membre du Conseil de l'Ordre d’Auvergne Rhône-Alpes, il martèle : “Pour avoir le diplôme d'État de Docteur en pharmacie, il est obligatoire selon le décret ministériel d’avoir reçu la formation en toxicité des champignons supérieurs et des champignons inférieurs. Ensuite, durant sa carrière professionnelle, le pharmacien a une obligation de formation continue qu’il doit prouver auprès de l’Ordre des Pharmaciens mais qui ne concerne pas forcément la mycologie.”
"On insiste sur les différentes caractéristiques"
Certains pharmaciens choisissent d’approfondir leur connaissance des champignons par un diplôme universitaire de mycologie. D’autres sont souvent confrontés à des demandes de reconnaissance : “Selon le lieu où se trouvent les pharmacies, on a des pharmaciens qui vont être plus ou moins habitués. Dans les grandes villes, les pharmaciens ne sont pas forcément confrontés à une identification. On a aussi des pharmaciens réputés pour être de très bons mycologues et les gens vont plus souvent les consulter”, indique Serge Krivobok. Les étudiants doivent avant tout connaître les familles de champignons et les confusions : “Les Cortinaires, par exemple, sont assez faciles à reconnaître par leurs caractères et sont à rejeter. En effet, sur environ 2 000 cortinaires, il n’y en a qu'un seul qui est comestible, à savoir le Cortinaire remarquable et il est peu fréquent. On insiste auprès des étudiants sur les différentes caractères d’identification pour qu'ils puissent ensuite, à l'officine, facilement conseiller et identifier les champignons qu'on leur amène.”
Bien conseiller les patients
La faculté de Pharmacie forme aussi à donner les bons conseils de récolte, à savoir "ne pas ramasser les champignons dans des sachets plastiques parce que cela favorise le pourrissement, séparer les champignons, bien prendre le champignon dans son entier sinon il y a un risque de confusion et d'intoxication, ne pas ramasser un champignon trop âgé ou trop jeune car dans ce cas, il peut ne pas avoir tous ses caractères développés et on n'a pas toutes les informations pour confirmer l'identification”, explique-t-il. S’il reconnaît que certains pharmaciens, frileux, préfèrent déconseiller toute consommation, il rappelle : “Officiellement, cela fait partie de ses responsabilités de cadre de santé, de reconnaître les champignons ainsi que les plantes. Je suis assez ferme, mais c'est une obligation bien claire dans le décret définissant les fonctions du pharmacien.”
De réels risques
Si certains pharmaciens déconseillent de manger les champignons, c’est qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur. En cas de consommation d’un champignon toxique, le patient peut, dans les cas les plus extrêmes, décéder. Les risques sont variables en fonction des champignons. “On a, le plus souvent, des syndromes gastro-intestinaux survenant assez rapidement, en moyenne 2 heures après ingestion. Souvent ce n'est pas trop grave, on passe un mauvais moment, des vomissements, des diarrhées, des douleurs abdominales. Par contre, si les symptômes apparaissent plus de 6 heures après ingestion, voire même jusqu’à 12 ou 15 jours plus tard, l’intoxication est plus grave.”
Le docteur Krivobok se souvient : “Une patiente est arrivée aux urgences avec un sévère blocage rénal après avoir ingéré le cortinaire couleur de rocou, 12 jours auparavant. La personne a dû subir une transplantation rénale. Avec certains champignons toxiques, le foie est touché, ce qui peut entraîner le décès. Si la personne s'en sort, une transplantation hépatique est parfois à envisager. C’est le cas lors d’ingestion d’amanites très toxiques comme l'amanite phalloïde, ou de petites Lépiotes qui sont très toxiques également. Avec l'amanite tue-mouches, on a surtout des symptômes neuropsychiques tels que des troubles du comportement, du délire, des hallucinations. Le dernier cas que nous avons eu à Grenoble concernait un chasseur qui avait ramassé des amanites. Il pensait qu'il s'agissait d'amanites des Césars, c'était en fait des amanites tue-mouches : il avait fortement plu et le chapeau rouge avec ses flocons blancs était devenu orange. Les flocons avaient été effacés par la pluie. Suite à l’ingestion de deux assiettes de ces champignons crus, il s'est retrouvé dans le coma. On était très inquiet de son état clinique mais heureusement, il s'en est sorti. On voit bien que selon les types de champignons, on a différents types de toxicité.”
Les associations et les facultés de pharmacie, autres interlocuteurs de choix
Si vous souhaitez vous former à la reconnaissance de champignons, Serge Krivobok recommande de s’adresser à une association de mycologie : “Les logiciels qu'on peut télécharger sur nos portables pour identifier des champignons ne sont pas pleinement sûrs. Si on n'a pas de bonnes connaissances en mycologie et que l'on ne connaît pas les critères d'indentification comme le pied fibreux ou cassant, la présence sous le chapeau de lames ou de tubes, la présence ou non de lait à la cassure, la couleur des spores, on ne peut pas réaliser une bonne identification. En conclusion, il faut une bonne formation de base avec des mycologues compétents au sein des facultés de pharmacie ou des associations mycologiques.” A la faculté de Pharmacie de Grenoble, les enseignants mycologues et botanistes jouent également le rôle de conseillers de santé publique auprès de la population et peuvent identifier champignons ou plantes ramenés par les promeneurs.