L’association professionnelle Samu-Urgences de France a mené une enquête auprès des SMUR et des structures d’urgences. Les résultats sont édifiants et montrent que de nombreux SMUR et services d’urgences ont fermé cet été. Mais qu’en est-il en Auvergne-Rhône-Alpes ? Certains départements apparaissent en souffrance.
C’est un dimanche que Chloé, une habitante de Chamalières, près de Clermont-Ferrand, ne risque pas d'oublier. Le 8 septembre dernier, après de grosses baisses de tension et de la fièvre, cette femme de 40 ans, ressent de “violents maux de tête”. À 18h30, son compagnon décide de l’emmener aux urgences. Ils vont au Pôle santé République de Clermont-Ferrand. Chloé attend peu car il n’y a pas beaucoup de patients dans la salle d’attente. Elle est examinée par deux personnes qu’elle pense être des infirmiers. On lui prend sa tension et sa température. On lui annonce alors qu’il n’y a plus de médecin après 18 heures et on l’invite à aller aux urgences du CHU Estaing. “Je n’ai pas compris”, avoue Chloé, qui décide alors de partir.
Un filtrage par le 15
Avec son compagnon, ils se dirigent vers les urgences du CHU Estaing. Une fois arrivés, on leur explique qu’il faut aller au CHU Gabriel-Montpied. La quadragénaire est reçue dans un premier sas avec un agent de sécurité. Une infirmière arrive et lui demande pourquoi elle n’a pas composé le 15. “Peu sympathique, elle insistait sur cette procédure. Mon compagnon me voyait en souffrance et commençait à s’agacer. Situation ubuesque : j’ai dû sortir des urgences pour appeler le 15” raconte Chloé. Un médecin régulateur est au bout du fil. Il lui pose des questions. Elle lui répond en précisant qu’elle attend des résultats d’analyses prescrites par son médecin traitant. Pour le médecin régulateur, il n’y a rien de grave, cela ne nécessite pas d’aller aux urgences. Il lui indique que si elle insiste pour voir un médecin elle peut aller à la maison de santé de Croix-de-Neyrat ou encore appeler SOS Médecins. “On est rentrés chez nous à plus de 20h30. On a passé une heure et demie à faire le tour de Clermont-Ferrand pour ne pas avoir de réponse ni de soins adaptés” souligne Chloé. C’est seulement le lendemain que son médecin traitant pourra la soigner. Elle confie : “Je me suis sentie seule, démunie. Je me suis dit que si c’était grave j’allais mourir chez moi. J’avais très mal. J’ai été très triste pour notre système de santé, de voir que c’était si compliqué”.
Une étude édifiante
Cette mésaventure aurait pu figurer dans l’étude rendue publique lundi 16 septembre par Samu-Urgences de France. Cette association professionnelle a interrogé les SMUR et structures d’urgence pour mesurer objectivement la réalité de la situation de cet été. Les résultats sont édifiants : 202 Services d’Urgence ont fermé au moins une ligne médicale et 174 SMUR ont fermé au moins une ligne durant l’été. Plus de 1 500 lits supplémentaires ont été fermés cet été dans 2/3 des établissements répondants. La ligne SMUR est une équipe hospitalière qui va au domicile des patients et qui gère l’urgence vitale. “Une ligne SMUR fermée est une mise en danger de la sécurité des patients” insiste Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de Samu-Urgences de France et présidente honoraire de la Société de médecine d’urgence. Parmi les 331 établissements ayant répondu à l’enquête, 2 structures d’urgence sur 3 ont fermé au moins une ligne médicale. La fermeture d’un service est définie par l’absence complète d’accueil de patient se présentant spontanément ou adressé par le 15.
"Un cri d'alarme"
Dans son évaluation, Samu-Urgences de France a produit deux cartes. Elles montrent des disparités selon les départements.
Une première carte évoque la fermeture des lignes SMUR.
Une seconde montre la fermeture au sein des lignes d'urgences.
Agnès Ricard-Hibon souligne : “C’est un cri d’alarme où on explique que la situation s’aggrave. On a connu 7 ministres de la Santé en 5 ans et cela ne favorise pas la continuité des actions. On reste dans l’immobilisme alors que des solutions existent pour améliorer la qualité et la sécurité des soins des patients”. Pour elle, les risques sont grands si on ferme des SMUR : “Il y a une perte de chance quand on ferme des SMUR et quand les patients stagnent dans les services d’urgences. Lorsqu’un patient de 75 ans et plus passe la nuit sur un brancard, la mortalité est aggravée de 40 %. S’il présente des pathologies chroniques, la mortalité est multipliée par 2,23 %. Pendant le COVID, on a confiné tout un pays pour éviter la surmortalité, et là on accepte une surmortalité quotidienne, connue de tous et qui n’interpelle personne”.
La porte-parole évoque la situation en Auvergne-Rhône-Alpes : “Le CHU de Clermont-Ferrand n’a pas connu trop de soucis. Les urgences d’un hôpital privé ont fermé 2 jours sur 3 depuis mai, ce qui met de la pression sur la médecine de ville et sur le CHU. Dans le Cantal, il y a eu 2 structures d’urgences en difficulté de façon ponctuelle. Dans l’Allier, il y a eu de grosses difficultés liées à un manque de ressources RH. L’Isère et la Haute-Savoie ont connu des difficultés. Auvergne-Rhône-Alpes reste dans la moyenne nationale”. Pour elle, des solutions existent : “Il faut sécuriser l’urgence vitale, mettre en place des organisations territoriales”.
"Ces conditions indignes relèvent d’un pays du Tiers-monde"
Selon Agnès Ricard-Hibon, la sécurité des patients est un enjeu majeur : “Quand il n’y a plus de box pour accueillir les patients, les délais d’attente augmentent et vous devez mettre les patients dans les couloirs pour accueillir les nouveaux patients. Cela pose un problème de qualité et de sécurité des soins, en plus de la maltraitance et du manque d’intimité. Ces conditions indignes relèvent d’un pays du Tiers-monde. On préconise qu’il soit interdit de mettre un patient dans un couloir”. Elle poursuit : “Les lits sont souvent dédiés aux soins programmés donc il n’y a plus de lits pour les patients des urgences. Les urgentistes ne se plaignent plus, ils démissionnent”. La porte-parole conclut : “Il y a des imperfections et des morts évitables. Les plaintes se reportent sur les soignants, qui n’y peuvent rien car c’est un problème organisationnel”.
L'Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes confirme quelques tensions cet été. Elle fournit la liste des arrêtés pris sur la régulation temporaire des SAU (Services d'accueil d'urgences) :
- Ain : CH Bugey sud à Belley
- Isère : CH Pierre Oudot à Bourgoin-Jallieu
- Isère : CH Yves Touraine à Pont de Beauvoisin
- Isère : CH Lucien Hussel à Vienne
- Haute-Loire : CH Emile Roux au Puy en Velay
- Puy de Dôme : CHU Clermont-Ferrand
- Savoie : Médipôle Savoie à Challes-les eaux
- Savoie : CH Vallée de la Maurienne
- Haute-Savoie : Hôpital privé de Savoie à Annemasse
- Haute-Savoie : Hôpitaux du Mont blanc à Sallanches
- Haute-Savoie : CH Annecy Genevois Annecy
- Haute-Savoie : CH Annecy Genevois Saint Julien en Genevois
- Haute-Savoie : CH Alpes Léman à Contamine sur Arve)
- Haute-Savoie : Hôpitaux du Léman à Thonon les bains
Jusqu'à 20 heures d'attente aux urgences
Pascale Guyot, secrétaire UD FO, membre du syndicat FO du CHU de Clermont-Ferrand, dénonce aussi des dysfonctionnements aux urgences. Depuis un an, le CHU de Clermont-Ferrand a instauré une régulation des urgences par le 15, avec une sélection à l’entrée le soir et les week-end. “Malgré cela, il y a eu pas mal de tensions aux urgences, avec des temps d’attente jusqu’à 12 heures” constate Pascale Guyot. Elle s’inquiète : “Aujourd’hui, il y a des patients qui décèdent dans les services des urgences, ce qui n’était pas le cas avant. Mais cela ne doit pas être dit, c’est tabou. Les urgentistes sont en souffrance”. En périphérie de Clermont-Ferrand, les urgences ont connu des difficultés selon elle : “A Riom, l’été a été très difficile. On manquait de lits d’aval, il y avait près de 20 heures d’attente parfois et la ligne SMUR a été fermée à plusieurs reprises durant la nuit”. Elle insiste : “Il faut arrêter de faire des économies sur l’hôpital”.
Contacté, le CHU de Clermont-Ferrand n'a pas souhaité s'exprimer.
Le nom du prochain ministre de la Santé ne sera pas connu avant quelques jours. Le dossier des urgences devrait faire partie des nombreux chantiers prioritaires.