Alors que des candidats ont réussi le concours de professeurs des écoles mais figurent sur la liste complémentaire, le rectorat de Clermont-Ferrand préfère solliciter des contractuels. Un choix que l'académie assume et que dénonce Sophie, qui crie au "scandale".
« Un scandale » : c’est en ces mots très durs que Sophie, qui préfère garder l’anonymat, décrit sa situation. Cette habitante de l’Allier a 47 ans. Elle a réussi cette année le concours de professeur des écoles. Mais elle figure sur la liste complémentaire, pour son plus grand malheur. Elle raconte : « Le concours pour être professeur des écoles s’appelle le CRPE. Lorsqu’on l’a, les lauréats sont partagés en deux listes, selon les notes obtenues. Même lorsqu’on est sur la deuxième liste, les résultats sont excellents, on parle d’une différence au centième. Il y a une liste principale et une liste complémentaire. Il y avait environ 95 postes de recrutement pour l’académie cette année. Les lauréats de cette liste principale ont obtenu l’un de ces 95 postes. Pour la liste complémentaire, dans la loi, les lauréats sont appelés selon leur rang, dès que quelqu’un de la liste principale ne peut pas pourvoir à ce poste ou quand il y a des postes vacants dans l’Education nationale. Une fois que cette liste complémentaire a été appelée et que l’Education nationale n’a plus de recours, on appelle les contractuels. Ce sont des gens pas forcément diplômés, jetables, que l’on paie moins cher et qui ne sont jamais titularisés. Un lauréat du concours coûte beaucoup plus cher car on doit le titulariser. Nous sommes 35 sur cette liste complémentaire à Clermont-Ferrand cette année. En général, une dizaine sont appelés. Cette année, le rectorat a appelé le rang un de cette liste complémentaire. Nous avons eu vent dans l’Allier de 30 à 35 contractuels pris pour la rentrée mais d’aucun sur la liste complémentaire ».
L'obligation de repasser le concours
Elle ne comprend pas pourquoi elle fait figure de second choix par rapport à des professeurs contractuels : « Je suis sur cette liste complémentaire. Techniquement, pendant une année, je pourrais être appelée. Mais là on nous a dit que la liste complémentaire ne serait plus choisie et qu’ils allaient avoir recours à des contractuels. Nous sommes lauréats mais nous perdons notre concours. Nous devrons repasser le concours l’année prochaine car le rectorat a préféré faire des économies et appeler des contractuels ».
Je suis dans une situation catastrophique
Sophie est actuellement dans une grande détresse : « Je suis dans une situation catastrophique. J’ai 47 ans. Cela fait 2 ans que je passe ce concours. Cette année, je l’ai eu. J’ai 3 enfants. Je suis AESH, j’accompagne des enfants en situation de handicap. Je gagne 747 euros par mois, en attendant qu’on m’appelle pour un poste et pour lequel je pourrais vivre décemment. Cela devient urgent car je risque de perdre ma maison, alors que je suis lauréate. C’est un scandale ».
Un cas qui n'est pas isolé en Auvergne
Ce cas n’est pas isolé. David Aliguen, cosecrétaire départemental CGT Educ’Action 63, explique : « On retrouve cette situation dans d’autres académies. On a accompagné de nombreux collègues contractuels en juin, dont les contrats n’ont pas été renouvelés. Il ne faut pas mettre en concurrence tous ces personnels. Le ministère ne recrute pas assez, notamment au niveau des listes complémentaires. On le rappelle depuis le début de la pandémie. Car il y a un besoin d’allègement des effectifs et d’accompagnement des élèves qui aurait pu passer par le recrutement de collègues sur liste complémentaire et la titularisation de contractuels qui ont déjà fait leurs preuves. Le problème initial est le nombre de places au concours. Il est sur l’ensemble des premiers et seconds degrés en baisse ».
L'intérêt financier
Il confirme l’intérêt du rectorat sur le plan financier à embaucher des contractuels : « Pour les collègues contractuels, parfois leur contrat s’arrête début juillet. Ils sont parfois recrutés sur des durées plus courtes et non pas à l’année. Pour le rectorat, c’est beaucoup plus intéressant en termes de budget de recruter des contractuels qu’on peut remercier facilement ». Même son de cloche du côté de Sophie Née, cosecrétaire départementale SNUIPP-FSU 63 : « Le ministère préfère engager des contractuels pour 10 mois ou en plein milieu de l’année. Il ne veut pas se donner les moyens pour embaucher des enseignants qui ont réussi le concours et qui ont envie d’être formés. Mais cela lui coûte moins cher de prendre des contractuels, avec un petit salaire, qu’on pourra remercier fin juin ».
C’est un métier pour lequel on n’improvise pas
Pour elle, la qualité de l’enseignement n’est pas la même s'il est dispensé par un contractuel ou une personne ayant réussi le concours : « Les contractuels ne sont pas formés. On donne le concours à une personne qui est sur liste complémentaire. Parfois on la place en remplacement pendant un an, mais l’année suivante, elle aura une formation, à mi-temps. Mais les contractuels doivent se débrouiller, avec parfois un ou deux jours de formation, sachant que c’est un métier pour lequel on n’improvise pas ». Sophie Née précise : « Le recours aux contractuels est de plus en plus fréquent, surtout dans le second degré. Notre syndicat demande le recours à la liste complémentaire et l’ouverture de plus de places au concours. On exige aussi une meilleure formation ».
Au niveau local, on n’a pas vocation à pouvoir dépasser le calibrage qui nous est donné
Ces revendications, les organisations syndicales les ont exprimées à l’académie de Clermont-Ferrand. Peggy Voisse, directrice des ressources humaines du rectorat de Clermont-Ferrand, explique pourquoi le recours à la liste complémentaire n’est pas si souvent répandu : « On utilise la liste complémentaire qu’en cas de désistement d’un lauréat au concours. Il y a la liste principale et une période qui nous est donnée. Nous avons bien évidemment vocation à faire appel aux candidats inscrits sur la liste complémentaire dès lors que nous avons un désistement. Le calibrage du concours est réalisé au niveau ministériel et au vu d’éléments de prévision, de départs à la retraite ou définitifs, bien en amont du concours. Au niveau local, on n’a pas vocation à pouvoir dépasser le calibrage qui nous est donné. La liste principale est arrêtée au vu du calibrage. On se donne de la souplesse avec des candidats inscrits sur liste complémentaire mais en cas de désistement. La liste complémentaire n’a vocation à être activée que dans ce cas de figure ».
Un recours depuis quelques années
Elle justifie le fait que le rectorat fasse appel à des contractuels : « Le recours aux contractuels dans l’académie dans le premier degré date de 2017. En 2017, seul le département du Puy-de-Dôme avait eu recours aux contractuels car il était confronté à une situation RH vraiment inattendue du fait d’un nombre particulièrement élevé de départs à la retraite qui avaient été déclarés tardivement et qui n’avaient pas été pris en compte dans le calibrage ministériel. En toute urgence, le département avait dû recruter une trentaine de contractuels, notamment pour effectuer des remplacements ».
On est dans le cadre de la logique des concours
Peggy Voisse poursuit : « On est dans le cadre de la logique des concours. Le département de l’Allier s’est trouvé confronté aux mêmes problèmes rencontrés par celui du Puy-de-Dôme. La situation a été accentuée par l’accord d’exeats (Permission de sortie du département, NDLR) en nombre pour rejoindre le département du Puy-de-Dôme bloqués dans l’Allier. Mécaniquement, il y a eu une perte de ressources humaines et il a fallu remplacer ce personnel. Le contexte sanitaire nous pousse à trouver des solutions rapides pour pallier le manque de personnel sur les quatre départements de l’académie. Pour prendre des personnes sur liste complémentaire, il nous faudrait l’accord du ministère et cela signifie aussi que l’on prend la personne jusqu’à la fin de sa carrière. Avec les contractuels on répond à des besoins à l’instant T ».
Nous n’avons pas d’autorisation à dépasser ces calibrages
Interrogée sur le fait de réaliser des économies en ayant recours à des contractuels, la DRH répond : « Nous sommes des services de l’Etat. On répond à un cadre national, dans lequel on s’inscrit. Nous n’avons pas d’autorisation à dépasser ces calibrages, qui répondent aussi à un schéma d’emploi et à des données très précises sur les ressources affectées dans l’académie. Nous mettons devant les élèves des personnes qui ont un profil attendu, notamment avec des exigences élevées en termes de diplômes. Dans le cadre du recrutement de contractuels, nous avons toujours privilégié des personnes qui ont suivi le master MEEF (Master mention métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formationn NDLR). Nous accompagnons ces personnels pour les amener à la réussite au concours et nous essayons de les fidéliser ».
On ne peut être insensible à la situation de cette personne
Peggy Voisse ne peut actuellement nous indiquer combien de contractuels ont été appelés dans l’académie : « On est encore en train d’ajuster les derniers recrutements. On n’a pas finalisé ces recrutements ». La directrice des ressources humaines souligne, à l’évocation de la détresse de Sophie, qui témoigne en début d’article : « On ne peut être insensible à la situation de cette personne. Mais on est attachés aux statuts, avec des règles, des réussites au concours, des listes principales. Les difficultés que cette personne rencontre, d’autres personnes peuvent en rencontrer sur d’autres types de concours. Ce n’est pas propre aux enseignants du premier degré. Elle a réussi le concours mais elle n’est pas sur la liste principale. Si elle n’a pas de poste cette année, elle devra vraisemblablement repasser le concours. C’est un cadre national et non une volonté de l’académie ». Sur cette question sensible, de nombreux lauréats qui figurent sur la liste complémentaire sont en train de s’organiser au plan national, selon les syndicats interrogés. Ces derniers indiquent que certains ont notamment interpellé des élus et des députés sur ce sujet. Les organisations syndicales appellent à une mobilisation le 23 septembre prochain. Elles invitent les contractuels et les lauréats du concours à les rejoindre dans les manifestations.