C'est dans la nuit du samedi 30 au dimanche 31 mars que l'on passe à l'heure d'été. Discuté et remis en question chaque année, le changement d’heure est loin de faire l’unanimité. L’Union Européenne peine à trouver un consensus autour du fuseau horaire choisi. La question de son arrêt ou son maintien fait débat.
Dans la nuit du samedi 30 au dimanche 31 mars, la France change d’heure. À 2 heures, il sera 3 heures et vous dormirez une heure de moins. Santé, sommeil, accidentologie, chaque année, le sujet fait débat. Arnaud Landragin, chercheur au CNRS et spécialiste de la question du changement d’heure, revient sur ses origines : “Ce sont des idées anciennes. La première fois que ça a été évoqué, c'est par Benjamin Franklin, en 1784. Il a d'abord fallu passer à une heure nationale, parce qu'avant, les heures étaient locales. Avec l'arrivée du train et l'industrialisation, il y a eu un besoin de passer à une heure nationale. En France, en 1891, l'heure de Paris devient l'heure nationale.”
Une histoire entrecoupée
Il raconte que l'Allemagne a été la première à instaurer le changement d'heure en 1916, suivie par l'Angleterre la même année. “En France, ça a été proposé en 1916 mais voté en 1917. Les Etats-Unis, par exemple, c’était en 1918. Ce régime-là va rester jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, où on va adopter l'heure allemande. On va garder le décalage horaire de manière à avoir la même heure qu'en Allemagne. D’ailleurs, pendant une partie de la Seconde Guerre Mondiale, il y a une différence d'heure entre la partie occupée et la partie non occupée de la France. À partir de 1945, un décret va annuler ces décisions et la France demeure à cette époque à l'heure d'hiver de l'Europe centrale. Cela correspond à l’horaire de maintenant, sans changement d'heure. Ensuite, la décision de changer d'heure revient en France en 1975, suite à la première crise pétrolière. L’idée était d’optimiser une partie de la consommation d'électricité, notamment pour l'éclairage. Ça devait être une mesure provisoire pendant le choc. C'est resté”, raconte Arnaud Landragin. L’Auvergnat Valéry Giscard d'Estaing a, d’ailleurs, joué un rôle dans l’établissement du changement d‘heure en France : “Il était le président de la République lorsque la France est repassée au changement d'heure, en 1975. Le passage de la France a quand même eu un impact important sur les pays voisins.”
Le changement d'heure étéit à l'époque promu, avec le slogan désormais culte "En France, on n'a pas de pétrole mais on a des idées" :
Harmoniser l'heure entre pays européens
Ensuite, une normalisation en Europe se fait, à partir des années 80. “C'est une harmonisation pour faciliter les transports. À l'est ou à l'ouest, il peut y avoir une heure de décalage, mais tout le monde change en même temps. Donc si on a un décalage avec le Portugal d'une heure, ça reste le même en été et en hiver”, explique-t-il. L’Union Européenne est garante, dans le cadre du changement d’heure, d’une harmonisation entre les pays : “L'Europe, elle décide du mode, c'est-à-dire est-ce qu'on fait un changement où est-ce qu'on ne fait pas de changement. Elle décide de l'harmonisation. Par contre, les pays doivent décider lequel de ces horaires ils choisissent. Si on arrête le changement, on doit décider quel fuseau on enlève. L'Union Européenne veut être sûre que si elle prend une décision de l'arrêter, ça soit cohérent. Imaginons qu'on parte du Portugal et qu'on on aille en Pologne en voiture. On n'a pas envie de changer 5 fois le fuseau horaire, si un pays a décidé qu'il est à l'heure UT +1, puis l'autre UT+2 et ainsi de suite. Ce n'est pas facile d'arriver à un consensus qui donne un découpage logique de l'Europe sur les horaires.”
Une différence entre nord et sud
Mais alors, pourquoi ce changement d’heure est-il si controversé ? Arnaud Landragin apporte des éléments de réponse : “Il y a un argument qui dit que c'est une source de complexité qui n'a pas démontré d'efficacité réelle, forte, pour la réduction de la consommation d'énergie. L'autre argument contre de certaines personnes, c'est de dire que c'est important de rester sur le midi solaire parce que c'est meilleur pour la santé. Dans les arguments pour le maintenir, le plus souvent dans le sud de la France et dans les pays du sud, c'est de pouvoir profiter des longues soirées d'été. Le décalage en été permet de garder des soirées pour inviter des amis, profiter de la convivialité. Il y a une petite différence entre les pays du nord et les pays du sud, le ressenti n’est pas le même. Dans les pays nordiques, en hiver, on se lève, il fait noir, on se couche, il fait noir. Il fait nuit tout le temps, et en été, c'est le contraire. Ils sont plus favorables à l'heure d'hiver, alors que le sud de l'Europe est plus favorable à l'heure d'été de manière générale.”
Vivre centré sur le "midi vrai"
Le chercheur détaille également d’autres arguments en faveur de la fin de ce changement : “Au changement d'heure, il y a un petit peu d'accidentologie supplémentaire. C'est un argument pour l'arrêter. En revanche, je ne crois pas qu'il y ait d'études concluantes sur l'impact du changement d'heure sur la santé.” En effet, selon lui, l’organisation de la journée n’est pas basée que sur l’heure : “Ce qui est démontré, c'est que c'est important de vivre centré sur le midi vrai, quand le soleil est au zénith. Mais en fait, l'heure elle-même n'a pas beaucoup d'impact là-dessus. Par exemple, à l'est de l'Allemagne, qui est au bout du même fuseau horaire que nous, ils commencent à travailler une heure plus tôt que nous. Ils arrêtent plus tôt aussi. En Espagne, ils commencent un peu plus tard le matin, ils finissent plus tard. On utilise la même heure, mais finalement, on a calé notre journée sur ce qui est logique. On pourrait très bien utiliser la même heure, pour moi, sur l'ensemble de la planète, du moment qu'on organise notre temps de travail pour qu'il soit centré sur le jour.”
Une population partagée
Arrêter ou poursuivre, telle est donc la question, mais pour l’heure, aucune réponse évidente ne semble émerger : “Il y a eu un sondage européen qui était plutôt pour l'arrêt mais quand vous dépouillez le sondage, ceux qui ont beaucoup voté, ce sont les Allemands. À eux tout seul, ils font plus de la moitié du pool. En France, il y a aussi eu un sondage pour garder l’heure d’été ou d’hiver, ce n'était pas loin de 50/50. C'est très partagé”, indique Arnaud Landragin. Cette absence de consensus bloque le processus dans les deux sens, précise-t-il. “Les politiciens de l'Union Européenne, je pense, avaient le sentiment qu'ils avaient un sujet qui pouvait être consensuel au niveau de l'Europe, pour montrer que l'Europe sait aussi se préoccuper des citoyens. En fait, quand ils ont regardé dans le détail, ils se sont aperçus que ça ne serait pas si tranché que ça, donc je pense qu'ils sont moins pressés. Entre le Brexit, le COVID et d'autres préoccupations actuelles, je pense que c'est moins prioritaire.”
"Changer d'heure ne pose pas de problème technique"
Pourtant, il est possible que l’arrêt soit de nouveau discuté dès l’année prochaine : “La raison de fond qui était les économies d'énergie, non seulement elle n’est plus aussi vraie, mais en plus, avec les éclairages aux LED, je pense qu'elle est encore moins vraie qu'elle ne l'était il y a 20 ans. La part de l'éclairage dans la consommation électrique a baissé. Après, il n'y a pas d'urgence car changer d'heure ne pose pas de problème technique. La société sait très bien faire”, indique Arnaud Landragin. Le changement d’heure ne devrait donc pas être modifié cette année.