Inceste : au cœur du service de victimologie du CHU de Clermont-Ferrand

A Clermont-Ferrand, le service de victimologie du CHU Estaing vient en aide auprès des enfants et des femmes enceintes. Parmi les 700 consultations effectuées chaque année, de nombreux cas d’inceste sont traités.

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Depuis la publication du livre de Camille Kouchner, « La familia grande » où elle dénonce l’inceste de son beau-père sur son frère jumeau, alors qu’il était adolescent, on assiste à une véritable libération de la parole sur ce sujet. A Clermont-Ferrand, au cœur du CHU Estaing, le service de victimologie vient en aide depuis 20 ans aux enfants et aux femmes enceintes. Il y a 3 médecins, 2 psychologues, 2 puéricultrices, une sage-femme, une secrétaire qui composent le service. Son fonctionnement est bien rôdé. Candice Moral Petiniot, juriste et coordinatrice raconte : « Ce service existe depuis 20 ans. Nous accueillons sur le site du CHU Estaing les mineurs et les femmes enceintes victimes de violences, de maltraitances. Nous accueillons aussi bien sur demande spontanée que sur réquisition des autorités judiciaires dans le cadre de demandes d’examens médico-légaux quand une plainte a été déposée ou un signalement fait par un professionnel et qu’une enquête a été enclenchée ».

700 victimes traitées par an

Elle poursuit : « En moyenne, on reçoit 700 victimes par an, dont ¾ sont des mineurs. Un tiers des consultations de mineurs concernent des agressions sexuelles, et une grande majorité, les ¾ sont dans le cadre intrafamilial ».  Candice Moral Petiniot précise : « C’est le code pénal qui définit l’inceste. Il ne le prévoit pas comme une infraction à part entière. Il n’y a pas d’infraction prévue en regard. L’inceste est puni au titre des circonstances aggravantes, par ascendant ayant autorité, sur mineur de 15 ans. « Sont qualifiés d’incestueux les faits lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, le conjoint ou le concubin d’une personne ascendante, avec une autorité de droit ou de fait sur le mineur » selon le code pénal. On reçoit assez régulièrement des cas d’inceste dans le service. Cela a été particulièrement vrai à l’issue du premier confinement. On a eu plusieurs situations entre frères et sœurs.  Ce sont des situations très difficiles à aborder dans le cadre d’une famille, avec des parents qui n’ont pas forcément eu la notion de ce qui s’est passé ».

L’inceste touche tous les milieux, toutes les classes sociales

Le Dr Pamela Bouchet, gynéco-obstétricienne, médecin légiste et chef de service, rappelle : « L’inceste touche tous les milieux, toutes les classes sociales. Il est souvent plus difficile à dépister dans les milieux socio-économiques favorisés ». Elle indique : « Les portes d’entrée dans notre service sont multiples. Ca peut être une consultation dans le cadre d’une réquisition judiciaire et c’est rarement le cas de faits urgents. Il y a aussi des demandes spontanées de victimes. Plus tôt on les voit après la commission des faits, plus c’est facile pour nous de faire des constats médico-légaux. On prend en charge en pluridisciplinaire. Le parcours de soins va être souvent d’abord l’examen médico-légal. Il permet d’affirmer ou d’infirmer avec beaucoup de prudence la présence de lésions pouvant attester d’une pénétration ou de lésions buccales pouvant attester d’une pénétration. On examine le corps en entier, on vérifie qu’il n’y a pas de coups et blessures. Ce n’est pas parce que l’on ne constate rien à l’examen médico-légal qu’il ne s’est rien passé. L’examen médical se fait toujours en binôme soit par le gynéco-obstétricien accompagné de la sage-femme soit par le pédiatre accompagné de la puéricultrice. L’examen se fait en l’absence d’anesthésie générale. Après les constats des lésions, on peut faire des prélèvements médico-légaux et de soins, avec recherche d’ADN, et avec des prélèvements locaux à visée bactériologique, par exemple pour rechercher des maladies sexuellement transmissibles. Dans certains cas où il y a eu soumission chimique, on peut faire des prélèvements toxicologiques. En parallèle, on essaie de faire des entretiens juridiques et souvent on oriente vers un parcours de soins avec évaluation du psycho-trauma par nos psychologues ».

Le problème du transgénérationnel

Mathilde Marlet, psychologue, enchaîne : « Souvent, on peut retrouver le transgénérationnel, c’est-à-dire que l’on pose tout le temps la question de savoir s’il y a déjà eu des faits de violences sexuelles dans la famille. On se rend compte, assez généralement, que dans les générations supérieures, il y a déjà eu des faits de violences sexuelles intrafamiliales ».

La mémoire traumatique

Habituée à traiter des cas d’inceste, la psychologue a repéré des scénarios récurrents. Elle souligne : « Lorsqu’une victime est confrontée à un trauma, il faut qu’il y ait 4 éléments : la confrontation avec le réel de la mort, la rapidité de l’événement, l’effroi et la perception. Il va alors y avoir une sécrétion d’hormones, adrénaline et cortisone, qui font que la victime se retrouve bloquée face à l’événement. Son corps va produire des drogues dures, morphine et kétamine. La victime va être sidérée et ne va pouvoir ni crier ni bouger. Le corps et la tête vont comme se scinder en deux. C’est ce qu’on appelle la dissociation : l’événement, au lieu de se loger dans la bonne mémoire, autobiographique, va venir se loger dans la mémoire traumatique. C’est la mémoire des souvenirs traumatiques qui sont dépourvus d’émotions car ça a été tellement intense que la victime s’est coupée de ses émotions ». 

Se reconstruire

A partir de consultations régulières, les victimes peuvent heureusement se reconstruire. Candice Moral Petiniot,  juriste et coordinatrice confie : « Avec le recul, on voit qu’il y a eu une évolution. Les victimes peuvent construire une famille. Mais cela nécessite un travail thérapeutique parfois au long cours, avec toute la question du transgénérationnel ». Mais c’est souvent un travail de longue haleine. Mathilde Marlet, psychologue, affirme : « Il n’y a pas vraiment de limite dans le temps. J’ai commencé à travailler dans ce service il y a 4 ans. Je suis encore certains enfants. Dans les violences intrafamiliales, il y a tout un système. Il faut que l’enfant identifie la place dans ce système, pour parfois essayer de s’en sortir, de l’analyser. Cela demande tout un travail. Il faut aussi prendre en charge la question du psycho-trauma. Parfois cela peut prendre plusieurs mois, plusieurs années. Les prises en charge sont encore plus longues quand on est à distance ».

L'impact du livre "La familia grande"

Mathilde Marlet, psychologue, évoque l’impact de l’affaire Kouchner sur le grand public : « La médiatisation, les hashtag MeToo ont pu libérer la parole des victimes. Néanmoins, cela ne conduit pas forcément au dépôt de plainte et parfois cela met aussi à mal certaines victimes qui restent isolées, avec ces non-dits. Ce qui caractérise énormément l’inceste et les violences intrafamiliales sont les non-dits. Certaines victimes sont encore dans ces contextes familiaux où il est très difficile de parler, même si elle savent qu’on en parle de plus en plus » .

L'importance du signalement

Le Dr Pamela Bouchet, gynéco-obstétricienne, médecin légiste et chef de service, martèle : « Les professionnels de santé et tout citoyen sont tenus de signaler les situations qui seraient portées à leur connaissance, soit dans le cadre de leurs fonctions, soit en tant que simple citoyen. On peut le faire auprès des Cellules de recueil des informations préoccupantes, les CRIP, du Conseil départemental, soit auprès du procureur de la République, avec un signalement judiciaire ». Les membres du service de victimologie rappellent qu’il ne faut pas hésiter à signaler toute situation dont on serait le témoin. Pour les enfants, ils peuvent composer le 119 afin d’appeler à l’aide.

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