La source de la Poix, au sud de Clermont-Ferrand est un site naturel unique en France. Ici, jaillissent des hydrocarbures. On vous explique l'origine de ce phénomène.
Article publié le 12/11/2023
C’est un site autrefois très fréquenté par les touristes et les curieux qui est aujourd’hui redevenu confidentiel. A Clermont-Ferrand, à quelques mètres des pistes de l’aéroport, se trouve le puy de la Poix. Sa particularité : une source bitumeuse qui sort de terre pour former une flaque sombre et peu attrayante. Ce monticule, haut de seulement quelques mètres, correspond à une vieille cheminée volcanique érodée, traversant les marnes de Limagne. Il était considéré autrefois comme l’une des grandes curiosités touristiques de l’Auvergne, en raison de sa présence de bitume. Charley Merciecca, géologue, met en avant le caractère exceptionnel de cette source bitumeuse : « C’est une curiosité naturelle indéniable à l’échelle locale, nationale et presque internationale. Il n’y a pas tant de remontées de bitume dans le monde ». La source produit de l’ordre d’un litre de bitume par jour.
"Au puy de la Poix, le bitume remonte de façon très lente"
Le géologue détaille comment le phénomène s’est formé au fil des siècles : « Le puy de la Poix est à l’ouest de la plaine de Limagne, entre Riom et Vic-le-Comte. Il y a des suintements de bitume un peu partout et le puy de la Poix n’est qu’un exemple de tous ces suintements. Il y a environ 25 millions d’années, de la matière organique a été piégée dans les dépôts sédimentaires de ce grand lac intérieur qu’était la Limagne à cette époque. Cette matière organique a été montée très lentement en température au fur et à mesure que les marnes se sont enfouies dans l’empilement sédimentaire. La matière organique se transforme, à température croissante et il y a formation d’hydrocarbures. En Limagne, contrairement aux autres lieux où on trouve du pétrole, ces hydrocarbures n’ont pas été piégés et n’ont pas été stockés en profondeur : ils ont imprégné tout leur environnement. Dans cette zone de la plaine de la Limagne, il y a du bitume dans presque tous les affleurements de roche sédimentaire. Au puy de la Poix, le bitume remonte de façon très lente. Il remonte par les eaux thermales : il n’y a pas que du bitume, c’est de l’eau bitumineuse, également chargée en gaz carbonique, en méthane et en soufre ».
La source bitumeuse du puy de la Poix à Clermont-Ferrand est une curiosité naturelle. Plus d’infos : https://t.co/LRNpvnbjAP pic.twitter.com/CZa7j4nZhY
— Catherine Lopes (@lacatch) November 12, 2023
"C'est un hydrocarbure très riche en soufre"
Par son faible débit, la source n’a pas suscité les convoitises. Charley Merciecca explique : « La source ne présente aucun intérêt industriel. Entre 1880 et 1980, il y a eu près de 50 sondages jusqu’à 1 500 m de profondeur qui ont été réalisés dans ce secteur, et pas seulement au puy de la Poix. Tous ces sondages ont montré qu’il n’y avait pas de quoi avoir une production industrielle. Sur ce site, il s’agit de bitume et non pas de pétrole. Le bitume a été oxydé, c’est un hydrocarbure très riche en soufre: il n’a pas du tout les qualités industrielles requises pour faire de l’énergie ». Non loin du puy de la Poix, un autre site a quant à lui présenté un intérêt industriel : « Il y a eu près de Dallet (NDLR, près de Clermont-Ferrand) , dans la mine des Rois, une extraction de ce bitume en galeries souterraines de façon plus importante. On extrayait à la fois le bitume et le calcaire pour fabriquer des macadams. Cela s’est fait jusqu’en 1980 ».
Un site célèbre par le passé
Le géologue regrette qu’on ait oublié cette source du puy de la Poix :
« Ce site est tombé totalement en désuétude et depuis une centaine d’années il a été oublié par tout le monde. Au XVIIIe et au XIXe siècle, tous les grands naturalistes français, comme Buffon et Guettard venaient visiter le puy de la Poix. C’était incontournable à l’époque. Les naturalistes venaient essayer de comprendre à la fois l’origine de cette remontée de bitume et ils s’intéressaient à sa composition, d’ordre chimique, alors que c’était les débuts de la révolution industrielle. Aujourd’hui, seuls des étudiants en géologie viennent voir ce site tout comme quelques amateurs éclairés. C’est un site de curieux naturalistes ». D’après le géologue le bitume va perdurer et la source ne va pas se tarir.
Un lieu "unique en France"
Le Conservatoire des espaces naturels (CEN) Auvergne a la gestion de ce site depuis 2009. Lucie Lecorguillé, chargée de projets au CEN, souligne : « On a passé une convention avec le propriétaire, la Ville de Clermont-Ferrand. C’est un site cas d’école car on a tout fait de A à Z : c’était un peu une décharge sauvage donc on a complètement nettoyé le site, on l’a remis en valeur. On a fait un petit sentier de découverte avec une plaquette. On commence à travailler sur les parcelles périphériques qui sont privées. Tous les mois, on a une conservatrice bénévole qui va nettoyer les lieux ». Lucie Lecorguillé précise : « Cela fait partie des indices bitumeux, des indices pétrolifères qui ont donné des signes de présence de ressources pétrolifères en Limagne. Au puy de Crouel, on a aussi des remontées de bitume naturelles. A Mezel-d’Allier, il y avait une ancienne mine, la mine des Rois, exploitée pour le bitume. Il y a eu des recherches dans les années 1970 mais elles n’ont jamais abouti à de l’exploitation ».
"Un microcosme très particulier qui se développe dans ce fossé"
Le puy de la Poix renferme une vie microscopique très riche : « Quand du bitume se mélange à de l’eau on a des bactéries très particulières. Elles jouent un rôle dans le cycle du soufre. On va avoir un microcosme très particulier qui se développe dans ce fossé. Des chimistes y ont fait des recherches. Il y a aussi eu des études sur la radioactivité de la source, qui est très faible. La faune fuit le bitume car c’est dangereux. Parfois on trouve des cadavres de petits mammifères, piégés par le bitume ». Le site présente aussi un intérêt artistique : « Récemment Anne Goyer, une artiste a travaillé avec des chercheurs, pour développer un système d’extraction du bitume afin de peindre grâce à un bleu qu’elle nomme le bleu lumière ».
Source d’inspiration pour les artistes, lieu d’intérêt pour les curieux, le puy de la Poix mérite qu’on s’y intéresse, d’autant qu’il est facilement accessible.