Empreinte bancaire : quand les restaurants s’agacent face aux annulations

Afin de dissuader des clients de leur faire faux bond sans prévenir, certains restaurants ont mis en place un système de réservation par empreinte bancaire. Dans le Puy-de-Dôme, cela se développe surtout chez les étoilés, mais pas seulement.

C’est ce qu’on appelle un « no show », dans la langue de Shakespeare : des clients qui réservent dans un restaurant mais qui ne viennent pas. Un phénomène qui aurait tendance à se développer selon les dires des restaurateurs. Rodolphe Regnauld, chef du restaurant étoilé l’Auberge du pont à Pont-du-Château, en a fait l’amère expérience l’an dernier, peu de temps après la réouverture de son établissement, après l’incendie qui l’avait détruit. Il raconte : « On avait rouvert depuis très peu de temps. Un jour, on a eu une table de 5 le midi et de 6 le soir qui ont été annulées sans prévenir. A cette époque, après la réouverture, seule la moitié de la salle était ouverte car on voulait y aller crescendo. Ce qui se passe dans ces cas-là, c’est qu’on attend les clients, on se demande s’ils vont venir. Cela nous demande du temps pour les appeler et bien souvent, ils ne répondent pas. On perd du temps. Il y a aussi un manque à gagner. Si on perd tous les jours une table de 2, 3, 4 ou 5, si l’on fait cela 2 fois par jour, on perd 1 200 euros par jour. Si on cumule cela sur tous les jours d’ouverture, ce n’est juste pas possible. Heureusement, tout le monde n’est pas comme cela ». Il a alors poussé un coup de gueule sur les réseaux sociaux : « Je voulais faire bouger les choses, surtout auprès de mes collègues. Aujourd’hui, il y a une communauté qui s’appelle Trip advisor et qui met des notes. Pourquoi ne ferions-nous pas une communauté de restaurateurs ? On a un listing de personnes qui ne se sont pas présentées. Avec certains, cela a fonctionné ».

Un nouveau système de réservation

Depuis cette mésaventure, le chef castelpontin a adopté un nouveau système : « Depuis cela, on a un logiciel de réservation. Si un jour, on a quelqu’un qui ne vient pas sans avoir prévenu, s’il réserve à nouveau, on a une alerte. Il aura l’obligation de mettre son empreinte bancaire. A Paris c’est un système très répandu mais en Auvergne, on n’est pas encore prêts. Je connais des clients réticents. On demande l’empreinte bancaire à partir de 6 personnes, au début c’était 2 personnes. L’essentiel est que l’on soit prévenu en cas d’annulation. On veut juste un peu d’éducation. Si on demande des arrhes et que la personne annule, elle préviendra. On a du mal avec les annulations à 19h30 pour le soir-même, car on est à Pont-du-Château. On a adopté l’empreinte bancaire pour que les gens aient la gentillesse et l’éducation de prévenir. Depuis un an, on n’a jamais débité une personne qui n’est pas venue. Le jour où l’on n’est pas complet et que le client ne vient pas, ce n’est pas grave. Mais quand c’est complet et qu’on a refusé des gens, cela pose problème ». 

 On a des no shows tout le temps. C’est catastrophique

Dorian Van Bronkhorst, chef du restaurant étoilé l’Atelier Yssoirien

A quelques kilomètres de là, à Issoire, Dorian Van Bronkhorst, chef du restaurant étoilé l’Atelier Yssoirien, est dépité : « Il n’y a plus de respect. Une parole ne compte plus. On en est à avoir un système de réservation. On demande des arrhes. On envoie des SMS de réservation. On rappelle les gens avant. On triple le travail pour une réservation. Tous les matins, j’ai une personne qui s’occupe de cela pendant une heure et demie le matin et 25 minutes le soir. Cela est bien triste, les personnes sont devenues très personnelles. Même une réservation au restaurant devient compliquée ». Le chef distingué par le guide Michelin déplore : « Au fond de moi, je suis contre ce système d’empreinte bancaire. Quand je réserve quelque part, j’y vais. J’ai eu un samedi soir dans l’été où j’ai perdu 8 couverts. Ils ne sont pas venus et ne répondaient pas au téléphone. On ne peut pas se permettre cela. Après le COVID, la fréquentation des étoilés est en dents de scie. Toute réservation compte maintenant ».

"Ce système gâche ce plaisir"

Dorian poursuit : « Ce système a porté ses fruits. Mais si vous appelez un samedi soir à 19h30  et que vous dites que vous arrivez dans 5 minutes, on ne va pas prendre l’empreinte bancaire. Si vous ne venez pas et que je refuse une table, le système a ses limites. Il n’y a pas vraiment de moyens pour lutter contre le no show. C’est une histoire d’éducation avant tout. Prendre ces empreintes bancaires est un film d’horreur. On est dans le non plaisir du travail. Un restaurant est une sortie plaisir. Ce système gâche ce plaisir ». Lui également avoue : « Moi aussi j’ai la liste rouge des clients. Il m’arrive de refuser des noms s’ils nous ont mis des no shows ». Le chef issoirien souligne : « J’ai la double nationalité française et hollandaise. Dans mon pays d’origine, il n’y a aucun problème pour l’empreinte bancaire. Cela existe depuis 10 ans. C’est obligatoire dans les restaurants étoilés. Les gens le savent. Ici, en Auvergne, le monde rural a encore une certaine parole et ne croit pas le système des empreintes bancaires ». 

Des clients qui multiplient les réservations

A Clermont-Ferrand, certains établissements commencent à demander des empreintes bancaires, à l’image du restaurant Il Visconti. Mais la pratique n’est pas encore adoptée partout, contrairement à Paris, où c’est monnaie courante. Guilhem Ducasse, sommelier et chef de salle du 589 Bay à Clermont-Ferrand, qui a ouvert fin avril, raconte : « C’est un problème auquel on n’est pas encore trop confrontés mais il y a eu des cas isolés pour le moment. Pour réserver, on peut le faire par téléphone ou par mail. Je comprends que les restaurateurs s’insurgent contre ces annulations intempestives. Pour avoir travaillé dans d’autres établissements, on a remarqué que c’est quelque chose qui est devenu assez fréquent. On a constaté que, régulièrement, des personnes prenaient des réservations dans plusieurs établissements et cela leur permettait de choisir où elles voulaient aller, au dernier moment ». Il est un peu amer : « On n’a pas trop de moyens de lutter contre cela. Le seul est de prendre des arrhes sur la réservation. Mais il n’y a pas de solution miracle. Il faut une vraie éducation ».

Un manque à gagner en cas de faux bond

Guilhem enchaîne : « Une table annulée sans prévenir est une énorme perte financière. Cela dépend de la taille de l’établissement : nous sommes assez grands donc on a une bonne capacité d’accueil mais les soirs de forte affluence, cela peut rapidement faire perdre une grosse part financière. Cela empêche aussi de prendre des gens qui auraient voulu manger chez nous et qui ne peuvent pas parce qu’on est complet. Il y a un vrai manque à gagner. C’est toujours ennuyeux d’avoir une table vide au milieu du restaurant quand on a dû refuser des clients ». Pour le moment, pas question de demander une empreinte bancaire : « On en a parlé mais on ne sait pas si on y viendra. On n’a pas envie de le faire. Cela amène une dimension qui sort un peu de la convivialité du restaurant. On aime fonctionner à la confiance. On espère ne pas en arriver là. C’est une question de savoir-vivre : on prévient quand on a un empêchement ».

Un sytème légal

Mais le restaurateur a-t-il le droit de demander une empreinte bancaire ou des arrhes ? Daniel Bideau, président de l’UFC-Que choisir du Puy-de-Dôme, répond : « L’empreinte bancaire est plutôt réservée au domaine de l’hôtellerie et lors de la location de voitures. Dans les pompes à essence, on débloque aussi un certain montant pour faire le plein. L’empreinte est légale dans la mesure où le vendeur en informe préalablement la personne. Le professionnel ne doit prendre que l’empreinte bancaire, une garantie de paiement assurée par la banque : la caution est en fait une préautorisation qui est donnée au commerçant. Ce dernier ne doit pas encaisser la somme de manière immédiate. Il y a un blocage d’une certaine somme qui est conclu : la banque va réserver cette somme jusqu’à la clôture de l’opération, c’est-à-dire le règlement. Il faut rappeler que si la pratique est légale, elle doit être clairement définie par le professionnel dès le départ ».

Consulter sa banque

Daniel Bideau donne quelques conseils : « Il faut discuter de cela avec sa banque. Il est conseillé de se renseigner et de regarder les conditions d’utilisation de l’empreinte bancaire, aussi appelée caution. Il faut savoir dans quelles conditions la somme va être conservée et penser que cela va réduire d’autant le solde de son compte tant que la préautorisation n’est pas clôturée. Au restaurant, c’est 2 à 3 heures mais à l’hôtel, cela peut être un séjour de 4 ou 5 jours, avec de l’argent bloqué. Il peut l’être jusqu’à 30 jours maximum ». Il rappelle : « Si le commerçant propose de déposer des arrhes de manière transparente, informe le client, c’est une pratique possible. C’est peu commun au restaurant de verser des arrhes ou des acomptes. Si vous versez un acompte, vous aurez une garantie du montant du règlement prévu. S’il s’agit d’arrhes et que l’établissement refuse la table, vous serez remboursé du double du versement initial ». Il faut aussi vérifier la date d’expiration de la carte bancaire pour ne pas avoir de mauvaises surprises.
Face au « no show », de nombreux restaurateurs se sentent démunis. Certains vont jusqu’à évoquer l’idée de payer sa note à l’avance, comme pour l’avion ou l’hôtel. Une étape qui pourrait bien enlever tout le charme du paiement de l’addition au restaurant.

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