Dimanche 10 avril a lieu le premier tour de l’élection présidentielle. La lutte contre le réchauffement climatique fait partie des préoccupations majeures des Français. Mais le sujet est curieusement absent du débat. Un enseignant-chercheur de l’ESC de Clermont-Ferrand nous livre son analyse.
C’est une question qui ne sera jamais parvenue à faire beaucoup parler d’elle lors de la campagne présidentielle. Eclipsée par la guerre en Ukraine, le pouvoir d’achat, la question de l’urgence climatique a été reléguée au second plan. Pourtant, le dernier rapport du Giec, publié début avril est alarmant : "Les preuves sont là. Le temps de l’action, c’est maintenant". Comme à chaque nouvelle publication du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les mots pèsent lourd. Ces dernières semaines, le climat n’a représenté qu’entre 1,5 % et 5,5 % du temps médiatique dans la campagne, selon le baromètre des quatre ONG de « L’affaire du siècle ». Diego Landivar est enseignant-chercheur à l’ESC de Clermont-Ferrand et directeur du laboratoire Origens Media Lab. Nous l’avons interrogé sur son analyse de l’absence de ce sujet majeur dans la campagne.
Question : Pourquoi le climat est-il absent du débat de l’élection présidentielle ?
Diego Landivar : « Je pense qu’il y a une raison que tout le monde cite, qui est une raison de contexte, de conjoncture. C’est lié à la guerre en Ukraine principalement. Je pense aussi que c’est le énième rapport qui sonne l’alarme mais aujourd’hui les acteurs qui décident de choses sur le terrain, les élus, les décideurs dans les entreprises, ne savent pas comment faire face à cette urgence et à la rapidité de ce qu’il faut faire d’ici 3 ans. Le GIEC le dit. On a brûlé notre budget carbone donc il va falloir aller encore plus vite. Les gens sont perdus, ne savent pas par où commencer »
Question : Le GIEC sonne l’alarme. Que faut-il faire ? Vivre dans la sobriété ?
Diego Landivar : « On essaie de démontrer que dans les territoires, les entreprises et les organisations qui essaient de mettre en place des transitions écologiques, celles uniquement basées sur l’amélioration technologique, l’efficience, ne permettent pas de bifurquer comme on devrait le faire. Ce n’est pas suffisant. Par exemple, les piscines municipales ou individuelles consomment moins d’eau, d’énergie, émettent moins de CO2, moins de chauffage aujourd’hui. Mais en même temps, cette efficience est rattrapée par le fait que les nouvelles piscines intègrent plus d’usages, des hammams, des saunas : les piscines écologisées consomment au final 1,5 fois plus d’énergie et d’eau que les anciennes piscines. L’efficience ne permet pas de tout faire. Il va falloir faire des arbitrages quantitatifs, des renoncements et décider ce qui est le plus important pour les citoyens, le meilleur en termes de justice sociale. Il faudra renoncer à tout ce qui est superflu, de l’ordre du privilège écologique. La ligne aérienne Clermont-Paris est utilisée par 0,5 % de la population clermontoise. C’est devenu un luxe écologique. On fait des choix importants et on ne noie pas le poisson en attendant qu’il y ait un avion à hydrogène »
Question : Lorsqu’on est écolo, sobre, on peut être caricaturé. On se souvient de l’expression du « Amish » utilisée par un candidat. L’écologie reflète-t-elle l’image qu’elle veut donner ?
Diego Landivar : « Le gros problème est que l’écologie est souvent taxée d’être pessimiste, collapsologique…Ce sont des accusations un peu basiques et classiques. Souvent, quand on parle de ces questions, on dit qu’il faut de l’optimisme. C’est très solaire, optimiste, selon moi de parler d’arbitrages, de nouvelles régulations écologiques, y compris de planification. Je ne suis pas le seul à le dire. J’ai participé au rapport « Entreprises et post-croissance ». Il y a plein d’entreprises qui se situent dans le paradigme de la post-croissance : renoncer à une croissance infinie et absolue, renoncer à l’innovation technologique à tout-va. C’est un vrai projet de société, hyper créatif. Il y a tout à bâtir, à discuter. Ce n’est pas une écologie qui bascule sur un optimisme béat mais au moins, on garde un peu de lucidité »
Question : Quand on va voter dimanche, est-ce qu’on est lucide comme vous le dites et qu’on a ces enjeux en tête ?
Diego Landivar : « L’autre problème de l’écologie est qu’on est pas tous dans le même bateau et qu’on doit résoudre les problèmes écologiques de manière coopérative. Il va aussi assumer un certain niveau de conflictualité. Dans l’écologie, il y a des rapports de force. Les milieux populaires considèrent aujourd’hui que l’écologie est prise en charge uniquement par une pensée un peu intellectualiste, un peu hors-sol, qui n’a pas les mains dans la précarité. L’écologie devrait plus parler aux classes populaires et leur dire que la question écologique est une question sociale, qu’il faut sortir de ces dépendances. Quand on bosse dans un supermarché à Croix-de-Neyrat, on est dépendant, on n’a pas forcément le choix : on ne peut pas s’écologiser spontanément. Il faut travailler cette question frontalement et bâtir des stratégies démocratiques. On va devoir décider ce qu’on garde et ce qu’on ne garde pas, comme activités, comme lignes aériennes par exemple : cela, on devrait le discuter démocratiquement, pour éviter que les décisions se fassent de haut vers le bas »
Question : Les rapports du Giec montrent que les industriels, les grands groupes sont pollueurs. Mais est-ce que les petits gestes comptent ?
Diego Landivar : "Cela a été étudié. Il y a une convergence pour dire que les gestes individuels contribuent entre 15 et 25 % de ce qu’il faut faire, pour les objectifs climatiques et écologiques. C’est certes pas mal, il ne faut pas outrepasser cela mais les trois quarts du problème sont des problèmes systémiques. C’est par exemple, notre dépendance à la voiture dans les trajets quotidiens, nos organisations du loisir au niveau national et global, nos modes de distributions de l’alimentation. On a beau individuellement tout trier, prendre des douches, on ne résoudra jamais le gros du problème »
Question : Qu’en est-il du domaine du numérique ? Doit-il aussi faire sa révolution ?
Diego Landivar : « Il y a aujourd’hui le mouvement des low-techs. Il considère qu’il faut mettre en face une sobriété sur tout l’univers technologique et technique. Cela veut dire avoir une culture très avancée de la réparation. Je défends l’idée que la réparation devienne une discipline enseignée à l’école pour les tout-petits. Il faut aussi aligner nos avancées technologiques sur la disponibilité des ressources. Pour des choses sacrées, comme l’hôpital, les services publics, il faut qu’il y ait une disponibilité entière mais pour les usages superflus, comme voir des clips vidéo sur YouTube, ça devrait déjà basculer sur du low-tech voire même être renoncé. Chez Orange, on a rencontré des ingénieurs qui nous disent qu’il faut renoncer à la HD, à des plateformes numériques comme Netflix car on risque de perdre l’ensemble du web à cause de ces bêtises. Or le web est quand même cool et génial "
Question : Il y a encore beaucoup d’indécis pour le second tour. Quel serait votre message, surtout auprès de la jeunesse pour dimanche ?
Diego Landivar : « Il n’y aura pas beaucoup de possibilités pour activer des programmes écologiques ambitieux et systémiques. Plus ce sera fait tôt, plus les bifurcations seront moins coûteuses d’un point de vue économique, moins coûteuses socialement. Plus on attend, plus ça va être difficile, plus les migrations incontrôlées vont être importantes avec les réfugiés climatiques. Plus on anticipe cela, plus on vote en faveur du climat, de la planification écologique, plus on y arrivera »