Le changement climatique devrait profondément modifier le visage du massif du Sancy (Puy-de-Dôme), dans les 30 prochaines années. C’est en tout cas ce que révèle une étude, qui montre que la température a déjà augmenté en moyenne de 1,2°C. Et ce n’est malheureusement pas fini.
Les chiffres sont sans équivoque : une étude réalisée par Frédéric Serre, géographe, confirme que le réchauffement climatique sur le Sancy (Puy-de-Dôme) est une réalité. En 30 ans, + 1,2 °C de température et- 14 % d'enneigement. Et ces évolutions vont se poursuivre jusqu’à 2050 au moins, révèle l’étude. Celle-ci a été commandée par la Réserve naturelle de Chastreix-Sancy, qui souhaite pouvoir adapter la gestion des milieux à cette évolution. Thierry Leroy, conservateur de la réserve, explique : “On a commandé l'étude sur la caractérisation du climat du Sancy, de la réserve naturelle, et l'évolution de ce climat. Ça date de 2015, donc les réflexions ont commencé en 2013, 2014. On s'est posé la question de savoir quelle était l'évolution climatique sur le Sancy et plus directement, est-ce que le changement climatique était perceptible sur le Sancy ou pas ? Est-ce qu'on était à part ou est-ce qu'on était dans la mouvance générale du réchauffement climatique ? ”
Le réchauffement climatique, une réalité
La réponse est sans appel. La hausse des températures mesurée au Mont-Dore est importante : on gagne 0,91° C entre les deux normales 1951-80 et 1981-2010. Parallèlement, le nombre moyen de jours de gel est passé de 124 à 113. Thierry Leroy explique : “Quand on a réceptionné l'étude, on s'est rendu compte que le Sancy était concerné par le changement climatique et il y avait donc la hausse des températures qui était une réalité sur 50 ans, puis sur 60 ans. Le réchauffement climatique sur les stations était entre +0 9° ou +1,2 °C d'augmentation des températures. L'autre réalité, c'était la baisse du nombre de jours d'enneigement. On s'est rendu compte à quel point le Sancy était concerné par le changement climatique.” En effet, la station compte 14 % de neige en moins en 30 ans.
S'adapter au changement
La réserve Chastreix-Sancy a donc participé à un programme national avec Réserves naturelles de France, LIFE Natur’Adapt, visant à intégrer le changement climatique dans les pratiques des gestionnaires des espaces protégés. “On voulait voir en quoi le changement climatique allait modifier les missions de la réserve, nos objectifs, le patrimoine naturel et en quoi ça pouvait modifier aussi les usages exercés sur la réserve” , indique Thierry Leroy. Il y a des modifications à plusieurs niveaux. “Au titre de la réserve, la principale concerne tout ce qui est milieux et espèces d'altitude, ceux qui sont vraiment liés au climat froid au-dessus des 1 500 mètres d'altitude. Ces espèces-là, on ne pouvait pas s'engager à les conserver parce que l'augmentation des températures fait que probablement, elles vont régresser, voire disparaître. On a acté le fait que la nature changeait et changerait en fonction de l'évolution du climat. Ça nous a amené à changer d'enjeu de préservation sur le site. On est passé sur une préservation de l'ensemble du site au niveau de la mosaïque des milieux naturels, c'est-à-dire avoir les milieux naturels qui soient le plus préservés possible, avec le moins de pression possible.”
"Laisser faire la nature"
La réserve doit donc renoncer à sauvegarder certaines espèces, notamment de la flore, faute de pouvoir refroidir les températures : “Ça nous oblige à laisser faire la nature et ne pas, par exemple, lutter de façon forte pour maintenir certaines espèces qui sont liées au milieu froid. De toute façon, on envisageait mal comment conserver le froid. C'était quand même un peu compliqué comme tâche. On va baisser les pressions sur ces milieux-là et on va laisser les choses évoluer naturellement, pour avoir des milieux naturels qui fonctionnent le plus possible en lien avec des trames forestières et qui permettent les échanges assez facilement” , affirme Thierry Leroy.
Des espèces en changement
Alors, il est probable que certaines espèces disparaissent des sommets pour laisser place à d’autres, explique Thierry Leroy : “Il y a des espèces de milieux froids, comme la Jasione crispa d’Auvergne ou la Lunetière d'Auvergne (Biscutella arvernensis) qui, si les conditions climatiques se réchauffent, vont disparaître. Ce sont des espèces de plus basse altitude qui vont monter à leur place. Je pense à l’Arnica des montagnes ou au Trolle d'Europe. On a fait une étude botanique, avec presque 200 relevés dans les années 1980. On a fait exactement la même étude en 2022 et on s'est rendu compte que sur une centaine d'espèces qui pouvaient être comparées, 70 espèces sur une centaine avaient monté en altitude alors que 30 étaient stables ou avaient légèrement diminué. On observe une montée de toutes les espèces liées à l'altitude de l'étage subalpin” , précise-t-il.
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Des paysages secs
L'hiver, il faudra s'attendre à voir de moins en moins de neige, prévient Thierry Leroy : “Comme cet hiver, nous aurons des périodes de neige et surtout des périodes d'absence de neige de plus en plus souvent. On va avoir des paysages beaucoup moins enneigés en hiver. On peut aussi s'attendre à avoir des mois d'été marqués par des sécheresses, en août et en septembre en particulier, avec des paysages très secs. Canicule oblige, sécheresse oblige, on aura des paysages très secs et une végétation asséchée. Ils vont passer d'un beau vert en juin et juillet à quelque chose de brun sur le mois d'août ou septembre. On va trouver des zones humides, des cours d'eau avec des étiages, des niveaux d'eau beaucoup plus bas. Il faut s'attendre aussi à ça.”
Une nouvelle végétation
Les paysages forestiers devraient, eux, prendre de plus en plus de place : “Dans plusieurs dizaines d'années, je pense 30 ou 40 ans, avec pression des pâturages égale et pression touristique égale, on s’attend à une montée de la forêt en altitude. S’il n’y a pas de pâturages sur les crêtes ou très peu de pâturages, des arbustes et des arbres monteront en altitude. À pression égale, on aura un recouvrement forestier qui sera probablement de plus en plus fort et une transformation forestière. Probablement que les sapins diminueront. Les chênes s'installeront au détriment du hêtre, au moins sur les parties basses de la réserve, aux alentours des 900, 1 000 mètres d'altitude” , affirme Thierry Leroy.
Augmentation de la pression des pâturages
Il est cependant peu probable que les pâturages n’augmentent pas : “On s'attend à une augmentation des pressions parce qu’on considère qu'il y aura une ressource en herbe qui va changer et qui va être un peu altérée. Les périodes de production herbagères vont se faire plus tôt au printemps et revenir plus tard à l'automne et de façon moindre en été en raison de l’assèchement et des fortes températures. Ça va s'accentuer. Les agriculteurs vont être à la recherche de la ressource en herbe, donc ils vont essayer d'occuper le plus d'espace possible, même ceux qui actuellement ne sont pas pâturés parce qu'il y a des fortes pentes ou un accès difficile.”
Développer les activités de loisir
On peut s’attendre également, selon Thierry Leroy, à une accentuation des sports de loisirs comme la randonnée : “Les gens viendront à la recherche de fraîcheur en altitude. Ils auront un accès plus facile en l'hiver, moins d'enneigement, donc un accès facilité. Il y aura moins de fréquentation au milieu de la journée quand il fera vraiment très chaud. On l'a déjà observé les années précédentes, les gens viennent plus tôt le matin ou traînent le soir. Il faut aussi qu'on s'adapte à ça et qu'on change nos horaires pour faire de l'information, de la surveillance. ” Pour la réserve, le nouvel enjeu sera ainsi de parvenir à contrôler la fréquentation afin de prévenir l’érosion des crêtes.
Lise Riger dans "L'info en plus" a consacré un numéro à cette problématique avec Frédéric Serre, géographe de l'université de Limoges.
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