Guerre en Ukraine : « L’issue la plus favorable à la Russie paraît maintenant exclue »

Après 34 jours de conflit en Ukraine, les observateurs s’interrogent sur les issues possibles de la guerre. Un spécialiste des relations internationales nous livre sa lecture du conflit.

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Vladimir Poutine peut-il gagner la guerre en Ukraine? Le dirigeant russe ne s’attendait sans doute pas à tant de résistance. Au 34e jour de conflit, quelles sont les issues possibles ? Frédéric Charillon est professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’Université Clermont Auvergne. Il est l’auteur de « Guerres d’influence » aux éditions Odile Jacob, paru en janvier dernier. Il nous livre son analyse.

Question : Quelle est votre lecture du conflit en Ukraine, démarré il y a plus d’un mois ? 

Frédéric Charillon : « Il est très difficile de savoir quel est l’objectif exact de Vladimir Poutine et de faire une première évaluation de ce conflit. Il y a une évaluation au sens militaire et au sens politique de ce qui pourrait se passer ensuite. Sur le plan militaire, il y a beaucoup d’infos qui se recoupent qui semblent montrer que la Russie n’a pas atteint tous ses objectifs. Mais quels sont-ils d’ailleurs ? L’armée russe avance plus difficilement qu’elle ne pouvait l’imaginer. Elle rencontre beaucoup de résistance à la fois militaire et de la part des Ukrainiens, plus politique et identitaire. La population n’accueille pas les troupes russes comme libératrices, comme l’annonçait Vladimir Poutine, pour faire revenir l’Ukraine dans le giron de la mère patrie. On peut dire que c’est beaucoup plus difficile que ce à quoi s’attendait Vladimir Poutine. Il s’attendait à moins de résistance ou à moins d’unanimité de la part des occidentaux. Mais là, il va falloir être prudent et regarder dans la durée. Il est très difficile de savoir ce que veut Vladimir Poutine. Lui-même a évoqué plusieurs objectifs. Il a, à un moment, parlé de réunifier les deux peuples, en disant que la Russie était l’Ukraine et l’Ukraine la Russie. On est passé maintenant à une guerre de punition, à une guerre de destruction. Il s’agit d’intimider les populations, de détruire, de traumatiser. On n’est plus du tout dans une guerre de réunification de deux peuples. Est-ce qu’il s’agit d’un objectif limité à l’Ukraine ? Est-ce qu’il s’agit de reconstituer quelque chose, une espèce de monde russe ? Est-ce qu’il s’agit de reconstituer quelque chose de plus large ? Sans doute pas l’Union soviétique car il y a parmi les anciennes républiques soviétiques des pays membres de l’OTAN. Pour toutes ces raisons il est assez difficile de catégoriser cette guerre. On a l’impression que Vladimir Poutine en adapte les objectifs à mesure qu’il rencontre des obstacles. On peut émettre que c’est aussi une guerre pour le rang de la Russie dans le monde, pour montrer qu’elle n’est pas une puissance régionale, qu’elle est sur le podium des grandes puissances, qu’il n’y aura pas de bipolarité sino-américaine ».

Question : Certains n’hésitent pas à traiter Vladimir de fou. Est-ce une théorie que vous partagez ? 

Frédéric Charillon : « C’est toujours une des limites de l’analyse politique, lorsqu’un leader international fait quelque chose qu’on ne comprend pas, on a tendance à le considérer comme incompétent ou comme mentalement déficient. On a dit la même chose de Saddam Hussein quand il a refusé l’ultimatum américain en 1991. En réalité, il y a toujours d’autres explications. Il ne faut pas juger un peu vite qu’un leader est fou parce qu’il a fait quelque chose de surprenant. On ne peut pas dire que Poutine est devenu fou. En revanche, on ne peut pas exclure, au bout d’un moment, le poids psychologique de la solitude du pouvoir dans une dictature. Il y a un homme qui n’est pas fou, au sens où la psychiatrie l’entend : il n’a sans doute pas perdu ses moyens. Mais est-ce qu’il a tous les éléments lui permettant d’assurer une lucidité dans son jugement, quand on est au pouvoir depuis plus de 20 ans et plus personne autour de soi pour nuancer, pour contredire ? On voit bien qu’au bout de 20 ans dans un système autoritaire voire dictatorial, le leader n’a plus autour de lui les conseillers qui pourraient oser lui dire la vérité. A partir du moment où on est seul tout-puissant, on a énormément de responsabilités sur les épaules. Il faut ajouter à cela que depuis la crise du COVID, Poutine rencontre très peu de monde et s’est isolé encore plus ».  

Question : Une menace insurrectionnelle en Russie est-elle possible ?

Frédéric Charillon : « Les avis sont partagés. La population commence à s’inquiéter. Beaucoup de jeunes qui ont l’habitude de manipuler Internet, de contourner la censure, de manipuler des VPN pour savoir ce qu’il se passe dans le monde, ont compris qu’on ne leur disait pas la vérité. La fermeture de certains médias et l’interdiction de médias étrangers montrent que l’on cache des choses. Ceux-là le savent. On a observé beaucoup de protestations voire de départs d’artistes, de journalistes, notamment vers la Finlande. Mais est-ce que ça remet en cause pour autant le pouvoir russe, suffisamment pour qu’on reparle d’insurrection populaire ? On a vu des intellectuels comme Jonathan Littel dire aux Russes que c’est leur moment Maïdan et qu’il faut qu’ils se soulèvent. Je ne sais pas si on peut y croire. Les personnes avec lesquelles je suis en contact pensent que ça ne suffira pas, que cela peut juste créer de l’agitation dans les grandes villes. L’appareil répressif est très fort en Russie. Pour autant, au moment des révolutions arabes, on a vu d’autres pays se soulever contre un pouvoir que l’on croyait absolument intouchable. Il y a une autre hypothèse, celle d’un limogeage plus en interne. Il n’est pas impossible que Vladimir Poutine souhaite reconstituer une coalition autour de lui car il a compris que certains membres de l’Etat n’étaient pas d’accord avec cette décision. Il y a aussi la question des oligarques qui perdent énormément d’argent. Il est possible qu’à un moment, Vladimir Poutine soit obligé de donner des signes d’apaisement à quelques sphères de l’Etat, ce qu’on appelle l’Etat profond. Il pourrait montrer qu’il n’est pas décidé à aller droit dans le mur. Il y a aussi le mécontentement dans les sphères du pouvoir qui pourrait poser la question de l’après-Poutine ».

Question : Quelle issue au conflit imaginez-vous ?

Frédéric Charillon : « Il peut y avoir plusieurs issues. L’issue la plus favorable à la Russie paraît maintenant exclue : une reprise en main de la totalité de l’Ukraine, comme lorsqu’on a écrasé le printemps de Prague en 1968, ne semble plus possible. Le premier scénario est celui de l’effondrement de l’une des deux armées. Si c’est l’armée russe, cela serait un coup très dur porté à Moscou mais cela posera aussi la question de la surenchère. On peut se demander si Moscou ne sera pas tenté, pour ne pas perdre la face, d’utiliser des armes de plus en plus destructrices et de faire une politique de la terre brûlée. Si c’est l’armée ukrainienne qui s’effondre, cela pose la question d’un passage à une guerre d’insurrection. Ce ne serait plus une guerre armée d’Etat mais une guerre où la Russie serait maîtresse du territoire et harcelée par de l’insurrection. Ce serait le scénario de l’aggravation, qui pourrait durer longtemps. Cela pourrait ressembler à la Syrie voire à l’Afghanistan, y compris physiquement pour l’Ukraine. Il y a aussi le scénario de la voie de la négociation, mais qui semble recherché par tout le monde. La Russie pourrait se concentrer sur l’objectif du Donbass et sur la neutralisation de l’Ukraine. Il y a trois éléments qui sont sur la table : la reconnaissance de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la reconnaissance d’un statut spécifique pour les républiques russophones du Donbass et la reconnaissance d’une neutralité de l’Ukraine, qui renoncerait à moyen terme à être candidate à l’OTAN. Cela serait une porte de sortie la plus favorable mais qui laisserait beaucoup de traces. Ce qu’a fait l’armée russe aliène pour très longtemps les Ukrainiens. Ils n’auront plus confiance en la Russie pour très longtemps. »

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