A Clermont-Ferrand, une équipe de chercheurs planche sur les virus à ARN. Ces virus très particuliers pourraient nous en dire plus sur le coronavirus COVID 19 et sur la progression de l’épidémie.
Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter.
Notre politique de confidentialité
La fermeture de l’Université Clermont Auvergne (UCA) depuis le 16 mars 2020 a provoqué un ralentissement des activités de recherche. Cependant, des enseignants-chercheurs et des chercheurs sont mobilisés notamment autour de projets en lien avec l’épidémie de coronavirus COVID 19. C’est le cas de l’EPIE, une équipe qui travaille sur les maladies causées par des virus très répandus, les entérovirus, et qui étudie leur évolution génétique. Son domaine d’étude : les virus à ARN.
Des virus présents dans le tube digestif
Jean-Luc Bailly, maître de conférences à l’UCA explique : «
Nous sommes une petite quinzaine dans l’équipe, avec des scientifiques, des ingénieurs, des enseignants-chercheurs, des hospitalo-universitaires, des techniciens, des doctorants. Notre recherche porte sur un groupe de virus, les entérovirus. Ce sont des virus à ARN qui sont extrêmement divers. Leur nom signifie qu’ils sont présents dans le tube digestif, dans l’intestin mais épisodiquement, chez certaines personnes, ils peuvent causer des pathologies plus graves. On les retrouve par exemple chez les enfants jusqu’à l’âge de 4 ou 5 ans dans la maladie appelée pieds-mains-bouche. Certains entérovirus peuvent aussi atteindre le système nerveux et provoquer des atteintes neurologiques qui apparaissent sous la forme d’encéphalites ou de paralysie flasque, une atteinte des muscles des bras, des jambes, ou respiratoire. Par exemple, il y a eu des entérovirus qui ont provoqué de graves épidémies de poliomyélite dans le passé. On étudie ces virus à cause de ces pathologies sévères ».
Des champions de la création de mutations
L’enseignant-chercheur poursuit : «
Ces virus sont très différents des virus à ADN car lorsqu’ils se multiplient dans les cellules, chez un individu, ils ne possèdent pas de système de réparation de leur génome. Quand le virus se multiplie, son génome qui entre dans la cellule va être multiplié des dizaines, des centaines de fois. Ces enzymes de réplication commettent des erreurs au cours de la réplication. Les virus à ARN sont des champions de la création de mutations. Alors que ceux à ADN sont en général plus stables. Cette capacité à muter peut être un frein dans les tests de diagnostic que l’on utilise pour détecter ces virus dans les prélèvements cliniques. Des tests moléculaires sont utilisés, la PCR par exemple, pour détecter un génome dans un prélèvement de malade. Ces tests utilisent les séquences des génomes viraux. Si le virus mute à l’endroit où vous avez trouvé les séquences pour le détecter, le test va être rendu caduc et inefficace. Les tests de PCR peuvent être invalidés par les mutations ».
Les mutations peuvent aussi engendrer de nouveaux virus. A partir d’une souche, les mutations qui vont être accumulées vont produire des variations dans les protéines de ces virus. C’est le cas bien connu de la grippe. Le travail de l’OMS consiste à vérifier tous les ans que les vaccins dont on dispose coïncident bien avec les souches qui circulent dans la population.
Comprendre l'épidémie de coronavirus
Le maître de conférences clermontois explique que les recherches sur les entérovirus peuvent nous éclairer sur le coronavirus COVID 19 : «
Dans les recherches menées sur les entérovirus, depuis quelques années on essaie de développer une approche globale, appelée l’écologie de la santé et qui essaie de détecter ces virus, pas seulement chez les malades, mais aussi dans l’environnement. Comme ces virus sont présents dans l’intestin, ils sont excrétés dans les selles et on peut les détecter dans les eaux usées. On aimerait mettre en place des programmes de recherche d’épidémiologie environnementale en analysant les eaux usées. En effet, on s’aperçoit que l’on détecte une bien plus grande diversité de virus dans les eaux usées, donc dans la population en général, que chez les malades. Cela veut dire que les malades sont touchés par une petite poignée d’entérovirus. En fait on a deux fois plus d’entérovirus qui circulent dans la population de la ville de Clermont-Ferrand par exemple que chez les malades au CHU. Des entérovirus que l’on n’étudie pas, circulent en fait bel et bien dans la population. Cela nous dit que la pression de ces virus, même s’ils ne provoquent pas de pathologies, est là, et bien plus importante que ce que l’on peut imaginer simplement par le diagnostic chez les malades ».
Un indicateur de la circulation du virus
Il ajoute : «
Le coronavirus responsable de la maladie COVID 19 est présent dans l’intestin et on ignore pourquoi. Même si la pathologie est respiratoire, le virus est aussi présent dans d’autres tissus et notamment l’intestin. Il est lui aussi excrété dans les selles et maintenant il y a des travaux qui montrent qu’en surveillant le virus dans les eaux usées, cela permettrait d’avoir un indicateur de l’intensité de la circulation du coronavirus dans la population en général ».
Appréhender la progression de l'épidémie
Jean-Luc Bailly souhaiterait mettre en place un réseau de surveillance des eaux usées dans le Puy-de-Dôme. Travailler sur les eaux usées permettrait de mieux appréhender la progression de l’épidémie de la maladie COVID 19 : «
On pourrait en apprendre plus sur le coronavirus, sur sa circulation, sa présence. Si on le détecte dans les eaux usées, cela signifie qu’il est présent chez des individus. A Clermont-Ferrand, on a la chance que la presque totalité de la population de la Métropole soit reliée à une seule station d’épuration, avec laquelle nous travaillons depuis longtemps. En surveillant les eaux usées, vous pouvez surveiller environ 300 000 habitants d’un seul coup et avoir une vision globale et peut-être plus réactive que l’ensemble des tests faits sur les personnes à symptômes. On peut surveiller la présence du virus que l’on soit symptomatique ou asymptomatique. A une échelle nationale, la mise en place de cette étude permettrait la surveillance dans les régions les plus touchées par la maladie, l’Ile-de-France et le Grand-Est, ainsi que d’un certain nombre de zones affectées par le virus. Le but est de monter en puissance pour atteindre une surveillance de 50 % de la population en France ».
A la recherche de financements
Mais comme tout programme de recherche, l’argent, nerf de la guerre, est nécessaire. Jean-Luc Bailly souligne : «
Nous sommes aussi à la recherche de partenaires dans le secteur privé, notamment dans le domaine de l’eau. Le CNRS nous a accordé une petite subvention à ce sujet. A Clermont-Ferrand on fait des prélèvements d’entrée et de sortie : les eaux usées brutes qui proviennent de l’ensemble de l’agglomération et les eaux de sortie, une fois que les eaux ont été traitées. En comparant les analyses, ça nous permet de savoir si les traitements appliqués sont efficaces ». Avec ces financements, une étude à moyen terme pourrait se mettre en place.
Surveiller la zone littorale
Le scientifique déclare : «
Il est possible que dans le cas du coronavirus, il puisse persister relativement longtemps dans la population. Avec le projet OBEPINE (OBservatoire EPIdémiologique daNs les Eaux usées), initié par des scientifiques à Paris et Nancy, on voudrait valider nos protocoles, sur un grand nombre de stations d’épuration, et progressivement l’étendre pour réaliser un véritable maillage de la France et effectuer une surveillance active et pérenne pour 6 mois dans l’immédiat et ensuite plus longtemps. Il y aura notamment la zone littorale qui sera importante à surveiller, à cause des déplacements pendant les congés d’été. On pourrait anticiper une possible recrudescence du virus avant que ne se produise une propagation qui devienne difficile à contrôler. Nos collègues parisiens ont montré que l’augmentation de la détection dans les eaux usées se fait en parallèle de l’augmentation des nombres de cas déclarés de coronavirus ».