Vendredi 3 septembre, trois enseignants-chercheurs de l’ESC Clermont-Ferrand ont publié une tribune dans Le Monde sur l’urgence climatique. Ils plaident pour une écologie du démantèlement et affirment que l’humanité doit se préparer à fermer ce qui la détruit.
Dans les colonnes du quotidien Le Monde, vendredi 3 septembre, trois enseignants-chercheurs de l’ESC Clermont-Ferrand, Emmanuel Bonnet, Alexandre Monnin et Diego Landivar, ont signé une tribune qui n’a pas fini de faire parler. Intitulée « Crise climatique : « Nous devons apprendre à désinnover » », ils préviennent que l’humanité doit se préparer à fermer ce qui la détruit. Depuis une dizaine d’années ils travaillent sur la question de l’adaptation des entreprises et des territoires, des politiques publiques, au nouveau régime climatique, c’est-à-dire à l’urgence climatique et écologique. Le dernier rapport du GIEC, publié en août dernier, est le point de départ de leur réflexion.
Une menace très claire de l’habitabilité sur terre
Diego Landivar a cosigné cette tribune. Il plaide pour une prise de conscience et des changements radicaux : « Depuis trois ou quatre ans, on a fait pas mal de tribunes dans les médias pour essayer de défendre qu’on ne peut plus vraiment réussir la transition écologique et qu’il faut passer à un stade plus compliqué et plus fort, qui est celui de la redirection écologique. Cette redirection prend acte du fait qu’il y a des limites planétaires qui sont aujourd’hui en train d’être dépassées, et que les entreprises, les territoires, les politiques publiques locales doivent s’aligner très rapidement pour ne pas laisser advenir le scénario le plus critique du GIEC, au-delà des quatre degrés de réchauffement qui serait fatal pour tout le monde. Cela serait une menace très claire de l’habitabilité sur terre ».
Apprendre à "désinnover"
Pour lui, il faut apprendre à « désinnover » : « Nous sommes dans une école de gestion et nous venons du monde de l’entreprise, de l’innovation, du projet. Dans ce monde-là, il y a un implicite qui est devenu faux et remis en question par les scientifiques, climatologues, océanographes : on peut utiliser des instruments soit de compensation soit des incitations pour améliorer les éco-gestes, mais tout cela a aujourd’hui trente ans d’existence et n’a pas réussi à redresser la trajectoire. Maintenant, il faut passer à une autre étape, celle de l’alignement, et rapidement ». Dans Le Monde, il écrit : « En clair, plus que d’un renversement théorique ou d’une réforme impossible du capitalisme, nous avons besoin de le fermer concrètement ».
La question du nucléaire
Il prend alors l’exemple du nucléaire. Diego Landivar explique : « Le nucléaire est un champ où les acteurs institutionnels et les entreprises ouvrent des horizons sans en avoir la maîtrise temporelle. C’est ça le problème, on a de plus en plus créé des technologies, des entreprises qui ont un impact sur le monde dont on ne peut même pas mesurer le cycle de vie, la durée, la soutenabilité, les conséquences à long terme. On a ouvert des mondes sans savoir quand on allait les fermer. C’est pourquoi on appelle à désinnover, passer à cette étape de deconstruire le mythe de l’innovation comme solution à tous nos problèmes ».
Changer nos habitudes
Le chercheur plaide pour une écologie du démantèlement : « Nous sommes des chercheurs donc nous faisons des enquêtes. La première enquête a porté sur des patrons effondrés, c’est-à-dire des top managers, des directeurs d’entreprises qui aujourd’hui, à la lecture des rapports du GIEC, disent qu’il faut complètement changer la manière d’organiser les entreprises. De plus, on essaie de bâtir des instruments de pilotage adaptés à l’anthropocène (Période actuelle des temps géologiques, où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète et les transforment à tous les niveaux. NDLR), au changement climatique, et qui sont nouveaux car ils sont basés sur le fait que les limites ne sont pas négociables ».
Des réactions parfois violentes
Depuis sa publication, la tribune des Clermontois ne manque pas de faire réagir. Les commentaires sur la page du quotidien sont parfois très violents. Un internaute écrit : "Oui à la fermeture : je propose que les auteurs la ferment, tant qu'ils n'ont pas de solution positive à proposer". Un autre : "D'abord je ne savais pas que la phraséologie pouvait atteindre de tels sommets, il est vrai qu'on a affaire à des premiers de cordée. Bref si "La fermeture est l’horizon politique le plus optimiste du nouveau régime climatique" pourquoi ne pas commencer par eux. Clore ainsi leurs recherches et leurs tribunes absconses dans un silence réparateur et plein de promesses climatiques". Des réactions qui prouvent que beaucoup de travail reste à faire : « Je pense qu’il y a encore cet implicite très fort et qui fait vivre beaucoup de monde, qui consiste à dire que l’innovation, surtout technologique, va nous sortir de là. S’il y a trop de CO2, il faut inventer des machines qui vont aspirer le CO2, pensent certains. Il y a tout un courant qui dit notamment qu’on pourrait absorber le CO2 de l’atmosphère et donc continuer à polluer, à émettre et même avoir encore plus de marges pour continuer avec le paradigme de croissance intensive. Ce paradigme existe partout. Par exemple, je suis élu (Clermont en commun. NDLR) à la métropole de Clermont-Ferrand. Je vois passer tous les dossiers. Il y a des millions d’euros distribués dans les territoires pour l’innovation, pour les start-ups, ce qui est très bien, sauf que pour l’instant, d’un point de vue très factuel, cela ne répond pas à la question de l’urgence climatique. Le CO2 et les caractéristiques globales de la situation écologique et climatique font qu’on ne peut plus développer la situation. Il faut prendre acte que l’efficience technologique ne va pas nous sauver et nous oblige à considérer ce qui est le plus essentiel dans notre vie, les services publics, l’habitabilité, l’alimentation, l’accès à l’eau…A partir de là, il faut qu’on reconstruise notre société pour aller vers des éléments essentiels, dans une sobriété généralisée. Il faut clarifier cette situation car à force de croire que les choses vont se régler par la technologie, on perd de plus en plus de temps et on n’a pas résolu la question ».
Des retours positifs
Il poursuit : « Les réactions dépendent du réseau social car sur LinkedIn on a des réactions très positives venant de soutiens forts, de responsables du développement durable dans de grandes entreprises, des élus, des intellectuels, des chercheurs et beaucoup de gens qui viennent de l’entreprise. C’est cela qui nous intéresse. On veut avoir ce discours à l’intérieur de l’entreprise car on considère que si on ne résout pas ces questions, même l’entreprise ne pourra pas exister dans un régime climatique délabré ». Diego Landivar enseigne à l’ESC Clermont-Ferrand afin d’essayer de faire changer les mentalités : « Cela fait dix ans qu’on a intégré la question de l’urgence climatique à l’ESC Clermont. C’est la première école à avoir fait entrer des géologues, des climatologues au sein du tronc commun Grandes écoles. Les étudiants de première année ont quatre semaines dédiées à l’urgence climatique et écologique. Ils ont des conférences, des ateliers, des randonnées où ils enquêtent sur les premiers signes de l’urgence climatique à Clermont-Ferrand. On a développé un Master of science avec une école de design à Lyon : c’est un diplôme unique au monde car il met la question de la durabilité au cœur de la transformation des entreprises ». Les trois enseignants-chercheurs viennent de publier « Héritage et fermeture » aux éditions Divergences. Ils seront en dédicace le mercredi 29 septembre à 17 heures à la librairie des Volcans de Clermont-Ferrand.